Déjà défiée par les marchés alternatifs, la Bourse de Toronto pourrait faire bientôt face à la concurrence d'une nouvelle Bourse canadienne de plein exercice. Il s'agirait d'une situation inédite depuis le retrait de la Bourse de Montréal du marché des actions, il y a une dizaine d'années.

C'est du moins l'ambition de la firme Alpha Trading, la même qui, avec l'appui des plus gros courtiers canadiens, exploite un marché privé qui s'est hissé à 30% du volume des actions cotées à Toronto, en seulement 16 mois d'exploitation.

Avant la fin de l'année?

Alpha vient de demander un permis de Bourse complet auprès de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO). Et si elle l'obtient «avant la fin de l'année», espère son président, Jos Schmitt, Alpha pourrait se retrouver en face à face direct avec la Bourse de Toronto dès le début de 2011.

«Alpha a démontré sa pertinence pour le marché boursier au Canada en grandissant et en atteignant la rentabilité plus rapidement que nos semblables en Europe et aux États-Unis. Alpha est maintenant prête à concurrencer la Bourse de Toronto sur un pied d'égalité», a expliqué M. Schmitt, en entretien avec La Presse Affaires.

Depuis novembre 2008, le permis de marché alternatif exploité par Alpha la restreint au marché secondaire hors-cote, c'est-à-dire la revente d'actions entre courtiers pour leurs clients.

Avec l'obtention d'un permis de Bourse complet, Alpha cible l'ajout de deux autres créneaux de marché: l'inscription d'actions nouvellement émises ainsi que la revente de données boursières.

Au Canada, ces deux créneaux demeurent l'apanage quasiment exclusif - et très lucratif - de la Bourse de Toronto et son affiliée, la Bourse TSX Croissance.

Entre-temps, malgré son permis partiel, Alpha s'est vite acquis une part de marché notable: près du tiers du volume des actions cotées à Toronto et 20% des actions cotées au TSX-croissance.

Aussi, l'essor rapide d'Alpha a forcé la Bourse de Toronto à abaisser ses tarifs de transactions au cours des derniers trimestres.

Ces baisses de tarifs ont entaché les résultats financiers et la valeur boursière du Groupe TMX, qui chapeaute les deux Bourses d'actions (Toronto et TSX Croissance) ainsi que la Bourse de Montréal et le marché BOX de Boston, spécialisés dans les produits dérivés.

Des analystes ont aussi rabaissé leurs prévisions de résultats pour TMX, ainsi que leurs recommandations envers ses actions.

«Les perspectives d'affaires de TMX sont embrouillées, sinon négatives, face aux marchés alternatifs. Les baisses de tarifs à la Bourse de Toronto témoignent de l'érosion accélérée de ses parts de marché», écrivait Shubha Khan, analyste à la Financière Banque Nationale, dans une récente note à ses clients-investisseurs.

Pour leur part, des dirigeants de la Bourse de Toronto ont aussi manifesté leur appréhension envers l'essor rapide d'Alpha.

En entrevue récente à un quotidien torontois, le président du Groupe TMX, Tom Kloet, a même suggéré que les autorités boursières forcent les grands courtiers canadiens à réduire leur participation au capital-actions d'Alpha.

Selon M. Kloet, cette situation pourrait susciter un «conflit d'intérêts potentiel» entre les courtiers et l'opération d'un marché boursier.

Mais selon Jos Schmitt, président d'Alpha, ces propos traduisent une crainte exagérée envers de nouveaux concurrents. «Je souhaite qu'ils évoluent d'une réaction émotive contre la concurrence à son utilisation comme un motif à devenir encore meilleur», a indiqué M. Schmitt.

Depuis ses débuts, la propriété d'Alpha est partagée parmi les filiales boursières des six principales banques au Canada, dont la Nationale, ainsi que du Mouvement Desjardins.

Y participent aussi le gros courtier indépendant Canaccord Capital, ainsi que l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada, l'un des principaux investisseurs institutionnels au pays.

Avec de tels copropriétaires, Alpha a profité d'un apport considérable de transactions pour accélérer sa croissance initiale.

Mais, depuis, selon son président, Alpha a élargi sa clientèle avec une soixantaine des principaux courtiers et investisseurs au Canada.