En Chine, les actions d'entreprises fraîchement cotées peuvent s'envoler de 2500% en deux mois: illustration d'un système d'introductions en Bourse contrôlé étroitement par les autorités, restrictif et déconnecté des réalités comme des marchés, tandis que de nombreuses firmes restent à la porte.

Au regard des places boursières occidentales, la récente performance de Baofeng Technology, une firme pékinoise de logiciels de divertissement en ligne, défie toute logique.

Introduit mi-mars sur la Bourse de Shenzhen, son titre a progressé de façon répétée de 10% par jour - la hausse quotidienne maximale autorisée.

L'action a terminé mercredi à 252,86 yuans (36,7 euros): en deux mois, elle aura donc bondi de plus de 2500%, faisant de son président, Feng Xin, un milliardaire en dollars.

Cette hausse stupéfiante doit moins aux fondamentaux de l'entreprise - elle a enregistré des pertes significatives au premier trimestre - qu'à des lacunes structurelles.

C'est à la Commission de régulation des marchés financiers (CSRC), sous contrôle gouvernemental, qu'il revient d'approuver les introductions boursières, ne délivrant ses feux verts que par intermittence.

Elle seule décide de la date de cotation, entérine le nombre d'actions émises et surtout le cours d'introduction: paramètres habituellement déterminés en Occident par le marché et les firmes elles-mêmes.

La CSRC plafonne théoriquement le prix d'introduction à 25% au-dessus du ratio moyen cours/bénéfices des entreprises déjà cotées du même secteur, mais, en pratique, les entreprises sont enjointes à ne pas s'éloigner de ce ratio.

Les firmes ne peuvent donc pas tenir compte de la demande attendue des investisseurs et beaucoup se voient contraintes de s'introduire à un cours très sous-évalué: une manne que les investisseurs se disputent âprement.

Une manne «garantie»

Quasiment toutes les introductions donnent ainsi lieu à une envolée de 44% en une séance: la limite autorisée pour un premier jour de cotation. Certains titres continuent ensuite de grimper de 10% par jour.

Un succès tel que les nouveaux titres attirent massivement à eux les liquidités des investisseurs - beaucoup de petits porteurs - au détriment du reste de la cote et au risque de déstabiliser le marché.

«Si le prix d'introduction est de 5 yuans par action, vous pouvez être sûrs qu'il va immédiatement sauter à 50 yuans. Une certitude, un moyen garanti de gagner de l'argent», commente le coiffeur shanghaïen Wang Youfu, boursicoteur à ses heures.

«Tout le monde veut en profiter... mais l'offre est restreinte», déplore-t-il.

Le système d'allocation est volontiers qualifié d'«opaque», faisant la part belle aux «insiders».

«Le système actuel est problématique et inefficace», observe Zhang Qi, analyste du courtier Haitong. «Certaines entreprises n'arrivent pas à être cotées, alors qu'il y aurait une demande, et des investisseurs regrettent le manque de choix disponibles».

D'autre part, ajoute-t-il, dans le climat de récente euphorie des places chinoises - l'indice shanghaïen a doublé en l'espace d'un an -, les entreprises fraîchement cotées bondissent, quelle que soit la solidité de leur activité.

Dilemme du régulateur

Un moratoire de plus d'un an sur les introductions boursières - adopté initialement pour enrayer la surchauffe des marchés - a été levé en janvier 2014. Sur fond de vif ralentissement économique, Pékin souhaite désormais encourager le recours à la Bourse comme mode de financement des entreprises.

Depuis, malgré la reprise par à-coups des cotations, une liste longue de quelque 500 firmes candidates attend toujours désespérément un feu vert officiel.

La CSRC avait proposé l'an dernier de «clarifier et simplifier les relations entre gouvernement et marché» en permettant aux entreprises, souscripteurs et investisseurs potentiels de déterminer date et valeur d'introduction.

Mais le régulateur hésite à desserrer son étreinte: «Si la CSRC se cantonne au simple enregistrement, il lui sera plus difficile de s'assurer que les détails financiers des entreprises sont exacts», observe Ling Xiyang, du courtier Soochow Securities.

Un problème sérieux: les informations erronées, voire frauduleuses, sont monnaie courante sur les marchés chinois.

En témoigne le communiqué surréaliste publié en avril par Boyuan, fonds d'investissement coté à Shanghai: il s'y disait «incapable de garantir la vérité, l'exactitude et l'exhaustivité» des informations contenues dans son propre rapport annuel d'activité.

Les velléités de réformes de la CSRC demeurent à l'état de «propositions», et «le chemin sera long pour arriver à un système pleinement guidé par le marché», estime M. Ling.