(Toronto) Les acheteurs potentiels qui espèrent que la hausse des taux d’intérêt de mercredi calmera le marché immobilier canadien seront probablement déçus, préviennent des experts du marché immobilier.

La demande refoulée est si élevée et l’offre, encore si faible, que la décision de la Banque du Canada de relever son taux directeur à 0,50 % ne freinera pas l’élan du marché, selon eux.

« Auparavant, quand il y avait une augmentation des taux d’intérêt, les gens se disaient "peut-être que ce n’est pas le moment d’acheter", mais là c’est le contraire », constate Michelle Gilbert, une courtière immobilière de Sage Real Estate, à Toronto.

« J’ai tellement de gens qui se disaient : "je vais faire bloquer mon taux ou ma préapprobation" (…) Ils sont maintenant prêts à passer à l’action. »

Taux encore relativement bas

Ses clients ne laissent pas la hausse des taux les dissuader, car les taux d’intérêt sont toujours inférieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie et ils ont traversé des années pendant lesquelles les prix des maisons se sont appréciés.

Les chambres immobilières ont signalé une flambée des prix et une vague de ventes pendant la majeure partie de la pandémie. Les acheteurs se sont précipités pour profiter de la faiblesse des taux d’intérêt, alors que la Banque du Canada a réduit son taux directeur à 0,25 % au début de la pandémie.

Dans les villes où la surchauffe est le plus notable, comme Toronto et Vancouver, le prix moyen des maisons a dépassé le cap d’un million de dollars, tandis que les habitations des banlieues et des régions rurales aux alentours ont également grimpé.

Mais ces derniers mois, les nouvelles inscriptions ont chuté et les agents immobiliers et les acheteurs déplorent un manque de propriétés, ce qui a fait pencher le marché encore davantage en faveur des vendeurs.

Le manque d’offre, associé à l’impression que les faibles taux d’intérêt ne resteront pas, accentue le désir de certains acheteurs potentiels de passer à l’action.

Vingt offres d’achat mardi soir

Mme Gilbert raconte qu’une propriété située sur une rue animée a reçu, de manière inattendue, 20 offres d’achat mardi soir. « C’est un signe que les gens sont prêts à revoir leurs attentes à la baisse simplement pour entrer sur le marché. »

La courtière a remarqué que ses clients veulent entrer sur le marché pendant qu’ils en ont la capacité. Elle pense qu’ils ne trouveront pas de meilleures conditions, jusqu’à ce qu’il y ait une augmentation significative de l’offre ou que les investisseurs soient tenus de verser une mise de fonds plus élevée, les dissuadant d’acheter.

« Même si nous avions deux fois plus d’offres, la demande est folle et c’est la demande qui est le problème, a-t-elle expliqué. Nous avons tellement de gens qui veulent acheter. »

Les opinions de Mme Gilbert sont étayées par une analyse de Zoocasa montrant que les augmentations des taux d’intérêt sont corrélées à des transactions moins nombreuses, mais qu’elles n’ont aucun impact majeur sur les prix.

Le site d’annonces immobilières a comparé le prix moyen mensuel des maisons et les volumes de ventes de Toronto entre le début de 2017 et la fin de 2019 — une période qui couvre les cinq dernières fois où le taux a été augmenté — avec le taux hypothécaire fixe de cinq ans au cours de la même période.

L’analyse a révélé que 2018 a enregistré 78 018 ventes, le niveau le plus bas des dernières années, mais ce nombre a été attribué au nouveau test de résistance hypothécaire de l’époque, qui a réduit le pouvoir d’achat.

Après les hausses de taux, il y a eu de « très petits mouvements » du prix moyen. La plus forte baisse des prix d’un mois à l’autre après l’annonce des taux d’intérêt est survenue en novembre 2018, lorsque les prix ont chuté de 2,35 %, et la plus importante a été observée en février 2018, lorsque les prix ont grimpé de plus de 4 %.

Ces baisses et gains mensuels sont « assez similaires » aux tendances des prix en 2017 et 2019, ce qui suggère que la saisonnalité a déclenché les petites fluctuations.

Un impact sur les propriétaires

Bien que l’impact des taux d’intérêt sur les prix puisse être limité, l’augmentation de mercredi affectera immédiatement certains détenteurs d’hypothèques.

Les hausses de taux d’intérêt pèsent généralement sur les propriétaires ayant des hypothèques à taux variable, car les banques utilisent généralement le taux directeur de la banque centrale pour dicter comment elles doivent modifier leur taux d’intérêt préférentiel.

La majorité des grandes banques canadiennes ont annoncé mercredi qu’elles faisaient passer leur taux préférentiel de 2,45 % à 2,70 % à compter de jeudi. Ceux qui ont des hypothèques à taux fixe, pour leur part, peuvent subir l’effet des augmentations lors de leur renouvellement.

Estee Zacks, la propriétaire torontoise de Strategic Mortgage Solutions, a remarqué une récente augmentation des demandes de blocage des taux, qui gèlent les taux hypothécaires jusqu’à 130 jours.

« Ils s’efforcent toujours d’obtenir des maisons plus grandes parce que les prix ont augmenté plus rapidement que le revenu des gens, a-t-elle observé. Les gens me demandent plus souvent : "si je ne peux pas atteindre ce seuil de préapprobation de 1,1 million $, y a-t-il autre chose qui puisse être fait ?" »

Pour y faire face, Mme Gilbert voit des gens qui ont déjà remboursé une hypothèque en prendre une autre pour aider leurs enfants à entrer sur le marché. « Nous avons beaucoup de gens qui sont prêts à alourdir leur future dette pour pouvoir entrer maintenant. »