Les vacances d’été sont derrière nous et certains entrevoient l’automne avec inquiétude. Les comptes de cartes de crédit de nos belles escapades pèsent lourd dans le budget, la rentrée ramène son lot de dépenses. Un stress lié aux finances s’installe et commence à prendre trop de place dans le quotidien. Que faire ?

« La détresse, on la sent »

Depuis quelques mois, la question des finances revient plus régulièrement dans le cabinet du psychologue Nicolas Chevrier. Portée par les nouvelles économiques dont on parle abondamment dans les médias et les chaumières, la clientèle du DChevrier se décide à aborder ses finances avec son psy.

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« L’élément qui change la donne, c’est la hausse des taux d’intérêt », estime Nicolas Chevrier, qui croit qu’une partie de la population voit désormais son avenir sous pression. Selon lui, les gens qui ont enfin acquis une propriété, après avoir fait leurs calculs selon les données au moment de l’achat, peuvent être vraiment affectés par les taux variables qui viennent chambouler le budget, particulièrement si la part de leurs revenus liée à l’habitation est très importante. Voire trop.

On conseille généralement de ne pas y consacrer plus de 30 % des revenus bruts. La Société canadienne d’hypothèques et de logement recommande un maximum de 35 % du revenu pour les coûts mensuels liés à l’habitation. Idéalement, on vise davantage le quart, mais c’est souvent impossible.

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Le Dr Nicolas Chevrier, psychologue

Des propriétaires avaient cette pensée, peut-être magique, qu’une sérieuse hausse des taux d’intérêt tenait de la science-fiction financière. « On riait des années 1980 avec les taux d’intérêt à 20 % », relate le psychologue Nicolas Chevrier, sourire aux lèvres.

Et maintenant, on annonce une baisse de la valeur des propriétés…

Ajoutez à cela d’autres éléments inimaginables il y a trois ans à peine — une pandémie et une guerre en Europe –, et ça met à mal l’optimisme, explique le psychologue, qui avoue ne pas manquer d’ouvrage.

« Le niveau de stress est beaucoup plus élevé qu’avant la pandémie », confirme la syndic Guylaine Houle, directrice régionale chez Pierre Roy, solutions à l’endettement. Dans sa carrière, Guylaine Houle a vu passer plusieurs mouvements de l’économie. Ce que nous vivons présentement ne mène pas à plus de consultations qui annonceraient une vague de faillites, dit-elle.

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Guylaine Houle, directrice régionale chez Pierre Roy, solutions à l’endettement

Il y a toutefois ceci de particulier : « Les gens que l’on voit sont au bout de la corde. »

Une recherche faite l’hiver dernier pour Finances Canada confirme cette grande insécurité ressentie par une partie de la population. Les participants devaient décrire la situation économique actuelle et ont choisi des mots comme « instable » et même « effrayante », en plus de s’avouer préoccupés à propos de la hausse des coûts du logement et des prix à la consommation.

Perte de contrôle

La pression ne s’exerce pas de la même façon pour tout le monde.

Certaines personnalités sont plus enclines à ressentir un stress financier. Selon le psychologue Nicolas Chevrier, les gens qui aiment avoir le contrôle — ou ont besoin de l’avoir — sont plus susceptibles d’être affectés, puisque les aléas de l’économie sont indépendants de notre volonté individuelle.

Les personnalités les plus réactives pourront développer de nouveaux comportements, comme consulter les données financières tous les jours alors qu’elles ne le faisaient pas, ou plus simplement aller visiter la page de leur institution financière quotidiennement pour y voir les soldes, même s’ils ne bougent pas d’une journée à l’autre. Or, ce n’est pas un moyen de contrôle efficace. Ça peut même augmenter le niveau de stress, explique Nicolas Chevrier.

C’est un peu le même mécanisme que la personne qui s’interroge toujours si la porte est barrée lorsqu’elle quitte la maison. Si elle retourne pour vérifier, ça la rassure sur le moment, mais ce n’est pas une solution durable.

Nicolas Chevrier, psychologue

Pour mieux vivre avec l’incertitude, Léa Saadé, vice-présidente, gestion de patrimoine, à la firme FDP, conseille de tout simplement nous concentrer sur ce que nous maîtrisons afin d’accepter plus sereinement ce que nous ne pouvons maîtriser.

« Il faut focaliser sur ce que l’on peut contrôler », avise Léa Saadé, qui conseille des médecins, notaires, dentistes, pharmaciens et architectes. Cette clientèle devrait être à l’abri du stress financier, pourrait-on croire. Que nenni. Les personnalités qui ont tendance à s’inquiéter en général vont aussi s’inquiéter de voir les fluctuations de leurs avoirs, peu importe combien ils en ont. « Même notre clientèle a besoin d’être rassurée », confirme Léa Saadé, qui le fait fréquemment.

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Léa Saadé, vice-présidente, gestion de patrimoine, à la firme FDP

Pour apaiser les plus anxieux, elle conseille une planification réaliste et qui fait place aux imprévus.

Un exemple tout simple ? « La laveuse va finir par briser, rappelle Léa Saadé. Il faut le prévoir dans la gestion de son budget. »

Ainsi, le jour où ce genre de dépense contraignante survient, le budget a prévu une somme qui ne mettra pas de pression sur la gestion quotidienne ni relèvera le niveau de stress.

« Quand on manque d’argent, ça touche plusieurs volets de notre vie », dit Léa Saadé.

Par exemple, illustre-t-elle, si nous faisons l’épicerie et que notre sac de pommes coûte 3 $ ou 4 $ de plus, ça peut nous placer face à des choix.

« Est-ce que je vais priver mes enfants de pommes ? demande-t-elle. Bien sûr que non ! » Mais ce choix n’existait pas il y a un an.

Le stress financier n’épargne donc personne et il faut s’y intéresser dès qu’il se pointe, car il peut nous affecter beaucoup plus qu’on ne pourrait l’imaginer.

« Il y a trois piliers d’une bonne santé, rappelle Léa Saadé : le bien-être mental, physique et financier. »

Et l’un influence souvent l’autre.

Une nouvelle clientèle

La clientèle de Julie Brissette, à l’ACEF de l’Est, est fort différente de celle que côtoie Léa Saadé. Et pourtant, la réaction au climat économique peut être identique : un stress accru.

Selon Julie Brissette, trois nouvelles clientèles sont particulièrement touchées par le contexte économique actuel.

D’abord, des travailleurs à temps plein au salaire minimum ou un peu plus qui normalement arrivaient à boucler leur budget.

En 2020-2021, les travailleurs constituaient 41 % de la clientèle à l’ACEF de l’Est. La part est passée à 54 % pour l’exercice 2021-2022. La conseillère budgétaire croit que cette tendance se poursuivra cette année.

Les retraités sont également plus nombreux à consulter l’ACEF, car pour certains, leurs prévisions financières ne tiennent plus. « Leurs revenus ne sont plus suffisants », dit Julie Brissette.

L’ACEF de l’Est accueille aussi beaucoup de gens qui vivent seuls, tous âges confondus. « Pour la première fois de leur vie, dit Julie Brissette, ils doivent se tourner vers des services communautaires : un conseiller budgétaire dans une ACEF [Association coopérative d’économie familiale], voire carrément une banque alimentaire. » Rien de bien joyeux pour quelqu’un qui n’envisageait pas de telles options d’aide jusqu’à tout récemment.

« Les gens se demandent s’ils sont seuls à ne pas arriver et à ne pas pouvoir se payer des vacances », dit Julie Brissette.

« La détresse, dit-elle, on la sent. Et on sent le manque de ressources. »

De la tête au corps

Le stress financier n’est pas une vision de l’esprit. L’Agence de la consommation en matière financière du Canada estime que cela peut même engendrer de sérieux problèmes physiques, tels que des problèmes de santé mentale comme la dépression et l’anxiété, mais également des maladies du cœur et de l’hypertension artérielle. Selon l’Agence, si vous êtes aux prises avec un stress financier, vous êtes deux fois plus susceptible de déclarer avoir un mauvais état de santé général, quatre fois plus susceptible de souffrir d’insomnie, de maux de tête et d’autres maladies et plus à risque d’éprouver de la tension dans vos relations personnelles.

Une version antérieure de ce texte nommait de façon erronée le titre de conseiller budgétaire des ACEF.