Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Imaginez que nous discutions autour d’un café.

Soudain, pendant que vous parlez, je lance un serpent venimeux en colère sur vos genoux.

Comment réagiriez-vous ? Est-ce que vous prendriez une autre gorgée de café en vous demandant comment vous allez vous y prendre pour repousser le serpent ?

Bien sûr que non ! Vous vous lèveriez d’un bond pour sauver votre peau.

Quand il est question de dettes de consommation, bien des gens ont un immense serpent venimeux sur les genoux, et continuent leur vie comme si de rien n’était. On apprend à vivre avec le serpent.

Au Québec, les dettes de consommation n’ont jamais été aussi élevées.

La dette moyenne des consommateurs québécois (excluant l’hypothèque) est de plus de 18 000 $. Selon Équifax, les dépenses mensuelles moyennes sur les cartes de crédit des Québécois au premier trimestre de cette année étaient en hausse de 18 %, ce qui est supérieur à la hausse enregistrée ailleurs au Canada.

Et, bon an, mal an, c’est plus d’un détenteur de carte de crédit sur trois qui n’a pas les moyens de payer son solde en entier tous les mois.

À ce stade-ci, c’est utile de faire un pas en arrière pour regarder le tableau.

Le taux de pauvreté est en forte baisse depuis plusieurs générations au Québec, une tendance qui se poursuit — ce taux est passé de près de 15 % en 2015 à 8,7 % aujourd’hui, selon l’Institut de la statistique du Québec. La richesse des ménages a aussi beaucoup augmenté. Je ne doute pas que bien des gens utilisent leur carte de crédit pour simplement survivre. Je ne condamne pas ça, chacun fait comme il peut pour nourrir sa famille.

Cela dit, pour beaucoup, des habitudes néfastes ont peu à peu versé du sable dans notre engrenage financier.

« Être endetté n’est pas un état normal », rappelle le blogueur financier à succès Peter Adeney, connu sous le pseudonyme de Mr. Money Mustache. « Être endetté est le résultat d’une erreur, et votre mission est de corriger cette erreur. »

Lisez le portrait de Mr. Money Mustache « Battant, économe et… retraité à 30 ans »

Partir en voyage, magasiner ou aller au restaurant quand on a des dettes de consommation est l’équivalent de continuer à boire son café alors qu’un serpent venimeux se tortille sur ses genoux.

Nous devons tout faire pour nous en débarrasser le plus rapidement, car l’argent dépensé en intérêts ne nous procure aucun plaisir et est perdu à tout jamais. C’est littéralement des journées de notre vie passées à travailler pour la banque.

Une partie de la dette de consommation des Québécois comprend la dette automobile. Ma position va sans doute être vue comme extrême, ce que j’assume. Mais à moins qu’il s’agisse d’un véhicule spécialisé pour un travail pointu, je ne crois pas qu’on devrait s’endetter pour acheter son véhicule personnel.

Je suis toujours étonné quand des gens qui gagnent bien leur vie depuis 10, 15 ou 20 ans n’ont pas l’argent nécessaire pour acheter leur prochain véhicule. Si bien qu’ils doivent demander à la banque de l’acheter à leur place.

Certaines de ces personnes ont touché 1 million de dollars en salaire cumulatif au fil des années, voire plus. Où sont ces dollars aujourd’hui ?

À mon avis, c’est ça qui est extrême.

Quand je l’ai rencontré en entrevue il y a quelques années, le milliardaire québécois Stephen Jarislowsky m’a dit qu’il détestait les dettes de consommation.

Aujourd’hui âgé de 97 ans, l’investisseur m’a confié n’avoir jamais emprunté pour s’acheter une voiture — même en début de carrière, alors qu’il n’avait pas d’argent.

« Regarde les gens qui conduisent une BMW. Ils ne l’achètent pas, ils la louent ! Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas 60 000 $ à la banque. Alors, ils la louent et paient des intérêts là-dessus. Moi, ce n’est pas ce que j’ai fait », m’a dit M. Jarislowsky, dont la valeur nette est évaluée à 2 milliards de dollars canadiens en 2022 par le magazine Forbes.

Au lieu de payer des intérêts, l’investisseur préférait placer et faire fructifier son argent.

« Moi, ce sont les autres qui me paient des intérêts. J’aime mieux être à ma place qu’à la leur. »

Il faut dire qu’au cours des dernières années, s’endetter ne donnait pas l’impression de coûter très cher.

C’est en train de changer avec la hausse historique des taux d’intérêt, alors qui sait ? Peut-être que pulvériser ses dettes, et ensuite payer comptant pour ses vêtements, ses sorties au restaurant et, oui, sa voiture — quitte à choisir un modèle d’occasion ou moins coûteux — va redevenir à la mode.

Ça fait tellement longtemps que les institutions financières et les sociétés de crédit parlent de la liberté que nous procurent leurs produits qu’on a fini par les croire.

Nous sommes sur le point de réaliser que la vraie liberté, c’est de ne pas devoir un sou à personne.

C’est si bon que ça ne s’achète pas.

Réaction d’un lecteur

Je vous parlais récemment des faibles taux d’intérêt offerts aux enfants par Desjardins. Un lecteur, Vincent, écrit :

« Malgré le taux d’intérêt dérisoire, je pense que le système d’enveloppes à l’école est une bonne idée pour apprendre les bonnes habitudes financières à son enfant. Acquérir les bonnes habitudes financières est plus important que le rendement pour un enfant en bas âge. Cela étant dit, j’ai aussi ouvert des comptes d’épargne pour enfant avec la banque en ligne Tangerine, où les taux d’intérêt sont beaucoup plus élevés, en plus des REEE que je maximise. Pour le moment, c’est vraiment sur les bonnes habitudes financières que je veux ‟travailler”. »

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