Les pages financières portent généralement une attention particulière aux rendements attendus pour les 12 prochains mois alors que la trame de fond qui sous-tend les rendements à long terme est bien souvent plus importante que la vision à court terme des marchés.

Cela est d'autant plus vrai que les marchés financiers viennent de traverser une période exceptionnelle qui risque fort d'entraîner de graves erreurs de la part des fiduciaires de fonds de retraite ou encore des personnes qui veulent se bâtir un fond de retraite.

Dans cette chronique, je mets en relief le fait qu'aujourd'hui les obligations sont chères et donc relativement risquées comparativement aux actions qui sont encore plutôt bon marché puisqu'on se retrouve au début d'un nouveau cycle d'expansion mondial.

De plus, dans une perspective de long terme, il est important d'augmenter l'exposition aux grands pays émergents qui seront la source de près de 50% de la croissance économique mondiale au cours des 10 prochaines années.

Obligations

Le premier constat concerne le rendement des obligations gouvernementales canadiennes ou américaines comparativement à ceux des actions. De 1926 à 2008 (voir tableau), le rendement annuel moyen composé des actions américaines a été de 9,6% et de 9,4% pour les actions canadiennes comparativement à 5,4% pour les obligations américaines et 6,0% pour les obligations canadiennes. L'écart de rendement ou la prime de risque des actions au cours de cette période a donc été de 4,2% aux États-Unis et de 3,4% au Canada. Cet écart peut être considéré comme une rémunération du risque à cause de la plus grande volatilité des rendements des actions.

Notons cependant que la crise financière de 2008 a été un choc si important pour les rendements des actions qu'en décembre 2008, l'écart de rendement des actions par rapport aux obligations a été complètement anéanti pour les 17 dernières années se terminant en décembre 2008, aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. Cela signifie qu'au cours du prochain cycle économique, le rendement des actions a du rattrapage à faire.

Le taux d'intérêt des obligations du gouvernement fédéral américain à 10 ans d'échéance qui s'élevait à 3,82% le 7 janvier 2010 est encore bien au-dessous de son taux d'équilibre. Ce dernier, qui se compose à la fois d'un taux d'intérêt réel qui a été en moyenne de 2,4% au cours des 60 dernières années et d'une prime d'inflation de près de 2% à 2,5% dans un environnement d'inflation maîtrisée. On peut donc dire que le taux d'équilibre se situe entre 4,4% et 4,9% tant aux États-Unis qu'au Canada.

Cela est sans compter que les besoins de financement des administrations publiques mal maîtrisés risquent d'entrer en compétition avec la diminution de l'épargne nette privée lorsque l'investissement des entreprises aura repris. À mesure que le nouveau cycle économique prendra de la maturité, le rendement effectif des obligations ne pourra qu'être inférieur à celui des actions.

Lorsque les taux d'intérêt à long terme augmentent, le prix des obligations à long terme diminue et très rapidement les pertes en capital sont plus importantes que le rendement provenant du coupon. Par contre, la croissance économique et l'augmentation des prix, même modéré, tend à augmenter les profits des sociétés, justifiant ainsi l'appréciation des actions et la distribution de dividendes.

Notons toutefois que les rendements exceptionnels des actions en 2009 sont choses du passé. Les marchés boursiers ont déjà partiellement rétabli la prime de risque des actions, comme le confirme la colonne de droite du tableau 1, qui inclut l'impact des rendements de 2009.

Les profits et le huard

Le deuxième constat est qu'à long terme, le taux de croissance des profits des sociétés est quasiment le même que celui du PIB nominal. Du 3e trimestre de 1949 au 3e trimestre de 2009 (60 ans), le taux de croissance annuel moyen du PIB nominal américain a été de 6,9% comparativement à 6,8% pour les profits des sociétés avant impôts. Même constat au Canada: 6,4% pour le PIB nominal et 6,5% pour les profits des sociétés avant impôts du 1er trimestre de 1961 au 3e trimestre de 2009 (soit 58,5 années).

Lorsqu'on sait qu'au cours des 10 prochaines années, le taux de croissance du PIB réel des grands pays émergents sera de deux à trois fois plus élevés que ceux des pays industrialisés et que le taux d'inflation ne sera pas plus faible que celui des pays industrialisés, on peut prévoir que la croissance des profits sera également beaucoup plus élevée. On s'attend donc à ce que les rendements des actions des grands pays émergents seront supérieurs à ceux des pays industrialisés. Même si historiquement, la volatilité des rendements des pays émergents est plus élevée, les rendements supérieurs feront qu'à long terme les investisseurs seront gagnants.

Le troisième constat est qu'un investisseur canadien ne devrait pas se couvrir du risque de change lorsqu'il investit à l'étranger, même si les rendements en dollars canadiens seront affectés par l'évolution de notre monnaie.

En fait, le taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain est essentiellement déterminé par les fluctuations du prix des matières premières comme le confirme le premier graphique. Le dollar canadien s'apprécie lorsque l'économie mondiale est en expansion et que le prix des matières premières augmentent, notamment à cause de la croissance rapide de la production industrielle de la Chine, et se déprécie en période de récession mondiale lorsque le prix des matières premières chute.

Cela implique que le rendement en dollars canadiens d'un investissement boursier libellé en dollars américains sera amorti par l'appréciation de notre monnaie en période d'expansion économique. Inversement, le rendement en dollar canadien sera moins négatif en dollars canadiens parce qu'il se déprécie par rapport au dollar américain en période de récession et de piètre performance boursière. Le deuxième graphique présente l'indice normalisé à 1,0 en janvier 2003 de l'ETF (Exchange-traded Fund) des pays émergents (EEM) en dollars américains. Le rendement à long terme en dollars américains est impressionnant, mais la volatilité est très grande comparativement à l'indice TSX de la Bourse de Toronto. Lorsqu'on convertit le rendement de cet investissement en dollars canadiens, on observe deux choses: d'une part, la volatilité du rendement de l'investissement dans les pays émergents a été bien inférieure et d'autre part, son rendement a été bien supérieur à celui qu'il aurait obtenu en restant sur la Bourse canadienne.

En conclusion, au cours des 10 prochaines années, il faut s'attendre à ce que le rendement des actions soit bien supérieur à celui des obligations parce que les taux d'intérêt à long terme sont inférieurs à leur niveau d'équilibre et les actions devraient rétablir la prime de risque observée sur une longue période. Finalement, l'investisseur à long terme devrait participer à la croissance rapide des pays émergents en allouant une partie de ses investissements en actions des pays émergents, notamment par le truchement d'ETF des pays émergents. Les véhicules les plus connus sont les symboles EEM et VWO.

L'auteur est professeur titulaire, Institut d'économie appliquée, à HEC Montréal

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