Si les économies émergentes sont promises à une croissance plus robuste que les occidentales, leurs Bourses ne suivront pourtant pas la même ascension. Et inversement, quelques indices nationaux occidentaux performeront davantage que leur économie réelle.

La sélection de titres deviendra de plus en plus le nerf de la guerre, croit Pierre Fournier, analyste géopolitique à la Banque Nationale.

«On assiste à une déconnexion entre la croissance économique et les indices boursiers», explique-t-il entrevue.

Avec son collègue Angelo Katsoras, il vient de signer Obstacles structurels à la croissance dans les économies avancées. Stratégies de placement dans le nouvel ordre géopolitique mondial.

«Les investisseurs doivent bien garder en tête que croissance économique et rendement du marché vont de moins en moins de pair au niveau national», soulignent les deux analystes d'entrée en jeu.

Ainsi le S&P 500 pourra-t-il mieux faire que la plupart des indices européens en raison de la présence d'entreprises dont le chiffre d'affaires dans les économies émergentes est substantiel. M. Fournier mentionne Carterpillar et Walmart.

Au premier trimestre 2010, les entreprises américaines ont engrangé des bénéfices record de 1370 milliards, malgré une augmentation modeste du produit intérieur brut, rappellent-ils, citant les données de la Réserve fédérale de St. Louis.

Ils prévoient une croissance lente prolongée aux États-Unis, mais rappellent que les entreprises américaines regorgent de liquidités qu'elles pourront utiliser pour des acquisitions stratégiques et pour de la R&D. Elles bénéficient aussi d'un univers moins réglementé et moins fiscalisé que leurs rivales européennes.

En fait, seuls le Canada et l'Australie pourraient doubler les États-Unis au chapitre des rendements boursiers en raison de leur forte concentration dans le secteur de l'énergie et des ressources.

Les analystes privilégient aussi l'Inde à la Chine, même si la poussée de croissance de la première dominera celle de la seconde pendant encore des années. «Les investisseurs s'intéressant aux entreprises chinoises qui font du commerce ou des affaires en Chine doivent aussi se préoccuper des tensions commerciales croissantes entre ce pays et le monde développé, découlant par exemple d'une attitude hostile envers les investisseurs étrangers (Rio Tinto) ou de l'imposition par la Chine de conditions minant les bénéfices des sociétés», préviennent-ils.

A contrario, ils ont de bons mots pour le cadre juridique indien «qui protège l'entreprise privée et les investisseurs».

Par analogie, ils préfèrent l'Amérique latine à l'Afrique, et tout particulièrement le Brésil.

Sur le plan sectoriel, ils privilégient en particulier les hydrocarbures car les pressions sur les ressources pétrolières iront grandissant. «Le jour où le pétrole disparaîtra de l'équation énergétique est encore loin», affirment-ils. Ils croient que l'exploitation des sables bitumineux s'intensifiera à la faveur d'avancées technologiques.

«En termes globaux, il est à peu près certain que les économies émergentes resteront principalement fondées sur les nécessités socio-économiques de base», concluent-ils. Cela les amène à identifier l'agriculture, l'alimentation, la santé, la production d'électricité et d'énergies propres, les technologies environnementales et le matériel militaire comme prometteuses de meilleurs rendements à moyen et long termes.

Tout cela suppose cependant que les tensions politiques et économiques actuelles ne raviveront pas le protectionnisme et les tensions commerciales, ce qu'ils craignent, vu la difficulté de la classe politique à expliquer les causes structurelles du marasme présent et les sacrifices douloureux nécessaires à leur correction.