Sans surprise aucune, Québec a vivement réagi à la nouvelle initiative fédérale ayant pour but de créer un organisme pancanadien de réglementation des marchés des capitaux, conçu avant tout pour favoriser Toronto et les institutions de Bay Street.

«C'est une violation directe de la Constitution, a affirmé hier matin le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, Alexandre Cloutier. Nous n'hésiterons pas à saisir les tribunaux.»

Son collègue aux Finances, Nicolas Marceau, a pour sa part fait valoir que le projet d'organisme coopératif, auquel adhèrent déjà l'Ontario et la Colombie-Britannique, «rendrait à terme inopérant le régime actuel».

Or, tous conviennent à Québec que le système des passeports réglementaires «fonctionne bien», a résumé le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault.

Ce qui est en jeu dans cette nouvelle passe d'armes, ce sont quelque 150 000 emplois bien payés qui représentent 6% de la taille de l'économie québécoise, a rappelé le ministre Marceau.

L'avantage du système des passeports, c'est celui de la proximité qui favorise l'accès aux capitaux aux entreprises québécoises, en particulier celles implantées en région et de taille moyenne.

En vertu du fonctionnement actuel, si une autorité provinciale ou territoriale avalise le produit financier d'un émetteur, le feu vert est automatiquement reconnu par toutes les autorités. Seul l'Ontario n'adhère pas au système des passeports réglementaires, bien qu'à l'usage, il n'ait pas contesté les décisions prises par ses vis-à-vis des autres provinces ou territoires.

Dans un avis unanime, le tribunal avait statué que le projet fédéral de commission de valeurs unique était inconstitutionnel et représentait une «intrusion massive» dans le champ de compétence des provinces.

Hier, le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, n'a pas prévenu ses homologues provinciaux de son annonce.

Québec l'anticipait néanmoins, compte tenu de l'annonce faite dans le Plan budgétaire fédéral du 29 mars 2012. Trois mois à peine après l'avis de la Cour suprême, Ottawa y réaffirme qu'un «organisme commun de réglementation des valeurs mobilières procurerait au Canada un avantage concurrentiel» et que des consultations avec les provinces et territoires étaient amorcées.

Dans le Plan du 21 mars 2013, on peut lire en toutes lettres qu'Ottawa entend «proposer des mesures législatives pour mettre à exécution les responsabilités du gouvernement à l'égard des marchés financiers, conformément à la décision rendue par la Cour suprême du Canada, si un accord ne peut être conclu en temps opportun avec les provinces et les territoires au sujet d'un organisme commun de réglementation des valeurs mobilières».

Ce qui paraît en cause, c'est l'interprétation du jugement de la Cour suprême du 21 décembre 2011.

L'avis entrebâillait cependant une porte à Ottawa en ce qui concerne la possibilité de risque systémique sur les marchés des capitaux, en cas de défaillance d'une autorité provinciale.

M. Marceau a indiqué avoir été informé de l'initiative fédérale par son vis-à-vis de la Colombie-Britannique, Mike de Jong. Il affirme aussi s'être entretenu par téléphone avec son homologue albertain Doug Horner qui l'aurait assuré de son opposition au projet.

L'Alberta et le Québec avaient sonné la charge contre la volonté fédérale d'établir une commission pancanadienne de valeurs mobilières. Les cours d'appel des deux provinces avaient débouté Ottawa.

Il en va tout autrement de la Colombie-Britannique, ambivalente dans ce dossier. La Porte canadienne sur le Pacifique, comme elle aime se surnommer, s'était ralliée au Québec et à l'Alberta dans leur bataille, tout en étant favorable au principe d'une autorité pancanadienne, à condition qu'elle demeure sous la juridiction provinciale.

Voilà pourquoi il est désormais question d'un «organisme coopératif» de réglementation non plus des seules valeurs mobilières mais des «marchés des capitaux», un concept large qui englobe la notion de risque systémique.

Ce week-end, Québec est l'hôte d'une rencontre des ministres provinciaux et territoriaux des Finances. Gageons que l'ordre du jour vient d'être complètement chamboulé.