Wall Street a fini la séance en hausse jeudi et battu un nouveau record, espérant que l'état médiocre de l'économie repousse la perspective d'une hausse des taux d'intérêt. Le Nasdaq, à dominante technologique, a dépassé les 5048,62 points qu'il avait atteints en clôture il y a plus de quinze ans, le 10 mars 2000.

Les actions des secteurs de l'énergie et des mines ont par ailleurs enregistré de solides gains, ce qui a aidé la Bourse de Toronto à clôturer en hausse.

Le dollar canadien s'est pour sa part apprécié de 0,55 cent US à 82,33 cents US.

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Les marchés à la clôture :

TSX 15 392,35 / 87,58 (0,57%)

Dow Jones 18 058,69 / 20,42 (0,11%)

S&P 500 2 112,92 / 4,96 (0,24%)

NASDAQ 5 056,06 / 20,89 (0,41%)

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«Enfin, après avoir hésité pendant une dizaine de jours, nous avons dépassé le seuil de résistance», a commenté Peter Cardillo, chez Rockwell Global Capital.

Le Nasdaq était le dernier des trois grands indices à ne pas avoir atteint de nouveaux plus hauts historiques depuis le début de l'année.

«Le marché ne monte pas tellement à cause des résultats d'entreprises», qui pour la plupart affichent des chiffres d'affaires en baisse, mais «parce qu'on a encore eu de mauvaises données économiques aujourd'hui, et que la Réserve fédérale (Fed) va attendre plutôt que de relever les taux d'intérêt dans l'avenir immédiat», a ajouté M. Cardillo.

La Bourse de New York avait d'abord ouvert en baisse, découragée par la stabilité des demandes d'allocations chômage aux États-Unis et des annonces décevantes sur l'activité manufacturière et l'activité privée en Chine et dans la zone euro respectivement, sans trouver d'élan dans les résultats d'entreprise.

En milieu de matinée les ventes de logement neufs ont également déçu en s'affichant en forte baisse, mais peu à peu les indices se sont retournés.

«Le marché se donne un satisfecit», a expliqué Mace Blicksilver, chez Marblehead Asset Management.

«Personne ne veut vraiment acheter des actions parce que les bénéfices sont plutôt faibles (...) mais parce qu'il y a tellement peu d'alternatives (pour investir), personne ne veut en vendre non plus», a-t-il précisé, faisant valoir que les dividendes versés par les entreprises restent plus rentables que des bons du Trésor américain, dont le rendement est inférieur à 2%.

Le facteur «pas d'alternative» 

«Le facteur 'pas d'alternative' prend le pas sur les mauvaises nouvelles pour le moment», a renchéri M. Cardillo.

Jeudi, «la plupart des grands noms de l'industrie ont déçu avec leurs chiffres d'affaires, c'est une tendance qui va finir par se ressentir négativement sur le marché, mais pour le moment le marché semble dire que cela lui est égal», a-t-il conclu.

Parmi les trois composantes de l'indice Dow Jones à annoncer leurs résultats jeudi, l'un, le constructeur d'engins de chantier Caterpillar, sensible aux marchés de l'immobilier et des exploitations minières, a rehaussé ses prévisions malgré un chiffre d'affaires en repli. L'action a cédé juste 0,09% à 84,79 dollars.

Les deux autres, 3M et Procter & Gamble, dont les ventes de produits de grande consommation dans les domaines de la papeterie, de l'hygiène et des cosmétiques, souffrent du dollar, ont reculé de respectivement 3,04% à 159,66 dollars et 1,19% à 80,95 dollars.

Dans le secteur des technologies, Facebook, avec un bénéfice en baisse sous le coup d'investissements, a lâché 2,62% à 82,41 dollars.

Le site marchand eBay, qui prépare sa scission d'avec le spécialiste des paiements en ligne PayPal, a grimpé de 3,77% à 58,89 dollars après avoir renoué avec les bénéfices et dépassé les attentes.

En revanche, Texas Instrument a dégringolé de 6,83% à 54,72 dollars après avoir annoncé des prévisions décevantes.

Le constructeur automobile General Motors (GM) a déçu du côté de ses bénéfices, pénalisé par son départ de Russie et des charges liées à son programme d'indemnisation de victimes de rappels tardifs de voitures. Il a chuté de 3,34% à 35,92 dollars.

La banque d'affaires franco-américaine Lazard a cédé 0,62% à 56,21 dollars après avoir annoncé une baisse de son bénéfice net due à une opération de refinancement de dette.

Le rendement des bons du Trésor à 10 ans a reflué à 1,941% contre 1,984% mercredi soir, et celui des bons à 30 ans à 2,632% contre 2,668%.

Le Nasdaq, un indice comme un autre

(Julien DURY) En finissant jeudi à un stade jamais vu, à 5056,06 points, le Nasdaq a dépassé son niveau d'il y a quinze ans, grande époque de la bulle technologique, mais ses bases semblent bien plus solides, estiment les analystes.

Le Nasdaq a gagné juste 0,41% en séance, soit 20,89 points, pour dépasser son précédent record de clôture, qui remontait aux 5048,62 points du 10 mars 2000. «Nous avons enfin vaincu un seuil de résistance», a commenté Peter Cardillo, chez Rockwell Global Capital.

En 2000, ce record avait marqué l'apogée d'une bulle du secteur technologique, dont l'indice est une vitrine en Bourse. Les cours, et donc la volonté des investisseurs d'y consacrer de l'argent, avaient atteint un niveau très élevé par rapport à la capacité des entreprises à générer de la valeur.

Face à cette situation déséquilibrée, la bulle avait fini par imploser et l'indice avait fondu de moitié durant les mois suivants, pour finir l'année 2000 sous les 2500 points puis baisser jusqu'à 1114,11 points en octobre 2002.

Entre-temps, plusieurs emblèmes de cette flambée avaient fait faillite, dont le site Pets.com, spécialiste des produits pour animaux domestiques, ou le revendeur de jouets eToys.com.

Signe que les marchés gardent à l'esprit les excès de cette période, Bob Greifeld, le directeur général de la plateforme boursière du Nasdaq, avait pris garde début mars de relativiser les comparaisons avec la situation actuelle, à l'occasion de sa première clôture au-dessus des 5000 points depuis quinze ans.

«La 'nouvelle économie' dont on parlait voici quinze ans est vraiment devenue notre économie», a-t-il déclaré à la chaîne d'information financière CNBC.

Le symbole le plus frappant de cette évolution est le groupe informatique Apple, qui représente à lui seul un dixième du Nasdaq, et est entré en mars dans l'indice vedette Dow Jones, peu après avoir fait état d'un bénéfice trimestriel sans précédent pour une entreprise cotée à 18 milliards de dollars.

«Les différences sont nombreuses par rapport à 2000», a insisté Michael Stiller, spécialiste du Nasdaq pour le secteur technologique. «La révolution des smartphones est passée par là dans la téléphonie, l'accès à internet est devenu plus important en Chine et en Afrique. Ce n'est tout simplement plus le même tableau.»

Plusieurs analystes s'accordent à reconnaître que le purgatoire de quinze ans du Nasdaq lui a permis de se normaliser, jusqu'à représenter aujourd'hui un territoire d'investissements aussi stable que le Dow Jones, qui compte juste 30 valeurs, ou le S&P 500, plus large et jugé très représentatif de l'ensemble du marché.

Les biotechs inquiètent 

Ils mettent en avant le meilleur équilibre entre secteurs économiques dans le Nasdaq, qui n'est plus autant dominé par les valeurs technologiques, et, surtout, le rapport entre les valorisations boursières des entreprises et leurs bénéfices annuels.

Selon les chiffres de M. Stiller, ce ratio était en moyenne de 20 à la fin 2014 au sein du Nasdaq, ce qui reste élevé mais n'a rien à voir avec le rapport de 1 à 90 qui était enregistré fin 1999.

«Il ne faut pas se mettre à avoir peur parce que l'on a dépassé les 5000 points», a jugé Greg Peterson, de Ballentine Partners. «Les groupes du Nasdaq ne sont plus survalorisés comme en 2000».

Toutefois, même s'il estimait que des grands groupes comme Apple, première entreprise américaine à dépasser les 700 milliards de dollars de capitalisation boursière, sont «raisonnablement valorisés», M. Peterson a reconnu que «le risque de bulles existe pour d'autres groupes. Nous n'en sommes pas là, mais c'est quelque chose à surveiller».

Le secteur des biotechnologies suscite notamment quelques inquiétudes, au moment où la consolidation du secteur pharmaceutique pousse les investisseurs à se tourner vers des laboratoires peu connus du grand public, comme Amgen, Biogen ou Gilead, dont la valorisation de 150 milliards de dollars dépasse celle du géant français Sanofi.

Mais les préoccupations sur le niveau élevé du Nasdaq ne diffèrent pas beaucoup de celles suscitées par les autres indices de Wall Street, après six ans de hausse.

«Le Dow Jones et le S&P 500 sont eux-mêmes un peu trop élevés, même si on ne peut pas parler de bulle», a noté M. Peterson, se disant partisan «d'investir dans le Nasdaq sans en faire un domaine de priorité.»