Nous aimons ça, accumuler des points et les transformer en récompenses. Tellement qu’en moyenne, nous détenons 10 cartes de fidélité. Pour certains, c’est un jeu dont ils maîtrisent toutes les stratégies pour maximiser les gains.

Mais les dessous de ces programmes de marketing demeurent assez mystérieux pour le commun des mortels. Et plusieurs mythes sont tenaces. À commencer par le coût de ces programmes... pour les consommateurs.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Échantillon de cartes de fidélité

J’ai récemment écrit sur le compte de banque PC Argent, lancé par la filiale financière de Loblaw (Maxi, Provigo, Pharmaprix). Ses détenteurs reçoivent des points PC Optimum chaque fois qu’ils utilisent leur carte de débit1.

Des lecteurs m’ont alors demandé combien nous coûtent ces programmes de fidélisation toujours plus nombreux. Ils présument que l’attribution de points échangeables contre des récompenses fait grimper les prix de détail, puisque rien n’est gratuit dans la vie.

Le raisonnement est sensé.

Mais il est erroné.

« C’est un mythe », me jure Hans Laroche, associé chez R3 Marketing, firme d’experts en matière de fidélisation. Pendant près d’une heure, il m’a révélé les secrets derrière toutes ces cartes qui remplissent nos portefeuilles. Celui qui enseigne en outre le marketing aux étudiants du 2cycle à l’Université de Sherbrooke et à l’ESG UQAM est catégorique : les entreprises n’augmentent pas leurs prix de détail pour financer un programme de loyauté.

« Je n’ai jamais vu ça. Les consommateurs s’en apercevraient et les journalistes sauteraient là-dessus ! » Qu’il s’agisse de stations-service, de pharmacies ou de supermarchés, la concurrence est très forte, les prix sont connus et chaque variation est remarquée, ajoute-t-il.

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Hans Laroche, associé chez R3 Marketing, firme d’experts dans les programmes de fidélisation

Les détaillants transfèrent plutôt une grande partie de leur budget de « marketing d’acquisition » vers le « marketing relationnel ».

Concrètement, ça veut dire que les sommes traditionnellement allouées au recrutement de nouveaux clients vont plutôt servir à convaincre les clients actuels de dépenser plus (en leur offrant des récompenses sur leur carte de fidélité).

Le marketing d’acquisition coûte cher. Non seulement il faut produire et diffuser de la publicité, mais souvent, on y associe aussi un rabais alléchant qui ampute la marge de profit. C’est autant d’argent qui peut être utilisé pour récompenser ses clients d’être loyaux avec des points.

D’ailleurs, les récompenses occasionnent à elles seules 80 % des dépenses d’un programme, précise Hans Laroche.

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Depuis le lancement en 2015 de la carte Inspire de la SAQ, je ne compte plus les fois où on m’a demandé pourquoi un monopole investissait dans un outil pour fidéliser des consommateurs... déjà captifs.

En réalité, souligne Hans Laroche, la SAQ vend 60 % de l’alcool au Québec. Les dépanneurs et les supermarchés vendent le reste. La société d’État doit jouer des coudes pour maintenir sa part de marché. Elle doit aussi offrir un bon service pour demeurer pertinente.

L’expert rappelle qu’avant de lancer son programme Inspire, la SAQ faisait quelques évènements par année où elle offrait 15 ou 20 % de rabais à tout le monde. Cela réduisait sa marge de profit et causait de l’engorgement et de frustrantes pénuries dans les succursales.

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Les rabais offerts uniquement aux détenteurs de la carte Inspire de la SAQ doivent susciter de la frustration, écrit notre chroniqueuse.

Aujourd’hui, la SAQ envoie hebdomadairement un courriel personnalisé à chacun de ses 2,1 millions de membres en fonction de ses goûts. Et il n’y en a pas deux pareils !

Ces envois ont mené à l’abandon de la production de la circulaire qui était distribuée à la grandeur de la province. Et à une réduction importante du budget publicitaire. Le marketing ciblé a ainsi permis à la SAQ, depuis cinq ans, d’épargner quelques dizaines de millions de dollars, précise son porte-parole Yann Langlais-Plante.

Cette stratégie n’est pas commode pour les non-membres qui aiment les aubaines, j’en conviens. Les rabais offerts uniquement aux détenteurs de la carte, chez certains détaillants, doivent aussi susciter de la frustration.

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Mais en réalité, il n’y a pas vraiment de raison pour bouder les cartes de fidélité. Elles ne coûtent rien et finissent par rapporter. Évidemment, si l’envie de gagner des points ou d’autres avantages vous fait surconsommer, mieux vaut les éviter.

Certaines personnes ont peur que leurs données soient volées. C’est un risque réel... qu’on court aussi en ayant un compte de banque, cela dit. D’autres n’aiment pas l’idée que les détaillants épient leurs habitudes d’achat. J’y vois plutôt un avantage : celui de recevoir uniquement des offres pertinentes.

D’ailleurs, en 2021, les algorithmes doivent être efficaces. Avez-vous encore de la patience envers les détaillants qui ne savent pas identifier vos préférences ? Pas moi. Et puis, avouons-le, c’est agréable d’obtenir un article gratuit, un rabais ou un privilège une fois de temps en temps. Ces petits luxes acquis avec des points sont doux, je trouve.

Je ne suis pas la seule ! Metro a réalisé que la semaine après l’envoi des chèques aux membres de metro&moi, la vente de produits plus haut de gamme bondit, rapporte Hans Laroche. « Les gens se gâtent ! »

C’est psychologique, mais j’ai l’impression d’en avoir plus pour mes points si je les utilise pour me procurer un filet mignon plutôt qu’un paquet de papier hygiénique. Même si les deux sont le même prix. Purement psychologique.

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