Au début de l'année, La Presse Affaires a demandé à quatre stratèges d'investir une somme fictive de 50 000$ destinée à un REER. Ils font ici le point sur le troisième trimestre, marqué par une aversion au risque et une volatilité extrêmes, stimulées par des enjeux politiques d'une rare complexité. Ils nous précisent aussi ce qu'ils voient pour les mois d'automne et ajustent leur répartition, s'il y a lieu.

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Très difficile le métier de gestionnaire de portefeuille quand le risque prépondérant est de nature politique.

C'est pourtant le dysfonctionnement du Congrès américain et les tergiversations des gouvernements de la zone euro à trouver une solution viable à la crise de la dette souveraine qui auront animé les marchés financiers durant l'été. Au point où des indicateurs de bonne santé, comme le niveau élevé des bénéfices des entreprises, sont passés au deuxième plan.

Voilà pourquoi les rendements de juillet à septembre ont effacé les maigres gains du premier semestre et même grugé le capital.

Les gestionnaires qui ont fait preuve de prudence ont été moins touchés, car, contre toutes attentes, le marché obligataire a été de loin celui qui a produit les meilleurs rendements.

«Ça ressemble étrangement à 2008: on attend de voir ce que les autorités fiscales et monétaires vont faire et on oublie les profits des entreprises, résume François Bourdon, vice-président et chef adjoint des placements chez Fiera Sceptre. Ça devient un environnement binaire et il y a un risque d'effondrement du système.»

Ce n'est toutefois pas son scénario de base qui prévoit plutôt une faible croissance aux États-Unis au cours des prochains trimestres. Quant à l'Europe, sa croissance n'est pas sur le radar des gestionnaires, estime-t-il.

Il garde donc intacte sa répartition d'actif qui a plutôt bien résisté à la déferlante estivale.

À l'opposé, Michel Doucet réaménage le portefeuille de Valeurs mobilières Desjardins, très malmené au cours des deuxième et troisième trimestres. Le vice-président, gestion de portefeuille, fait grimper de 20% à 35% la portion placée en revenus fixes, en ligne avec un portefeuille équilibré avec tolérance moyenne au risque. «Quand on est tributaire du politique, on couvre son portefeuille.»

Selon M. Doucet, les Européens doivent absolument éviter la contagion, car la faillite de la Grèce entraîneraît des pertes pour les banques détentrices de sa dette. «Ça peut représenter 180 milliards d'euros, ce qui équivaut à un an ou un an et demi de profits. C'est gérable.»

Depuis des mois, c'est le marché obligataire qui gère la conduite de l'Europe. Cela donne un répit à Washington qui peut financer sa dette à des taux hors pair. Advenant une solution crédible à la dette souveraine sur le Vieux Continent, les feux seront braqués sur le marché américain où les taux pourraient grimper.

C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre l'opération Twist lancée par la Réserve fédérale le mois dernier.

À compter d'aujourd'hui, la Fed troque ses Treasuries qui arrivent à échéance contre des titres de longue durée de manière à infléchir les taux d'intérêt à long terme. En octobre, la valeur du troc est estimée à 44 milliards.

«Je crois que le marché obligataire a terminé son rallye, estime Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. Actuellement, ce marché escompte une récession assez sévère. Or, les indicateurs ne sont pas conformes aux perceptions selon lesquelles on serait au bord de la récession.»

Comme pour lui donner raison, les données américaines de l'ISM manufacturier pointaient vers le nord pour une première fois en trois mois et indiquaient que la production en usine était toujours en expansion.

Les grandes révisions du Bureau of Economic Analysis en juillet ont paradoxalement montré deux choses: la récession américaine avait été plus profonde qu'estimée et sa reprise moins forte alors que les bénéfices des sociétés avaient été sous-estimés.

Voilà pourquoi M. Delisle augmente de cinq points sa pondération en actions pour un deuxième trimestre d'affilée. Toutefois, il garde à 23% la part de ses billes en titres canadiens. «C'est une année épouvantable pour les gestionnaires canadiens. En plus des prix des matières premières qui reculent, il y a aussi les déboires de RIM et de SinoForest.»

Stéfane Marion, stratège et économiste en chef à la Banque Nationale, n'est pas d'accord. «Le marché canadien est bon pour préserver le capital», rappelle-t-il. Il y place 30% de ses billes, sur la foi que l'économie mondiale progressera de 3% l'an prochain, ce qui devrait soutenir les titres de ressources.

M. Marion craint en revanche le dénouement des négociations au Congrès sur un plan décennal de réduction des déficits de l'ordre de 1500 milliards. Faute d'accord à la Thanksgiving, des coupes automatiques du même ordre frapperont dès janvier 2013.

«Est-ce que le Congrès peut faire l'erreur de ne pas reconduire les baisses d'impôt entrées en vigueur en janvier? Si oui, il y aura une ponction sur les revenus qui peut augmenter le taux de chômage.»

Voilà pourquoi M. Marion fait passer de 41% à 45% sa pondération en titres à revenus fixes. «La volatilité est très grande, explique-t-il. Si ce n'était pas de la politique américaine, je serais davantage en actions.»