Comment s’y prendre pour ajuster la gestion des finances familiales en fonction de l’écart de revenus entre les deux conjoins et parents ? Tout en continuant d’optimiser la fiscalité et la progression du patrimoine familial ?

La situation

Julie, 41 ans, et Stéphane, 48 ans, sont conjoints de fait et parents d’enfants de 2 et de 10 ans. Leur situation budgétaire et financière est bien établie jusqu’à maintenant, avec un bilan familial en bonne valeur nette (environ 515 000 $) entre les actifs principaux — comptes d’épargne enregistrés et autres, résidence familiale — et le passif du solde de prêt hypothécaire sur la résidence familiale.

Toutefois, voyant que l’écart entre leurs revenus d’emploi grandit au fil des ans, Julie et Stéphane souhaitent réviser leur partage en parts égales des débours de budget et d’épargne familiaux afin de l’aligner en proportion de leur revenu respectif dans le revenu familial total.

Avec leurs chiffres courants, ça signifierait passer d’une répartition de 50 %-50 % à une répartition de 60 %-40 %. Aussi, Julie et Stéphane s’interrogent sur l’impact d’une telle révision de leur partage budgétaire sur l’optimisation de leur situation fiscale et de leur planification financière à moyen et à long terme.

« Depuis quelques années, nos revenus de travail ne croissent pas au même rythme, alors que nous continuons de partager le budget familial en parts égales », indique Julie lors d’un entretien avec La Presse.

« Dans ce contexte, comment pourrions-nous rétablir une meilleure équité entre notre part du revenu familial et notre part du budget familial ? Est-ce que le partage des dépenses au prorata des revenus serait une bonne idée ? », demande Julie.

« Ou devrait-on plutôt effectuer des cotisations de compensation entre conjoints dans nos comptes d’épargne enregistrés (REER, CELI, REEE), surtout en faveur du conjoint à revenu moindre ? Dans ce cas, quel impact sur notre fiscalité personnelle et familiale ? »

La situation et les questions de Julie et Stéphane ont été soumises pour analyse-conseil à Mathieu Huot, planificateur financier et fiscaliste à la firme IG Gestion de patrimoine à Montréal.

Les chiffres

Julie, 41 ans

Revenu (emploi + 50 % des allocations familiales) : environ 74 000 $

Actifs financiers

  • REER : 11 000 $ (28 000 $ en cotisations inutilisées)
  • CELI : 31 000 $
  • En part d’actif de caisses de retraite liées à l’emploi : 113 200 $

Stéphane, 48 ans

Revenu (emploi + 50 % des allocations familiales) : environ 52 000 $

Actifs financiers

  • REER : 65 000 $ (38 000 $ en cotisations inutilisées)
  • CELI : 34 000 $
  • Compte d’épargne-placement non enregistré : 58 000 $
  • Part d’actif dans un régime de retraite d’employeur : 15 ans de participation au RREGOP du secteur public québécois

Actif conjoint

  • REEE : 22 700 $
  • Résidence familiale : environ 370 000 $

Passif conjoint

  • Solde de prêt hypothécaire : 189 000 $ (à taux fixe à 2,35 % d’ici septembre 2026)
  • Principaux débours annualisés : environ 60 000 $
  • Liés à la résidence : environ 27 000 $
  • Liés au style de vie : environ 33 000 $

Les conseils

D’emblée, Mathieu Huot complimente le souhait de Julie et Stéphane, en tant que conjoints de fait et parents, de réviser leur situation financière en fonction de leur écart de revenu.

PHOTO FOURNIE PAR MATHIEU HUOT

Mathieu Huot, planificateur financier et fiscaliste à la firme IG Gestion de patrimoine à Montréal

En effectuant cette révision alors que leurs finances familiales sont bien établies, et que leurs documents de statut familial sont tenus à jour (convention de vie commune, mandats en cas d’inaptitude, testaments, etc.), Julie et Stéphane réduisent le risque de tracas juridiques et financiers en cas de rupture de leur couple parental ou d’incident grave pouvant affecter le train de vie familial.

Mathieu Huot, planificateur financier et fiscaliste à la firme IG Gestion de patrimoine à Montréal

Aussi, il apprécie leurs préoccupations de se constituer un actif d’épargne (études des enfants, retraite) alors que leur passif principal — le prêt hypothécaire sur la maison — est financé à conditions avantageuses (taux fixe de 2,35 % d’ici 2026) et donc à faible risque de tension budgétaire pendant quatre ans.

D’ailleurs, au rythme actuel des paiements, avec un taux moyen de 3 % au fil des ans, Mathieu Huot estime que ce passif hypothécaire pourrait être rayé du bilan financier familial de Julie et Stéphane dans une douzaine d’années. C’est-à-dire vers 2034, soit de quatre à cinq ans avant la retraite de Stéphane, à 65 ans.

« Leur budget familial serait alors soulagé d’un important débours. Et ce, alors que Julie et Stéphane seront en préparation de leur retraite du travail », signale Mathieu Huot.

« Ils pourront alors décider d’une retraite simultanée au 65e anniversaire de Stéphane, et donc devancée à 58 ans pour Julie avec les impacts sur son épargne-retraite. Ou encore, s’en tenir à des retraites distinctes à leur 65e anniversaire respectif, ce qui minimiserait l’impact sur leurs rentes de retraite et la continuité de leur train de vie. »

CELI du père

Cela dit, Mathieu Huot constate que Julie et Stéphane pourraient bonifier leur situation financière en optimisant l’usage de leur capacité d’épargne, qu’il estime aux environs de 20 000 $ par an selon les chiffres budgétaires fournis.

Et ce, tout en tenant compte de leur objectif d’un meilleur partage du budget familial et des contributions en actif d’épargne en fonction de leur écart de revenu.

En premier lieu, Mathieu Huot recommande à Stéphane d’utiliser son actif financier de 58 000 $ en compte d’épargne-placement non enregistré et pleinement imposable vers son compte CELI à avantage fiscal.

« Il peut procéder à ce transfert de fonds au fur et à mesure de la monétisation de ses actifs financiers, ainsi que le montant disponible de cotisation en CELI. Mais plus il retardera ce transfert de fonds, plus il se privera de l’exemption d’impôt sur les revenus et les gains de placements en compte CELI », rappelle le planificateur financier et fiscaliste.

REEE des enfants

En second lieu, Mathieu Huot recommande à Julie et Stéphane de maximiser les cotisations aux régimes enregistrés d’épargne-études (REEE) de leurs deux enfants pour éviter de « gaspiller » la subvention fiscale à 30 % du montant annuel de cotisation admissible.

« Ils devraient prioriser le REEE de leur enfant de 10 ans afin de maximiser la contribution au montant admissible de 2500 $ par an ainsi que le ‟rattrapage” des cotisations inutilisées des années antérieures avant qu’il atteigne l’âge limite de 17 ans », explique Mathieu Huot.

« Pour l’enfant cadet de 2 ans, l’établissement d’un REEE est aussi important pour les finances familiales à moyen terme. Toutefois, les parents auront plus d’années pour se rattraper en cas d’embûche budgétaire au fil des ans. »

Par ailleurs, ajoute M. Huot, rien n’empêche Julie et Stéphane de moduler leurs contributions aux REEE de leurs enfants selon l’évolution de leur revenu d’emploi respectif.

« Un tel partage des contributions convenu de façon informelle entre les parents est facilement réalisable parce que la subvention fiscale de 30 % est versée dans le compte REEE de chaque enfant, et non en crédit d’impôt au bénéfice du cotisant comme c’est le cas avec le régime enregistré d’épargne-retraite (REER). »

REER cotisé par le conjoint

En troisième lieu, Mathieu Huot suggère à Julie et Stéphane de se prévaloir d’une disposition méconnue du REER.

« Il s’agit d’un compte REER de conjoint, qui permet d’établir un compte au nom d’un conjoint, mais dont le cotisant inscrit — et donc bénéficiaire des crédits d’impôt — est l’autre conjoint », explique M. Huot.

« Son principal avantage en finances et fiscalité familiales, c’est de permettre au conjoint à revenu supérieur de contribuer au REER de l’autre conjoint à revenu moindre, tout en optimisant le crédit d’impôt pour ces contributions grâce au taux d’imposition plus élevé du conjoint-cotisant à revenu supérieur. »

Dans le cas de Julie et Stéphane, Mathieu Huot estime que l’écart de leur revenu d’emploi se traduit par un écart de dix points de pourcentage entre leur taux d’imposition respectif.

« En procédant ainsi, ils pourront optimiser leur fiscalité familiale au fil des ans, tout en atteignant leur objectif d’une meilleure répartition des débours de budget familial et d’épargne-placement selon l’écart entre leur revenu respectif. »