Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’ai eu le temps en fin de semaine de regarder la nouvelle docusérie Madoff : le monstre de la finance, sur Netflix, et je n’ai pas été déçu.

Pour les amateurs de finance, cette série en quatre épisodes est un peu comme un croisement entre The White Lotus et un fichier Excel : on sait que les chiffres n’arrivent pas et que ça finit mal, mais on ne peut détourner le regard. D’autant plus qu’on ne parle pas de fiction ici, mais bien de vies réelles qui ont été brisées par le mensonge.

La colle qui a tenu tous les morceaux de la fraude pendant si longtemps est la réputation et le respect de la hiérarchie – bref, la nature humaine –, ce qui assure que des fraudes de cette nature vont continuer de se produire.

Le plus grand Ponzi

Si vous ne connaissez pas bien cette affaire, Bernie Madoff a été le financier de Wall Street à la tête de la plus grande pyramide Ponzi de l’histoire. Il affirmait investir l’argent de ses clients, mais n’investissait rien du tout, il dépensait l’argent ou l’utilisait pour payer d’anciens investisseurs, tout en envoyant de faux états de compte pendant plus de 20 ans.

Ses milliers de clients croyaient avoir 64 milliards de dollars sous gestion avec sa firme. Toute l’affaire s’est effondrée lors du krach boursier de 2008, alors que les clients paniqués voulaient ravoir leur argent et que Madoff n’avait pas les fonds nécessaires pour les payer. Les enquêteurs ont réalisé que l’unique compte bancaire utilisé par Madoff pour orchestrer son crime ne contenait que 300 millions.

Parmi ses victimes se trouvaient des survivants de l’Holocauste, certains de ses amis d’enfance, des veuves, des petits épargnants qui lui avaient confié les économies d’une vie, mais aussi des régimes de retraite, des organisations caritatives, des établissements d’enseignement...

« Lorsqu’un crime col bleu est commis, les corps tombent et ensuite l’enquête commence, mais avec les crimes cols blancs, c’est l’inverse : l’enquête commence et les corps tombent ensuite », dit un intervenant dans le documentaire, en référence à de nombreux décès et suicides qui ont suivi la révélation de la fraude, dont celui d’un des fils de Madoff.

À Wall Street, Madoff était surtout connu comme l’un des fondateurs de la Bourse électronique NASDAQ. Sa firme, Bernard L. Madoff Investment Securities LLC, facilitait aussi les transactions électroniques entre les différents acteurs de la finance new-yorkaise, et lui rapportait légitimement des millions de dollars par année. Sa réputation était si grande que Madoff était invité à participer à des commissions sénatoriales à Washington sur des questions liées à la finance.

Des rendements attrayants

C’est en parallèle de cette brillante carrière que Madoff s’occupait de l’argent de clients, qui se battaient presque pour lui confier leurs dollars. Pourquoi ? Le nom de Madoff rassurait bien sûr les investisseurs. Mais sa véritable arme secrète, c’était la nature de ses rendements.

Madoff prétendait faire fructifier l’argent de ses clients à un rythme d’environ 1 % par mois, beau temps, mauvais temps.

En soi, 12 % par année n’est pas exceptionnel : l’indice du S&P 500, qui englobe les 500 plus grandes entreprises cotées en Bourse aux États-Unis, a offert des rendements historiques d’environ 11 % par année depuis les années 1920.

Mais de tels rendements viennent avec des chutes intenses : en 1987, par exemple, le S&P 500 a chuté de 20 % en une seule journée. En 2008, le S&P 500 a perdu la moitié de sa valeur en six mois. En 2020, au début de la COVID-19, l’indice a brutalement chuté de 34 %. Très peu d’investisseurs sont capables de vivre de telles chutes sans réagir.

Avec Madoff, les rendements étaient semblables à ceux du S&P 500, mais sans la volatilité que détestent tant les investisseurs. La combinaison était irrésistible.

C’est l’une des leçons de l’affaire Madoff : lorsqu’on se fait offrir des cryptomonnaies ou d’autres investissements spéculatifs, on est sceptique – avec raison. Mais il faut aussi avoir la même attitude lorsque les rendements sont trop beaux pour être vrais, même s’ils n’ont pas ce côté « spectaculaire » des investissements risqués.

Une SEC dans le déni

L’histoire de Madoff est aussi celle de la Securities and Exchange Commission (SEC), soit l’organisme américain de réglementation des marchés financiers. En effet, dès le début des années 2000, un analyste financier du nom de Harry Markopolos avait calculé que les rendements de Madoff étaient impossibles. Markopolos a fourni des démonstrations détaillées à la SEC, mais celle-ci n’a jamais enquêté sérieusement sur Madoff.

On ne saura sans doute jamais pourquoi, mais le documentaire suggère que la réputation impeccable et le pouvoir exercé par Madoff à Wall Street ont été suffisants pour que les autorités le laissent en paix. Après tout, Madoff était pressenti pour devenir le prochain commissaire de la SEC. Est-ce que les enquêteurs allaient vraiment passer leur temps à aller l’embêter ?

S’il n’a pas stoppé la fraude, le gouvernement a toutefois réussi à récupérer 18 milliards grâce aux efforts du ministère américain de la Justice, notamment auprès d’anciens investisseurs de Madoff, pour les remettre aux personnes flouées.

Bernie Madoff est mort d’une maladie rénale en prison en 2021 à l’âge de 82 ans, alors qu’il purgeait une peine de 150 ans.

Dans toute histoire tragique, ce sont souvent les détails sans grande importance qui sont les plus parlants. Le documentaire nous apprend que l’urne contenant les cendres du corps de Bernie Madoff n’a pas été réclamée par sa famille et, faute de preneurs, elle se trouve toujours en possession de ses anciens avocats.

Difficile de trouver une image plus frappante pour symboliser la destruction complète d’un homme dont le nom évoquait la compétence.

La question de la semaine

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