Les investisseurs autonomes sont des cancres. Ils ne maîtrisent pas les concepts de base de la gestion de portefeuille. Et ils ont des problèmes de comportement. S'ils étaient inscrits dans un cours de finance, ils s'en tireraient avec une note lamentable: E pour échec.

«Les investisseurs qui gèrent leur patrimoine eux-mêmes ont un niveau de connaissances relativement faible, mais se pensent relativement bons», résume Jean-Marc Suret, professeur à la faculté des sciences de l'administration de l'Université Laval. Il a dévoilé, hier, les résultats alarmants d'une enquête menée auprès de 1814 investisseurs individuels qui gèrent eux-mêmes leur portefeuille d'actions.

Même s'ils ont un portefeuille d'une valeur médiane de 200 000$, la majorité des investisseurs n'ont pas les connaissances suffisantes pour gérer efficacement leurs actifs.

Trois personnes sur cinq ne reconnaissent pas que, pour obtenir un rendement plus élevé, il faut prendre davantage de risque, «une relation de base en finance», souligne M. Suret.

Deux investisseurs sur cinq ne savent pas que les dividendes ne sont pas garantis et que les grands indices boursiers comme le S&P\TSX de la Bourse de Toronto sont composés essentiellement de grandes entreprises.

La diversification du portefeuille est aussi très mal comprise. De manière générale, «tout le monde connait le concept, mais personne ne l'applique», dit M. Suret. À peine le tiers des investisseurs savent qu'il faut au moins 10 titres pour obtenir une diversification suffisante dans un portefeuille d'actions.

Dans la pratique, la majorité (58%) des investisseurs possèdent moins de six titres différents. Et 70% de ceux qui investissent dans les petites capitalisations détiennent moins de six titres, alors que ces titres plus risqués exigent une plus grande diversification.

Au bout du compte, à peine 5% des investisseurs sondés obtiennent la note de passage. Paradoxalement, les deux tiers (64%) des répondants pensent avoir de bonnes compétences en gestion de portefeuille.

Ainsi, ils surestiment leur capacité à détecter un titre exceptionnel dans un panier de 20 titres. «Ils surévaluent leur capacité à faire du stock picking», dit M. Suret.

De plus, ils ont une préférence marquée pour les actions loterie. «Ils ont envie d'investir dans des titres qui, 9 fois sur 10, vont être un échec total, mais qui peuvent livrer un rendement exceptionnel 1 fois sur 100. C'est le syndrome du prochain Microsoft», explique M. Suret.

Conséquence: les investisseurs individuels obtiennent des rendements médiocres. «Plus ils transigent, plus leur rendement est faible. Et les investisseurs impliqués dans des titres de petite capitalisation font des rendements catastrophiques», ajoute le professeur. Or, plusieurs souffrent d'aveuglement. Ils ne savent pas quel a été leur rendement de leur portefeuille. Et ils s'attribuent le mérite de leurs bons coups, mais blâment le marché pour leurs faux pas. Sans prise de conscience de la réalité, ils peuvent difficilement apprendre de leurs erreurs, déplore M. Suret.

Les investisseurs doivent faire leurs devoirs: «Analyser l'information en profondeur, lire les états financiers, faire le travail des analystes. Mais ça demande un investissement en temps qui est considérable, plusieurs heures par jour», dit M. Suret.

Pour améliorer les compétences financières des particuliers, beaucoup d'organismes ont lancé des offensives de littérature financière. Mais ils risquent de noyer les épargnants dans une mer d'information, à moins de miser sur des outils d'apprentissage interactifs.

«Il faut adapter les outils de formation aux lacunes des investisseurs, lacunes qui seraient détectées au départ par un questionnaire, comme on le fait dans un cours de langue», suggère M. Suret.

De leur côté, les pouvoirs publics devraient réfléchir au fait qu'on laisse entrer en Bourse des entreprises en démarrage. Du coup, on met des titres très risqués à la disposition d'investisseurs qui ont peu de connaissance. «Est-ce qu'on a le bon équilibre entre la capacité des petites entreprises de se financer et la protection des investisseurs?», demande M. Suret.