Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Alors, pensez-vous que nos maisons vont perdre près du quart de leur valeur dans la prochaine année ?

Ce scénario publié par le directeur parlementaire du budget à Ottawa a causé beaucoup de remous cet automne. La Banque TD, elle, parle d’une correction « sans précédent » d’ici la fin de 2023. Les maisons du Grand Montréal ont déjà perdu 9 % de leur valeur depuis le printemps, et des agents immobiliers ont l’impression que le marché a « frappé un mur ».

Cela fait tellement longtemps que la valeur des maisons ne fait que grimper qu’on a un peu oublié que l’ascenseur fonctionne aussi dans l’autre sens. C’est arrivé au Canada dans les années 1990, quand les prix ont chuté partout au pays — dont une correction de 32 % à Toronto — et ont mis plus d’une décennie à retrouver leur valeur d’avant la crise.

Je concède que lorsqu’il s’agit d’immobilier, je suis la pire personne pour jouer au jeu des devinettes. C’est que mon cerveau a été « brisé » par mes années passées aux États-Unis.

La déconfiture américaine

Comme correspondant pour La Presse, j’ai habité durant sept ans à Los Angeles, de 2006 à 2013. Les lecteurs les plus âgés remarqueront que ces dates coïncident avec l’éclatement de la bulle immobilière américaine.

Lorsque je suis arrivé à L.A., tout le monde parlait d’immobilier. Les prix étaient en forte hausse depuis des années, et rien ne laissait croire que ça s’arrêterait : l’immigration était solide dans l’État, disait le refrain, l’économie roulait bien, le taux de chômage était si bas qu’il battait des records et toute la planète voulait venir vivre en Californie.

Puis les taux d’intérêt ont grimpé et le plancher a disparu. La valeur moyenne des maisons dans l’État s’est effondrée de 40 % en quelques années.

Les endroits les plus touchés étaient ceux situés en lointaine banlieue de San Francisco et Los Angeles. Cela dit, aucun quartier n’a été épargné. Près de chez moi, des dizaines de pancartes « À louer » et « À vendre » jaunissaient devant des maisons qui n’intéressaient désormais plus personne. Avec tout le désespoir — faillites, stress, divorce — que cela impliquait.

C’est la nature humaine : on est attiré par les actifs qui prennent de la valeur. Mais quand leur prix diminue, ils cessent aussitôt de fasciner.

Lorsque je suis revenu au Québec, je cassais les oreilles de mes amis avec mes prédictions apocalyptiques sur le prix des maisons. Heureusement, personne ne m’a écouté, et le temps m’a donné tort : les prix ont continué leur ascension.

Jusqu’à aujourd’hui.

Personnellement, j’ai cessé de m’intéresser à la hausse des prix, ou de chercher une raison qui les ferait baisser. Qui vivra verra.

L’essentiel d’une stratégie financière

Ce que je remarque, c’est que nous avons tendance à voir l’achat d’une maison ou d’un condo comme le début et la fin d’une stratégie financière.

On le justifie en se disant que l’immobilier est du « solide », c’est « tangible », on peut le « toucher et le voir ».

Un raisonnement commode, qui voile la véritable source de notre amour pour nos maisons : parce que, année après année, leur prix augmente. C’est facile d’aimer quelque chose qui prend de la valeur pendant qu’on dort.

On pouvait pourtant « toucher et voir » les maisons dans les années 1990. Mais personne n’en voulait.

C’est pour cela que j’aime la formule popularisée par Garth Turner, directeur de Turner Investments chez Raymond James.

M. Turner recommande de partir du chiffre 90, et d’en déduire notre âge. Le résultat devrait être le pourcentage de notre valeur nette (soit la valeur de nos actifs moins la valeur de nos dettes) consacrée à l’immobilier résidentiel.

Selon cette règle, une personne de 25 ans devrait avoir 65 % de sa valeur nette dans sa maison, alors qu’une personne de 60 ans devrait avoir 30 % de sa valeur nette dans sa maison.

On accumule des actifs financiers tout au long de notre vie, souvent dans un régime de retraite ou un REER, de sorte que la valeur de notre maison n’a plus beaucoup d’importance dans nos finances quand on arrive à l’âge de la retraite.

Je ne sais pas si bien des Québécois ont mis cette formule en pratique. Mais si vous songez à acheter une maison, je vous invite à faire le calcul. Vous dormiriez mieux si les pires scénarios imaginés par nos grandes banques en venaient à se réaliser.

Nous parlions récemment de l’importance d’épargner. Un lecteur, qui ne veut pas être nommé, écrit :

« J’ai épargné toute ma vie. Maintenant retraité, j’épargne encore. C’est simple. Je fais un budget et note mes dépenses depuis que j’ai 15 ans. Et le truc, c’est que l’épargne est un poste budgétaire. Je n’épargne pas ce qui reste, mais je le prévois. Il faut aussi examiner notre consommation. Il n’y a pas de petites économies. Je ne me prive pas. Ce n’est pas se priver de discriminer entre ce dont on a besoin et ce que les marchands d’illusions veulent nous vendre. Les dollars gagnés, je veux juste en tirer le maximum. »

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