Dès ce lundi, le minimum à payer sur les cartes de crédit au Québec passe à 3,5 % du solde. Il était de 3 % depuis un an et augmentera d’un demi-point de pourcentage par année, jusqu’à ce qu’il atteigne 5 % en 2025. Dans le contexte actuel, cette hausse pourrait avoir des conséquences non négligeables, et peut-être pour certaines personnes qui ne se sentent pas du tout concernées.

C’est Québec qui a adopté en 2017 cette mesure qui est en vigueur depuis le 1er août 2019. Son but : prévenir l’endettement. Les nouveaux contrats de carte de crédit exigent déjà un paiement minimal de 5 % au Québec.

Bien qu’elle croie qu’il s’agisse d’une bonne mesure et que le but soit pertinent, Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’Est, affirme que cela pourrait avoir des effets défavorables dans les circonstances actuelles.

Le fait d’augmenter, en ce moment, avec tous les coûts qui augmentent aussi, ça pourrait être la goutte qui fait déborder le vase pour certaines personnes.

Julie Brissette, conseillère budgétaire à l’ACEF de l’Est

Par exemple, explique la conseillère budgétaire, un couple qui a un solde de 30 000 $ sur ses cartes de crédit doit maintenant payer 150 $ de plus par mois juste en réglant le paiement minimum. Imaginons que ce couple ait un taux variable sur son hypothèque, ajoutons à cela l’inflation. Ça peut faire toute la différence, prévient Julie Brissette.

La hausse peut donc être difficile à absorber pour les gens qui ont déjà des problèmes avec la gestion de leur carte. « Ça pourrait mener à une augmentation des gens qui viennent nous consulter ou qui vont consulter un syndic », dit la conseillère de l’ACEF de l’Est.

Petite hausse, grande différence

Le contexte est assurément problématique, croit aussi Sophie Désautel, syndic autorisée en insolvabilité chez Raymond Chabot, filiale de Raymond Chabot Grant Thornton.

« Pour les gens qui ont un revenu suffisant, ça va aller, ils vont pouvoir l’absorber », dit-elle. Par contre, avec l’inflation de 8,1 % en juin, certaines personnes ayant des revenus moyens pourraient se faire prendre, estime Sophie Désautel.

Il faut faire attention et ne pas penser que ça n’est que 0,5 %. Ça va continuer d’augmenter.

Sophie Désautel, syndic autorisée en insolvabilité chez Raymond Chabot

Mme Désautel estime que toutes ces nouvelles économiques, souvent inquiétantes, doivent pousser les gens à faire une analyse réaliste de leurs finances et à réévaluer leurs dépenses, surtout ceux qui ne l’ont jamais fait.

« Il faut faire des choix entre les besoins et les désirs », dit-elle.

Et surtout, être bien au fait que de rembourser uniquement le paiement minimum sur la carte de crédit finit par coûter très cher.

« Il faut bien estimer le coût moyen des vacances si on les met sur la carte de crédit et qu’on les paie pendant 48 mois », précise cette spécialiste.

Pour cela, plusieurs outils très simples sont offerts en ligne et permettent de calculer les intérêts sur un solde de carte de crédit, selon les sommes mensuelles versées si on ne règle pas la totalité du solde à échéance.

Manque d’éducation

Il y a un grand manque d’éducation et plusieurs mythes autour de l’utilisation de la carte de crédit, estime pour sa part la planificatrice budgétaire Julie Brissette.

Les gens pensent qu’en payant le solde minimum, ils gardent un bon crédit. Mais ils ne réalisent pas tout ce qu’ils paient en intérêt.

Julie Brissette, planificatrice budgétaire

Les dépenses mensuelles moyennes par carte de crédit des Québécois ont augmenté de 18,5 % au premier trimestre de 2022 par rapport à la même période l’an dernier, selon un rapport de la firme Equifax qui calcule aussi que le nombre de nouvelles cartes est en croissance.

« Ce que nos données nous montrent, c’est que les dépenses par carte de crédit ont été anormalement élevées », affirme Rebecca Oakes, vice-présidente, analyses avancées, chez Equifax Canada. Cela est dû en partie à la reprise d’activités comme le voyage, explique-t-elle.

« Toutefois, nous avons une situation où l’inflation est très élevée présentement. Cela pourrait vouloir dire qu’une partie des achats sur les cartes de crédit est consacrée à des achats essentiels, comme l’épicerie ou l’essence, parce que les consommateurs n’arrivent pas autrement. Ce comportement est très préoccupant », dit Mme Oakes.

De 3 % à 3,5 %, qu’est-ce que ça change ?

Sur un solde de 3000 $ (taux d’intérêt de 19,9 %), quelqu’un qui ne fait que le paiement minimal à 3 % met 17 ans et 8 mois à rembourser totalement son solde et paie 3452 $ en intérêts. À 3,5 %, c’est plutôt 2549 $ qui seront déboursés en intérêts, en ne payant que le minimum chaque mois. Et à 5 %, les frais d’intérêt payés chutent à 1435 $, dans les mêmes conditions.

Stéphanie Bérubé, La Presse