Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Chaque fois que j’écris sur l’investissement en Bourse, des lecteurs me reprochent – avec raison – de ne pas avoir abordé la question des dividendes.

« J’ai investi dans le pharmaceutique avec paiement de dividendes, me disait récemment une lectrice. Je les ai réinvestis pendant plusieurs années, ce qui a été très intéressant. »

Un autre lecteur écrit : « Investir dans les actions à dividendes est une approche dont on n’entend pas beaucoup parler. J’aimerais avoir votre opinion sur cette stratégie de placement. »

Pour tout dire, j’ai déjà été séduit par les dividendes parce qu’ils me semblaient magiques.

En gros, les dividendes sont la partie des bénéfices qu’une entreprise peut choisir de verser en argent comptant à ses actionnaires quatre fois l’an généralement.

Pour un investisseur, cet argent semble tomber du ciel : un jour, vous aviez quelques dollars en encaisse dans votre compte de courtage ; le lendemain, vous en avez des centaines, voire des milliers. C’est un peu le jour de paie des investisseurs.

Voir ces dollars apparaître sans qu’on ait vendu ses placements semble la preuve qu’on a fait les bons choix d’actifs.

Pourtant, au risque de déplaire, je ne suis pas un grand adepte des dividendes.

Premièrement, mettons fin à un mythe : les dividendes ne sont pas de l’argent gratuit.

Peu de gens réalisent que l’entreprise qui paie 1 $ en dividende voit le prix de son action diminuer de 1 $ en moyenne avant que le dividende soit versé, selon une étude⁠1 de David H. Solomon et Samuel M. Hartzmark, de la Boston College Carroll School of Management.

Cette étude montre aussi que les investisseurs utilisent rarement le dividende pour le réinvestir dans la même entreprise, mais plutôt pour faire différentes transactions en Bourse. Or, comme le nombre de transactions est presque toujours inversement proportionnel aux rendements, ce « mauvais » comportement est encouragé par le versement de dividendes.

Finalement, les investisseurs ont tendance à se précipiter vers les actions à dividende quand les taux d’intérêt sont bas, ce qui gonfle leur valeur en Bourse et « entraîne une baisse des rendements des actions à dividende » à long terme, écrivent les chercheurs.

Marc-André Turcot, gestionnaire de portefeuille chez Demos gestion de patrimoine familial (Raymond James) et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, remarque que les investisseurs sont souvent attirés par le côté « tangible » des dividendes.

« Bien des gens ont une grande peur d’utiliser leur capital, alors, dans ce contexte, le dividende est vu comme une forme de revenu qu’on perçoit sans devoir vendre nos actions », dit-il.

Il explique qu’au bout du compte, que le dollar vienne d’un dividende ou de la vente d’une action, il s’agit du même dollar.

M. Turcot note que l’un des avantages du dividende pour certains investisseurs est qu’il est traité différemment sur le plan de l’impôt.

Pour quelqu’un qui gagne moins de 98 540 $ par année, les dividendes de sociétés publiques canadiennes sont moins imposés que le gain en capital. Mais la personne va être imposée annuellement sur son dividende, alors que le gain en capital, il n’est pas réalisé tant que la personne n’a pas vendu.

Marc-André Turcot, gestionnaire de portefeuille chez Demos gestion de patrimoine familial (Raymond James) et chargé de cours à l’Université de Sherbrooke

Un avantage qui disparaît lorsqu’il s’agit d’un dividende versé par une entreprise américaine. « Les gens ont tendance à l’oublier, alors il faut faire attention. »

Il arrive aussi que des entreprises empruntent de l’argent afin de verser un dividende. « Les gens voient un dividende de 8 % et disent : “Wow !”, mais ça ne veut pas forcément dire que l’entreprise qui le verse est en excellente forme financière. »

À l’opposé, des entreprises qui vont très bien peuvent ne pas verser de dividende. C’est le cas de Berkshire Hathaway, le conglomérat dirigé par Warren Buffett.

L’homme d’affaires et investisseur préfère utiliser ses profits pour acquérir d’autres entreprises, entre autres. « Mais si le temps vient – et il viendra un jour – où nous ne pensons pas pouvoir créer plus de 1 dollar de valeur marchande par dollar conservé, alors un dividende devrait être versé », avait-il déclaré lors de l’assemblée annuelle de ses actionnaires de... 2008.

Quinze ans plus tard, Berkshire Hathaway ne verse toujours pas de dividende.

Warren Buffett suggère à ses actionnaires qui veulent un revenu de vendre une partie de leurs actions pour financer leur train de vie. Mais beaucoup ne veulent pas le faire, car cela érode leur actif... actif qui vaut plus cher aujourd’hui, car Buffett ne verse pas de dividende.

Le raisonnement devient vite circulaire.

Côté performance, qu’en est-il ? De façon générale, les entreprises canadiennes qui versent un gros dividende n’ont pas mieux fait que les autres.

Par exemple, 10 000 $ investis dans le fonds Vanguard FNB indiciel canadien à dividende élevé (VDY) en 2013 valaient environ 23 500 $ au début de 2022, en incluant le réinvestissement des dividendes. La même somme investie dans les plus grandes entreprises canadiennes dans le fonds iShares S&P/TSX 60 Index ETF (XIU) en valait aussi environ 23 500 $.

Depuis 2022, les fonds à dividende élevé ont la cote, et ont légèrement mieux performé (+ 0,56 % par année) que l’ensemble du marché. L’avenir nous dira si cette surperformance va se poursuivre, ou bien si le retour à la moyenne va s’opérer.

Je ne nie pas qu’il y ait des histoires de succès avec les dividendes. Un investisseur patient qui investit depuis des années dans une entreprise qui verse un dividende (Banque Nationale, par exemple) a connu un rendement élevé. C’est toujours délicat d’argumenter avec le succès, mais je dirais qu’investir dans une entreprise est beaucoup plus risqué qu’acheter le marché au complet, par l’entremise d’un fonds négocié en bourse (FNB). Et un investisseur qui aurait choisi une autre grande banque (CIBC, par exemple) aurait eu un rendement moindre, et donc une expérience complètement différente avec les dividendes.

Si vous possédez des FNB ou des fonds communs de placement, vous recevez sûrement un dividende, puisque votre fonds contient des actions d’entreprises qui en versent. Plusieurs plateformes de courtage offrent de le réinvestir automatiquement et gratuitement dans des parts du même fonds, option que j’ai personnellement choisie dans l’ensemble de mes comptes (CELI, REER, REEE, etc.).

Cela dit, je ne suis pas complètement contre les stratégies de dividendes. Par exemple, si le fait de recevoir des dividendes peut psychologiquement vous aider à patienter et à ne pas vendre vos placements durant une chute boursière, alors ils auront effectué un travail important.

Personne ne devrait investir dans le but d’être la personne la plus riche du cimetière. L’idée est de trouver la méthode d’investissement qui nous convient et que nous pouvons suivre – idéalement pendant des décennies.

La semaine dernière, je vous invitais à raconter vos plus grandes leçons en matière d’investissement. Voici certaines des réponses reçues :

Marcel écrit : « Ce que j’ai appris avec les placements est que plus on y touche, moins ils vont bien, considérant la nature humaine, ma propension à tout vouloir contrôler et ma crainte de perdre... Par expérience, j’ai réalisé que mes rendements étaient meilleurs quand quelqu’un me conseillait que lorsque j’ai essayé de tout gérer seul, malgré les frais payés à mon conseiller. »

Katherine écrit : « Un des meilleurs conseils en investissement, c’est d’investir un peu chaque semaine, ou de façon constante à l’aide de prélèvements automatiques au compte. Il faut juste se payer en premier. On commence avec un petit montant et on augmente avec le temps. Une fois l’habitude créée, difficile de s’en défaire. »

Marc-André écrit : « Ma leçon : Keep It Simple, Stupid. J’ai commencé à investir en 2020 et au départ, je croyais voir des occasions en or partout où je regardais. Crypto, cannabis, énergie, etc. Mes rêves sont rapidement retombés sur la terre ferme, et mon ego en a pris un coup... Je n’étais pas le prochain Warren Buffett, après tout... Par contre, le “vrai” Warren m’a appris une chose : achetez des fonds indiciels et passez à autre chose. Garder ça simple, investir pour le long terme et ne pas se laisser mener par ses émotions ont été mes plus grandes leçons. »

La question de la semaine

Êtes-vous attiré par les actions qui paient un gros dividende ?

Écrivez à Nicolas Bérubé
Consultez l’étude (en anglais) Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur