Placements Manuvie, à Dorval, est au coeur de l'enquête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur de possibles délits d'initiés réalisés sur le titre boursier de la firme Amaya, a appris La Presse.

Selon nos informations, les transactions boursières de plusieurs dizaines d'investisseurs de partout au Canada sont passées au peigne fin.

L'enquête de l'AMF ratisse large pour comprendre comment certains investisseurs auraient pu savoir à l'avance qu'Amaya achèterait le géant PokerStars, en juin, profitant ainsi de l'explosion du titre d'Amaya. En quelques jours, l'action de l'entreprise de jeux en ligne est passée de 7,71$ à 12,02$.

Plusieurs sources nous indiquent que des courtiers du bureau de Dorval de Placements Manuvie sont particulièrement visés dans cette affaire. Certains de leurs clients auraient acheté un grand nombre d'actions d'Amaya dans les semaines précédant la transaction, ce qui a alerté les autorités sur de possibles délits d'initiés, une infraction grave.

Dans la soirée du 12 juin 2014, Groupe de jeux Amaya annonçait l'acquisition d'Oldford Group, de l'île de Man, pour 4,9 milliards US. La filiale d'Oldford, Rational Group, est la plus importante entreprise de jeux de hasard internet du monde, connue notamment pour ses sites PokerStars et Full Tilt Poker. Oldford compte 1700 employés et son chiffre d'affaires excède 1 milliard US.

Durant le mois qui a précédé l'annonce, le volume d'actions d'Amaya échangées à la Bourse de Toronto a connu une hausse spectaculaire. En moyenne, 853 000 actions ont changé de main chaque jour, soit 2,4 fois plus que durant les mois précédents. L'intérêt soudain des investisseurs a fait grimper le titre de 52% en un mois, alors qu'il avait gagné seulement 11% au cours des huit mois précédents.

Le titre a commencé à bouger à la mi-mai. Durant les quatre jours suivant la fête de la Reine (19 mai), 4,7 millions d'actions d'Amaya ont changé de main à la Bourse S&P/TSX, et le titre a grimpé de 33%, à 10,25$. La seule journée du vendredi 23 mai a été frénétique: plus de 2 millions d'actions ont été échangées.

Cette activité anormale a obligé Amaya à publier un communiqué le lundi 26 mai en matinée. «Amaya évalue régulièrement des occasions d'acquisitions potentielles. De temps à autre, ce processus mène à des discussions avec des cibles d'acquisitions potentielles. Il n'y a aucune assurance que de telles discussions aboutiront ultimement à une transaction», a alors écrit l'entreprise.

Des courtiers visés

Six mois après la transaction, soit le 10 décembre, l'AMF frappait à la porte des courtiers Manuvie et Canaccord, à Montréal, et au siège social d'Amaya, à Pointe-Claire. Le chien de garde des marchés financiers avait en main un mandat de perquisition autorisé par un juge de la Cour supérieure.

Pour justifier ses perquisitions, l'AMF a notamment remis aux trois organisations des listes distinctes de personnes suspectées de délits d'initiés, avec leur numéro de compte de courtage.

La liste d'Amaya comprendrait une vingtaine de noms, celle de Canaccord, une cinquantaine, et celle de Manuvie en contiendrait tout autant. Il s'agirait de clients de Manuvie et de Canaccord, et aucun des employés d'Amaya n'y figurerait.

La Presse a pris connaissance de certains noms de courtiers qui seraient ciblés par l'enquête chez Manuvie et de certains clients, mais n'a pas encore été en mesure de faire confirmer leur identité.

Les soupçons de l'AMF n'ont aucunement été prouvés, et il n'est pas clair que des accusations puissent être déposées rapidement. Il est très difficile de démontrer qu'une personne a profité d'informations privilégiées concernant une entreprise pour s'enrichir en Bourse. Les personnes trouvées coupables de délits d'initiés sont rares au Canada.

Tous nos appels chez Manuvie à Dorval ont été renvoyés à Toronto. Et dans la Ville Reine, il n'a pas été possible d'avoir de commentaires. «Toutes vos demandes doivent être adressées à l'AMF», nous a dit la porte-parole, Rebecca Freiburger.

Même mutisme à l'AMF et chez Canaccord. Le responsable des communications d'Amaya, Eric Hollreiser, a été peu loquace.

«À notre connaissance, aucune allégation de mauvaise conduite n'a été formulée à l'endroit de la société, et nous ne détenons présentement aucune information nous portant à croire qu'un acte répréhensible ait été commis par l'un des employés de la société», a-t-il dit.

-Avec la collaboration de Jean-Sébastien Gagnon, Vincent Larouche et Daniel Renaud

Amaya en Cour contre l'AMF

L'enquête de l'Autorité des marchés financiers (AMF) sur de possibles délits d'initiés met l'entreprise Amaya dans l'embarras. L'industrie du jeu est hyper réglementée partout dans le monde, et l'entreprise doit montrer patte blanche.

Les avocats d'Amaya tentent donc par tous les moyens de comprendre le modus operandi de l'AMF. Le 16 janvier, ils se sont présentés en cour pour obtenir la déclaration assermentée de l'enquêteur de l'AMF au dossier, David Gallant. Cette déclaration explique les motifs qui donnent à l'AMF des raisons de croire que des infractions à la Loi sur les valeurs mobilières ont pu être commises.

Les avocats d'Amaya ont demandé la plus stricte confidentialité au tribunal. Fait exceptionnel, la requête n'a pas été inscrite au rôle, les noms des parties n'ont pas été mentionnés à l'audience, et la juge a accordé à Amaya une ordonnance de non-publication. La déclaration caviardée de l'enquêteur a finalement été remise à Amaya le 27 janvier, selon nos informations.

L'entreprise qu'Amaya vient d'acheter, faut-il rappeler, a eu des problèmes avec les autorités. Il y a quatre ans, le site américain de PokerStars a été débranché dans la foulée d'accusations de fraude bancaire et de blanchiment d'argent contre des dirigeants de l'entreprise Rational Group par le FBI. En 2012, Rational a accepté de payer une amende de 731 millions US en lien avec cette affaire, sans toutefois admettre de méfait.

Pour mettre en confiance les organismes de réglementation, Amaya a nommé à son conseil d'administration des membres influents de la communauté des affaires du Canada et des États-Unis. Y siège notamment le général américain retraité Wesley Clark et un ex-administrateur de la Régie des jeux de la Californie, Harlan Goodson.

Le conseil d'administration est également conseillé par l'ex-surintendant principal de la Gendarmerie royale du Canada, Ben Soave. Et Amaya vient tout juste d'ajouter un ex-policier ontarien à sa liste de conseillers en la personne de Chris D. Lewis. De plus, la charte d'Amaya lui permet de racheter les actions de tout actionnaire de l'entreprise qui nuirait à sa réputation.