Malgré une mise de fonds de 95 000 $, un jeune couple ne parvient pas à obtenir un prêt hypothécaire suffisant pour accéder à la propriété. Que faire ?

La situation

Samuel* veut acheter une première propriété avec sa conjointe, objectif pour lequel le jeune homme de 26 ans a déjà accumulé une mise de fonds de 95 000 $.

En dépit de cet apport substantiel, les institutions financières refusent de leur accorder un prêt de plus de 300 000 $. Et encore, elles lui demandent une caution.

« Toutefois, il n’y a personne de mon entourage qui pourrait le faire », confie-t-il.

Avec un prêt plafonné à 300 000 $ et une mise de fonds de 95 000 $, le prix de la propriété ne peut excéder 395 000 $.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Notre couple voudrait bien s’acheter une maison sur la Rive-Sud, mais semble ne pas en avoir les moyens.

« Je vis sur la Rive-Sud de Montréal et les maisons unifamiliales se vendent entre 450 000 $ et 650 000 $ dans mon quartier », constate Samuel.

Après une maîtrise en administration, le jeune professionnel est entré sur le marché du travail en janvier 2020 avec un stage de trois mois, qui ne s’est pas prolongé en emploi en raison de la pandémie.

Il a ensuite trouvé un emploi dans une entreprise qui a fait faillite en octobre 2021. Le mois suivant, il a été engagé par la firme pour laquelle il travaille depuis lors.

« On me disait que mon historique d’emploi n’était pas très bon, indique-t-il. On ne voulait pas me faire de prêt aussi parce que je n’ai jamais eu de prêt auto ni de prêt étudiant. J’ai payé ma voiture au comptant et j’ai toujours payé ma carte de crédit au complet chaque mois. »

En somme, il présentait le désavantage d’avoir sagement géré ses dépenses.

Il touche actuellement un salaire de 60 000 $.

Son budget montre un surplus annuel de 18 800 $ sur des revenus nets de 40 700 $.

Sa conjointe, Myriam*, aux études pour encore deux ans, gagne à temps partiel 15 000 $ par année. Elle prend en charge les frais pour la nourriture, l’électricité et l’internet du couple.

En considérant les 18 800 $ de son surplus budgétaire et les 10 900 $ du loyer actuel, Samuel estime qu’il pourrait consacrer près de 30 000 $ par année au paiement d’une hypothèque.

« J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi je ne suis pas capable d’obtenir un prêt, alors que ma situation a l’air quand même bonne », proteste-t-il.

« Que dois-je faire ? J’ai pensé à quelques pistes de solution, comme attendre encore un an ou deux pour avoir une plus grande stabilité d’emploi et pour que ma copine termine ses études, ou prendre un prêt automobile, par exemple, pour améliorer mon score de crédit. Ou acheter en région une maison de 250 000 $. »

Outre qu’il devrait convaincre Myriam de s’éloigner de la Rive-Sud, sans doute leur faudrait-il alors acquérir une seconde voiture.

La voiture de Samuel, une année-modèle 2007 achetée d’occasion en 2012, tiendra-t-elle le coup encore quelque temps ?

« Je l’espère, répond-il avec un sourire dans la voix. J’ai acheté cette voiture quand j’ai commencé mon cégep. Je pensais qu’elle serait bonne pour cinq ans, et miraculeusement, je l’ai depuis dix ans et elle fonctionne encore. »

Les institutions financières s’en étonnent, elles aussi.

« L’une d’elles trouvait inquiétant que je n’aie pas de prêt automobile. Ils enlevaient une partie de ma capacité d’emprunt en fonction d’un prêt automobile que je pourrais avoir. »

« On m’a toujours dit qu’il fallait que j’accumule de l’épargne, que j’aie une vie stable, que je fasse des études, exprime-t-il. Toutes ces étapes-là sont faites et on dirait que pour les institutions, c’est encore impossible. »

Les chiffres

Samuel, 26 ans

Salaire : 60 000 $
Revenu net : 40 700 $
Dépenses : 23 655 $
Cotisations au REER de l’employeur : 1800 $/an
Surplus budgétaire : 18 800 $
Épargne disponible pour mise de fonds : 95 000 $
Aucune dette
Loyer actuel : 910 $/mois

Myriam

Aux études pour encore deux ans
Revenu annuel brut : 15 000 $
Son revenu couvre ses dépenses, qui incluent la nourriture, l’électricité et l’internet pour le couple.

La réponse

Samuel « est en bonne situation financière », constate d’emblée Lucie Dal Molin, conseillère budgétaire à l’ACEF de l’Est de Montréal, un organisme qui offre des consultations budgétaires et des cours d’accession à la propriété.

Toutefois, « il l’a dit lui-même, sa situation d’emploi est instable », ajoute-t-elle aussitôt. « Je comprends que les institutions financières soient un peu frileuses. »

Samuel évoque la possibilité de contracter un prêt dont il n’a « pas nécessairement besoin, juste pour améliorer [s]a cote de crédit », dit-il.

« Surtout pas ! », réplique Lucie Dal Molin. « Pourquoi se mettre en difficulté ? »

PHOTO FOURNIE PAR L'ACEF DE L'EST DE MONTRÉAL

Lucie Dal Molin, conseillère budgétaire à l’ACEF de l’Est de Montréal

Il envisage autrement de remplacer son auto plus tôt.

« Ça pourrait montrer en effet qu’il rembourse bien son prêt, mais il ne faut pas non plus se forcer pour seulement avoir un bon dossier de crédit. »

De toute manière, tant pour le dossier de crédit que pour la régularité en emploi, il faudra de nombreux mois d’assiduité pour rassurer quelque peu les prêteurs.

Le projet semble aussi frapper l’écueil des revenus du ménage, puisqu’un prêt, même garanti par une caution, est plafonné à 300 000 $.

Regardons la situation selon les critères habituels des institutions financières.

« Les ratios ATD [amortissement total de la dette] et ABD [amortissement brut de la dette] doivent être calculés en fonction d’un test de résistance », rappelle Lucie Dal Molin.

Depuis le 1er juin 2021, la capacité de remboursement des acheteurs est évaluée en fonction du plus élevé entre un taux d’intérêt de 5,25 % et le taux négocié avec le prêteur, plus deux points de pourcentage.

Posons quelques paramètres : des revenus bruts de 75 000 $, une mise de fonds de 95 000 $, le taux d’intérêt prescrit de 5,25 %, des impôts fonciers de 2600 $ et des frais de chauffage de 1800 $ par année.

Avec une propriété de 395 000 $ (donc un prêt de 300 000 $, non assuré car la mise de fonds est supérieure à 20 %), l’indice ABD atteint 34,5 %, légèrement au-dessus du plafond de 32 %.

En supposant des mensualités de prêt automobile de 350 $, l’indice d’amortissement total de la dette (ATD) se fixe à 40,1 %, tout juste à la limite des 40 %.

L’institution financière qui a limité le prêt à 300 000 $ semble donc respecter les critères du test de résistance du Bureau du surintendant des institutions financières.

Le vrai test

Mais tous les conseillers budgétaires vous le diront, le véritable test est celui du budget.

« Il faut toujours se baser sur les revenus nets », avise Lucie Dal Molin.

« Il est important de ne pas utiliser tout l’argent de la mise de fonds. Il faut prévoir un bon 10 000 $ pour les frais de la première année. » Cette somme servira aux frais d’inspection, de notaire, de déménagement, d’aménagement, ainsi qu’aux droits de mutation (taxe de bienvenue) et à l’ajustement des comptes déjà payés par le propriétaire actuel.

Il est sage de conserver également 5000 $ dans un fonds d’urgence « pour les imprévus concernant le bien immobilier, mais aussi pour la vie de tous les jours », ajoute la conseillère.

En somme, à moins que Sébastien et Myriam disposent d’autres épargnes, la mise de fonds s’établirait plutôt à 80 000 $.

Dans ces conditions, quelle place leur budget laisse-t-il à une hypothèque ?

L’assurance habitation coûtera peut-être 500 $ de plus que leur assurance locataire actuelle. Il faudra probablement compter 1000 $ de plus par année pour l’électricité. Ajoutons 2600 $ en impôts fonciers.

Il serait prudent de prévoir dès maintenant au budget le paiement d’une nouvelle voiture, puisqu’il faudra vraisemblablement remplacer avant longtemps l’increvable bagnole âgée de 15 ans. Consacrons-y 350 $ par mois, pour les fins de notre calcul.

Le surplus budgétaire annuel de 18 800 $ se trouve ainsi réduit à environ 10 500 $, soit 875 $ par mois.

En y ajoutant le loyer actuel de 910 $, le couple pourrait donc consacrer 1785 $ à la mensualité hypothécaire.

En approximant cette mensualité avec une calculatrice hypothécaire, le taux prescrit de 5,25 % sur 25 ans génère un prêt de... 299 500 $.

Tiens donc.

Avec un taux de 3 %, le prêt atteint 377 276 $ (y compris cette fois une prime d’assurance prêt de 10 276 $), pour une propriété qui n’excède pas 447 000 $.

Le couple devrait-il s’éloigner pour payer moins cher ? « Ça dépend de leur projet de vie, répond Lucie Dal Molin. Est-ce qu’ils veulent devenir propriétaires à tout prix, peu importe les conséquences ? »

En fait – et Samuel le subodore déjà –, la solution la plus simple consiste évidemment à attendre un ou deux ans encore.

« D’ici là, sa conjointe aura terminé ses études et aura trouvé un travail. Ça leur procurera sans doute de meilleurs revenus et une meilleure capacité de remboursement. »

Samuel aura montré plus de stabilité en emploi et ils auront accru leurs épargnes pour la mise de fonds.

« Je ne vous ai pas donné des informations très croustillantes, dit Lucie Dal Molin. Mais c’est la réalité. »

Une réalité ouverte sur l’avenir, tout de même.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Vous planifiez un projet qui demande une utilisation judicieuse de votre argent ? Vous avez des problèmes financiers ?

Soumettez 
votre cas à l’équipe de Train de vie