C’est une nouvelle source de revenus, large comme un boulevard, qui s’ouvre pour les villes du Québec : elles peuvent maintenant percevoir la taxe foncière sur les équipements des centres de données et autres services infonuagiques. Mais pour les entreprises de tous les secteurs, c’est une bombe à retardement qui vient d’être déposée à leur porte par un jugement récent.

La Cour d’appel du Québec a donné raison à la Ville de Montréal contre les propriétaires d’immeubles loués au Groupe iWeb et à Ubisoft. Certains équipements installés par ces locataires, comme les génératrices et les systèmes de refroidissement, font partie de l’immeuble, a statué la cour, et peuvent donc être assujettis à la taxe foncière.

Cette décision peut faire doubler ou tripler du jour au lendemain la valeur foncière des immeubles commerciaux touchés – et le compte de taxes aussi, comme le constatent déjà certains propriétaires d’immeubles qui abritent des équipements de toutes sortes.

Le Locoshop Angus, qui loue une partie de son espace à Ubisoft, se bat depuis 2012 pour empêcher la Ville de Montréal de taxer l’équipement installé par son locataire et d’augmenter la valeur foncière de son immeuble. Sa défaite en Cour d'appel ne signifie pas la fin du combat.

« Nous allons porter la décision en Cour suprême », a fait savoir Pierre Choquette, vice-président de la Société de développement Angus, propriétaire de l’immeuble.

Se tirer dans le pied

L’incidence de cette décision du tribunal est majeure, et son champ d’application ne se limite pas aux centres de données, explique Jean-Marc Fournier, président-directeur général de l’Institut de développement urbain.

C’est une nouvelle taxation qui peut s’étendre au secteur des télécoms, aux banques, aux épiceries, aux cliniques de radiologie et aux centres dentaires, à toutes les entreprises qui ont investi ou veulent investir dans de l’équipement, selon lui.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Marc Fournier, président-directeur général de l’Institut de développement urbain

C’est de l’argent supplémentaire pour les villes, mais c’est une pénalité pour les entreprises qui veulent se moderniser et accroître leur productivité.

Jean-Marc Fournier, président-directeur général de l’Institut de développement urbain

À plus long terme, l’augmentation de la facture foncière nuira à la compétitivité des villes et à celle du Québec, croit Jean-Marc Fournier.

Les villes du Québec dépendent déjà trop de l’impôt foncier, selon lui. « Elles devraient avoir d’autres moyens pour augmenter leurs revenus parce qu’elles se tirent dans le pied. »

Chez Montréal International, le contexte qui découle du jugement du mois d’août dernier fait maintenant partie des calculs soumis aux entreprises qu’on veut attirer au Québec, a fait savoir le président-directeur général de l’organisation, Stéphane Paquet.

« Bien que certains estiment que la portée de cette décision va au-delà des centres de données, il est trop tôt pour déterminer quel sera son impact précis sur d’autres secteurs d’activités, a-t-il fait savoir. Nous continuons de suivre le dossier. Pour ce qui est des centres de données, nous avons arrêté la prospection active depuis quelques mois, en raison de la nouvelle réalité énergétique du Québec », précise-t-il.

Plusieurs secteurs touchés

Encore peu d’entreprises québécoises soupçonnent l’ampleur du jugement rendu en novembre dernier, explique de son côté Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

PHOTO ARCHIVES, FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION DES CHAMBRES DE COMMERCE DU QUÉBEC

Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec

Les centres de données sont les premières entreprises ciblées, mais les équipements visés par le jugement peuvent être les robots des centres de distribution, les réfrigérateurs des épiceries, des génératrices ou des appareils de ventilation.

Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec

Pour le président du Conseil du patronat, le jugement permet de faire du financement municipal sur le dos des entreprises, alors que le Québec a déjà un retard sur l’Ontario en matière de productivité et d’investissement. « On n’a certainement pas besoin de ça, dit Karl Blackburn.

Plutôt que d’attendre que la contestation se rende jusqu’en Cour suprême et engendre encore plus d’incertitude, le gouvernement du Québec pourrait faire quelque chose pour empêcher « de faire du financement municipal sur le dos des entreprises », dit-il.

Le gouvernement n’a pas encore donné signe de vie, malgré les représentations qui lui ont été faites depuis la tombée du jugement, l’automne dernier.

À la Ville de Montréal, personne n’a répondu aux demandes de La Presse sur le sujet.

Consultez le jugement