En 2008, l'investisseur et auteur indo-américain Mohnish Pabrai et un collègue ont payé 650 100$ à un organisme de charité pour remporter un souper avec Warren Buffett. Depuis, ce gestionnaire d'un portefeuille de plus de 500 millions US, lancé en affaires avec 70 000$ empruntés sur ses cartes de crédit, fascine le monde de la finance par son humilité... et sa propension à battre le S&P 500. Notre correspondant l'a rencontré en Californie.

IRVINE, Californie - Sur les murs de ses bureaux d'Irvine, au sud de Los Angeles, Mohnish Pabrai a accroché des rapports annuels d'entreprises, encadrés et placés en trois sections distinctes.

Près de l'entrée se trouvent les «gagnants», les investissements qui ont rapporté cinq ou dix fois la mise, ou plus. Près des stations de travail se trouvent les investissements «corrects», qui ont atteint de bons résultats, mais ont fait moins bien que prévu.

Dans la cuisinette, près du frigo, est affiché le «mur de la honte».

Dégonfler son ego

«Quand je vais me faire un café, je suis face à face avec mes pires erreurs, dit Mohnish Pabrai, affichant un large sourire. C'est difficile de développer un ego quand vous avez, chaque jour, le nez collé dans vos décisions les plus stupides.»

Ce n'est pas un hasard si Mohnish Pabrai aime dégonfler son propre ego. Ses maîtres à penser, Warren Buffett et Charlie Munger, font de même depuis des décennies.

Or, Mohnish Pabrai pousse l'exercice plus loin encore: il affirme n'avoir «aucune idée originale», et note que la structure de son entreprise, Pabrai Investment Funds, est un calque parfait de celle de Berkshire Hathaway.

À ce jour, M. Pabrai gère plus de 500 millions, et a atteint une notoriété dans les cercles des investisseurs américains pour son franc-parler, et ses résultats annuels qui battent les indices, année après année.

«Je n'ai que très rarement des idées neuves, dit-il à La Presse. Je suis un éternel cloneur, et je n'ai jamais compris pourquoi plus de gens ne font pas comme moi.»

Visa et MasterCard

Mohnish Pabrai n'a pas toujours su qu'il voulait devenir investisseur. En 1991, alors qu'il travaillait pour la boîte de télécoms Tellabs, Pabrai a décidé de lancer une entreprise internet baptisée TransTech, qu'il a notamment financée avec 70 000$ empruntés sur ses cartes de crédit. «Mes partenaires d'affaires étaient Visa et MasterCard», dit-il en riant.

Neuf ans plus tard, M. Pabrai a vendu TransTech pour 20 millions de dollars. Il a lancé Pabrai Investment Funds, et gère aujourd'hui l'argent de 400 investisseurs, surtout des familles d'entrepreneurs.

Comme son mentor, Warren Buffett, Mohnish Pabrai aime avoir un horaire vide. Il prend peu de rendez-vous. Il quitte généralement son bureau à 14h.

Pabrai prend toutes les décisions d'investissement seul.

«Les gens compliquent les choses, dit-il, et ne voient plus ce qui se trouve au bout de leur nez.»

Pabrai a fait le pari de la franchise: dans ses lettres annuelles, il commence par parler des investissements qui ont mal réussi, ce que pratiquement personne ne fait, sauf Berkshire Hathaway, dit-il.

«C'est une bonne décision d'affaires de dire la vérité: quand vous mentez à quelqu'un, peut-être qu'il ne s'en rend pas compte, mais son subconscient le sait. La vérité sans artifice, c'est quelque chose de très captivant.»

En 2008, durant le krach, le portefeuille de Pabrai a chuté de 67%. Il n'y a pas eu d'hémorragie chez ses investisseurs.

«Quelques années plus tard, ma femme est tombée sur ma lettre aux investisseurs de 2008, et a sursauté quand elle a vu la baisse de 67%. Elle m'a dit: «C'est drôle, mais je n'ai pas remarqué de changement chez toi en 2008. Tu n'avais pas l'air différent. «De temps à autre, le marché subit une correction majeure. Il n'y a rien qu'on puisse faire, alors à quoi bon paniquer?»

Durant son souper avec Buffett, en 2008, lui et son collègue Guy Spier en ont surtout profité pour remercier l'Oracle d'Omaha de les avoir inspirés. «Ce qui frappe avec Buffett, c'est à quel point il saisit tout très rapidement. C'est une machine à apprendre. Il n'arrête jamais de lire, c'est l'une des clés de son succès.»

M. Pabrai évite d'emprunter pour investir, et s'intéresse aux entreprises qui ont un avantage compétitif à long terme, et qui sont préférablement mal-aimées par le marché. Bref, des occasions qui ne coûtent pas cher et comportent peu de risques, mais qui peuvent rapporter gros. Une philosophie qu'il explique dans son livre, The Dhandho Investor.

Chercher les occasions

Ces jours-ci, Mohnish Pabai cherche de nouvelles idées pour investir l'argent comptant qui patiente dans son fonds. Il a déjà d'importantes positions dans Citi, Bank of America, GM et dans le producteur de gaz naturel Chesapeake Energy.

«On nous a tous appris que, pour faire des investissements fructueux, il faut prendre des risques toujours plus grands. Or, si un investisseur peut faire un pari virtuellement sans risque, avec des résultats exponentiels, et continuer de le faire encore et encore, les résultats sont saisissants.»

Ces occasions existent, dit-il, mais ne se présentent pas souvent.

«Ça fait 10 mois que je cherche une nouvelle idée d'investissement, sans succès jusqu'ici. Il faut être patient. En investissement, contrairement au baseball, on ne compte pas les prises. On a tout le temps du monde pour identifier l'occasion parfaite avant de décider d'y aller.»

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Cloner Buffett: une stratégie payante inexploitée

Les investisseurs qui ne sont pas prêts à passer leurs journées à lire des rapports annuels et des analyses peuvent très bien s'en tirer en clonant les décisions de Warren Buffett, croit Mohnish Pabrai. «Depuis trois décennies, si vous aviez acheté les mêmes actions que Warren Buffett le dernier jour du mois où l'information qu'il achetait a été rendue publique, et si vous aviez vendu le dernier jour du mois où on a su qu'il avait vendu, vous auriez battu le S&P 500 par plus de 11,5% annuellement. « Tout ça, en n'ayant aucune idée originale. Mais personne ne le fait. C'est incompréhensible.», dit M. Pabrai.

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Mohnish Pabrai en trois citations

«Je n'ai rien de neuf à partager. Tout ce que je vais faire, c'est vous donner des vieilles idées qui viennent des autres.»

«Nous aimons garder de l'argent comptant, de cette façon nous ne manquons pas l'occasion de saisir une occasion à long terme.»

«Contrairement à la neurochirurgie, dans le monde des investissements, vous pouvez faire des erreurs 40% du temps et vous en tirer brillamment.»

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Les principaux investissements actuels de Mohnish Pabrai

> Bank of America Corporation

> Chesapeake Energy Corp.

> Citigroup Inc.

> Horsehead Holding Corporation

> General Motors Co.

> Goldman Sachs Group Inc.