Vous connaissez un entrepreneur québécois qui dirige une entreprise cotée en Bourse? Prenez-en soin. Parce que vous avez affaire à une espèce en voie de disparition.

L'affirmation est à peine exagérée. Les entreprises québécoises ne représentent plus que 7,6% de toutes les sociétés inscrites à la Bourse de Toronto, selon les chiffres du Groupe TMX.

La proportion est encore plus faible sur la Bourse de croissance, où les 154 entreprises québécoises ne comptent plus que pour 6,8% du nombre de sociétés inscrites.

«Notre poids relatif à la Bourse est beaucoup plus faible que notre poids dans l'économie canadienne, et il diminue», constate Louis Doyle, vice-président, Montréal, Bourse de croissance TSX.

Certaines comparaisons sont frappantes. L'an dernier, par exemple, 170 entreprises de la Colombie-Britannique ont fait leur entrée à la Bourse croissance TSX. Le Québec, qui compte pourtant 1,8 fois plus d'habitants, n'a fait inscrire que 16 sociétés.

Pourquoi? Des experts en ont discuté la semaine dernière au congrès annuel de Réseau capital, l'association du capital d'investissement québécois.

L'une des explications évoquées est la disparition des firmes de courtage québécoises, qui se sont fait avaler par les grandes banques canadiennes dans les années 80 et 90. Le gros des activités s'est évidemment retrouvé à Toronto.

«Quand j'ai commencé, il y avait des firmes comme Marleau Lemire, Lévesque Beaubien, Geoffrion Leclerc, qui travaillaient exclusivement au Québec. Maintenant, ça n'existe plus», déplore André Brosseau.

Cet ancien président de Blackmont Capital a réagi en fondant sa propre firme, Avenue Capital Markets, justement pour combler ce vide.

Selon lui, il est bien difficile pour une entreprise québécoise qui ne fait pas dans le secteur minier ou le pétrole d'intéresser les courtiers qui préparent les entrées en Bourse.

«Quand on sort des secteurs vedettes du TSX, il faut aller voir les investisseurs et les éduquer, leur expliquer ce que fait la société... C'est un travail monumental. Le banquier de Toronto préfère aller à Calgary et faire deux transactions avec des sociétés pétrolières qui vont lui rapporter un million en commissions plutôt que de se planter les pieds à Joliette ou à Sorel et prendre sept mois pour amener une entreprise du secteur traditionnel en Bourse pour des frais de 200 000$», lance M. Brosseau.

Un défi qui en vaut le coup

Daniel Sebag en sait quelque chose. M. Sebag est chef des finances d'Amaya Gaming, une entreprise techno québécoise qui vend des logiciels aux gouvernements pour les aider à gérer leurs loteries et jeux en ligne.

L'entreprise a fait son premier appel public à l'épargne en juillet 2010. «Ça a été un défi, admet M. Sebag. À ce moment, le marché des actions technologiques n'était pas à son meilleur. On sentait clairement qu'on était à contre-courant.»

Un an et demi plus tard, pourtant, il ne regrette rien. Amaya a réalisé une première acquisition peu après son entrée en Bourse, qu'elle a payée en partie avec ses actions. Elle prépare actuellement une autre offensive pour avaler une entreprise irlandaise.

«Être en Bourse nous a donné de la visibilité et de la crédibilité, dit M. Sebag. Ça s'est traduit par des contrats avec les gouvernements et ça nous a même permis de décrocher du capital hors de la Bourse.»

Martin Gagnon, directeur, financement des sociétés, à la Financière Banque Nationale, note quant à lui que les particuliers québécois sont de moins en moins intéressés à investir dans des actions de sociétés. La plupart du temps, les entreprises inscrites suscitent ainsi peu d'enthousiasme et leur titre manque de liquidité.

«Les gens jouent les indices boursiers. Ils ne font plus de stock picking», observe-t-il.

Fonds fiscalisés

L'autre cause évoquée prend la forme d'une bonne nouvelle. C'est que la forte présence des fonds fiscalisés au Québec (Fonds de solidarité FTQ, Fondaction CSN et autres) met sur la table du capital que les entreprises peuvent utiliser sans aller en Bourse.

Le Québec, par exemple, a décroché l'an dernier 36% de tout le capital-risque investi au Canada, soit autant qu'en Ontario.

De là à conclure que les entreprises québécoises n'ont pas besoin de la Bourse parce qu'elles peuvent se financer autrement, il y a un pas que les experts ne franchissent pas.

Pour André Brosseau, la Bourse et le capital-risque répondent à des besoins très différents et s'adressent à des entreprises qui n'ont pas atteint le même stade de développement.

Les solutions? «Ce qu'on souhaiterait, c'est voir les joueurs clés du Québec - le Fonds de solidarité FTQ, Desjardins, le Fondaction CSN - jouer le même rôle de catalyseur envers les marchés publics qu'ils ont joué en capital-risque», a dit Louis Doyle, du TSX.

Favoriser la création de fonds qui s'intéressent aux PME, revoir certaines dispositions du Régime d'épargne-actions et offrir des crédits d'impôt remboursables pour les coûts d'inscription en Bourse font partie des autres solutions proposées.