Les entreprises familiales canadiennes génèrent un rendement boursier de beaucoup supérieur à celui du marché, et le Québec joue un rôle très important dans ce constat.

Pour en faire la démonstration, la Banque Nationale s'apprête à annoncer la création d'un indice des entreprises familiales canadiennes. Le rapport de recherche obtenu par La Presse Affaires révèle que ce nouvel indice dégage un rendement qui dépasse de 120% celui de l'indice composé S&P/TSX sur une période de 10 ans.

«Les résultats de l'indice démontrent la supériorité exceptionnelle du rendement des sociétés canadiennes contrôlées par des familles sur les sociétés canadiennes ouvertes à actionnariat étendu», peut-on lire dans le rapport.

30 entreprises analysées

Pour concevoir son indice, la Banque Nationale a sélectionné 30 entreprises appartenant à différents secteurs et différentes régions du pays. Au final, près de la moitié des entreprises qui font partie de l'indice ont leur siège social au Québec.

«La réalité, c'est qu'il y a plus d'entreprises familiales au Québec, toutes proportions gardées, qu'ailleurs au Canada. Ça s'explique notamment par des raisons historiques», explique un des auteurs de l'étude, Pierre Fournier, qui est analyste géopolitique à la Banque Nationale.

«C'est difficile à expliquer au niveau statistique, mais au niveau historique, on voit qu'il y a plusieurs entreprises qui se sont développées exclusivement au Québec. Elles sont demeurées des entreprises québécoises plus longtemps que ç'aurait été le cas si elles avaient été des entreprises ontariennes, par exemple, qui auraient peut-être été plus facilement achetées par des entreprises américaines ou d'autres entreprises», dit-il.

«La spécificité du Québec, avec tout ce que ça peut inclure, a voulu dire que les entreprises familiales ont pu se développer de façon autonome plus longtemps que ça serait le cas dans d'autres provinces. Les investisseurs de New York, par exemple, étaient peut-être plus timides à l'idée d'aller acheter une entreprise québécoise et être dans l'obligation de fonctionner en partie dans une autre langue, etc.

«Le Québec pendant longtemps, bien que ce soit beaucoup moins le cas aujourd'hui, a été perçu par les entreprises nord-américaines comme une société distincte, avec des entreprises distinctes, qu'on a peut-être laissé aller avant de s'intéresser à leur développement. Ce qui fait que les Couche-Tard du Québec se sont servies de leurs forces localement pour prendre de l'expansion à l'international.»

L'indice élaboré par la Banque Nationale est créé afin de suivre et de mesurer la performance des entreprises canadiennes contrôlées par des familles.

La Banque Nationale soutient ne pas avoir eu un «biais Québec», mais plutôt un «biais familles canadiennes». Pour bien l'illustrer, la banque fait valoir que même si son siège social est à New York, Thomson Reuters fait partie de l'indice puisque l'entreprise est contrôlée par la famille Thomson, de Toronto.

Le droit de vote multiple

En ce qui concerne le débat entourant les structures à actions à droit de vote multiple qui permettent à un petit nombre d'actionnaires, notamment les membres de la famille, d'exercer le contrôle sur les sociétés, les analystes de Banque Nationale Marchés financiers soutiennent que ces structures ont généralement peu d'incidence sur la rentabilité.

«Leurs effets négatifs sur la valeur pour les actionnaires ont été exagérés. Quand les sociétés se portent bien, elles posent rarement problème. C'est quand elles prennent de mauvaises décisions ou affichent un rendement inférieur que la structure à actions multivotantes est perçue comme problématique», peut-on lire dans le rapport.

Il ne sera par ailleurs pas possible pour l'instant d'investir dans ce nouvel indice. Toutefois, l'idée de créer un véhicule d'investissement basé sur l'indice pourrait cheminer. «C'est une décision qui n'a pas encore été prise et qui est un peu dépendante de l'intérêt que ça peut susciter chez les gens», dit Pierre Fournier.

Les critères de sélection

Les 30 sociétés de l'indice ont été sélectionnées en fonction de plusieurs critères.

Une famille détient généralement 25% ou plus des droits de vote; ou la famille exerce une influence importante sur la gestion en occupant des postes de direction ou en exerçant un rôle important au sein du conseil d'administration; ou les membres de la famille sont en mesure de prendre la relève dans la génération qui succède à celle du propriétaire/fondateur ou ont le pouvoir de nommer le PDG.

Des facteurs quantitatifs, mais aussi qualitatifs ont été considérés en se fiant notamment aux analystes de la Financière Banque Nationale qui suivent les activités quotidiennes des entreprises.

Coup d'oeil sur 5 des 30 sociétés de l'indice

Pierre Fournier, un des auteurs du rapport qui débouche sur la création de l'indice des entreprises familiales canadiennes, indique que lorsqu'un individu contrôle une société, ça s'apparente à un contrôle familial de façon générale par rapport aux sociétés qui n'ont pas d'actionnaire de contrôle. Dans le cas de Resources Teck, par exemple, le président du conseil, Norman Keevil, exerce le contrôle sur 30% des actions.

Canadian Tire

Ce détaillant aux multiples spécialités est passé d'un seul et unique magasin en 1922 à Hamilton, en Ontario, à plus de 1700 magasins de détail et stations-service où travaillent 85 000 employés. La famille Billes influence la croissance de Canadian Tire depuis le premier jour. Aujourd'hui, Martha et Owen Billes assurent la continuité en étant tous les deux membres du conseil d'administration de l'entreprise. Ils contrôlent 61% des actions à droit de vote.

Thomson Reuters

L'entreprise fournit la source d'information et de veille économique la plus consultée du monde par les entreprises et les professionnels. Ayant son siège social à New York et une activité importante à Londres et aux États-Unis, la société emploie plus de 57 000 personnes. Woodbridge Inc. (contrôlée par la famille canadienne Thomson) détient 55% du capital.

Bombardier

Le constructeur d'avions et de matériel roulant se distingue comme une des réussites les plus spectaculaires parmi les sociétés contrôlées par une famille au Canada. En 1937, son fondateur, Joseph-Armand Bombardier, obtenait le premier brevet pour le développement d'une autoneige à chenilles à Valcourt, au Québec. L'entreprise s'est beaucoup diversifiée depuis, mais traverse présentement ce qui est probablement la période la plus difficile de son histoire. Bombardier a perdu environ 60% de sa valeur boursière depuis le début de l'année.

George Weston

L'entreprise a été fondée en 1882 et est actuellement dirigée par W. Galen Weston, petit-fils du fondateur George Weston. Les Compagnies Loblaw, principale filiale de George Weston, est dirigée par Galen G. Weston, l'arrière-petit-fils du fondateur. Avec plus de 200 000 employés et 2300 magasins, Weston est un des plus importants employeurs au pays dans le secteur privé. Les magasins Provigo du Québec appartiennent aux Compagnies Loblaw depuis 1998.

Power Corporation

L'empire de la famille Desmarais a commencé avec l'achat d'une entreprise de transport par autobus en Ontario, en 1951. Aujourd'hui, la famille contrôle un conglomérat détenant d'importantes participations dans l'assurance-vie, les fonds communs de placement et la gestion d'actifs. Power Corporation contrôle la Financière Power. Les filiales les plus connues de cette dernière sont la Great-West, la Financière Mackenzie, le Groupe Investors et la London Life. Power Corporation, qui est aussi propriétaire du journal La Presse, est aujourd'hui dirigée par les deux fils de feu Paul Desmarais, André et Paul, jr.