Après une année pas comme les autres, la saison des impôts qui s’achève est tout aussi hors norme. Tant pour les contribuables que pour les experts en comptabilité.

Dans ses courriels comme au téléphone, le ton de Karine Gélinas trahit son état. Elle est débordée, essoufflée et « un peu désemparée » pour tous ceux qui n’arriveront pas à transmettre leur déclaration de revenus d’ici 12 jours.

L’entrepreneure est copropriétaire d’une entreprise qui offre des services de comptabilité à Victoriaville. Depuis des semaines, elle doit composer avec un plus grand nombre de clients, des déclarations anormalement chronophages et des feuillets officiels contenant des informations inexactes. Ouf !

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec confirme que la saison des impôts est difficile d’un point de vue logistique et en raison d’une hausse notable du nombre de clients.

« J’ai la moitié de ma clientèle qui me demande 25 % plus de temps ! », raconte Karine Gélinas.

Beaucoup de gens espèrent maximiser leur déduction relative aux dépenses de télétravail. Ils arrivent donc avec une enveloppe pleine de factures. Électricité, internet, téléphone cellulaire, peinture, cartouches d’encre, crayons… « Ils veulent juste utiliser la méthode longue… »

Avec la méthode courte, Québec et Ottawa offrent chacun une déduction de 2 $ par jour. Dans certains cas, la méthode détaillée est plus payante. Mais pour le savoir, il faut faire le test, ce qui demande « beaucoup de calculs ».

Karine Gélinas n’a donc pas le choix. Depuis le 1er avril, elle n’accepte plus de nouveaux clients. Son horaire déborde. C’est la première fois en 15 ans qu’elle refuse du travail. Ceux qui cherchent désespérément un endroit où faire faire leurs impôts lui demandent des références… qu’elle n’a pas.

Chez Impôts Ici !, à Montréal, les nouvelles méthodes de travail liées à la COVID-19 « ajoutent 30 % de temps de travail ». Les documents déposés en personne dans ses locaux doivent être numérisés afin d’être accessibles au personnel en télétravail. Pour ces derniers, la gestion de documents numériques est plus longue, tout comme le processus de signature électronique.

Résultat, le délai de traitement est passé de trois à cinq semaines. « Ça crée beaucoup d’anxiété et d’insécurité chez nos clients », constate le propriétaire Nicolas Godbout.

L’Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) confirme que la saison des impôts est difficile d’un point de vue logistique et en raison d’une hausse notable du nombre de clients.

Certaines personnes qui utilisaient un logiciel à la maison se tournent cette année vers les professionnels. Soit parce que leur situation est plus complexe, soit parce qu’ils ont peur de commettre une erreur, ne sachant pas trop quoi faire avec leur T4A ou T4 erroné.

On le constate aussi chez H&R Block, me dit Josée Cabral, spécialiste supérieure de l’impôt. « Il y a plus de déductions, d’aides gouvernementales. Les gens doutent. Ils ont peur d’oublier des choses. »

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Jeudi matin, Québec a annoncé qu’il donnait un peu de répit aux contribuables.

Aucune pénalité ni aucun intérêt ne seront exigés sur les soldes d’impôt avant le 31 mai 2021. L’Ordre des CPA s’en est réjoui sur Twitter, rappelant qu’il avait transmis au ministre des Finances les « inquiétudes et les préoccupations d’un nombre croissant de [ses] membres pour respecter les échéances ».

Le problème, c’est que l’annonce de Québec ne change pas grand-chose. Parce qu’Ottawa n’a pas suivi !

Nos deux déclarations étant produites en même temps, une seule date limite importe : la plus rapprochée, évidemment. Dommage que les deux paliers ne se soient pas coordonnés.

L’Agence du revenu du Canada (ARC) plaide qu’un report pourrait compromettre le versement de certaines allocations.

« La réponse actuelle de l’ARC, relayée dans son communiqué, n’est ni plus ni moins que farfelue et déconnectée de la réalité », dénonce Simon Elliott, un CPA de Carignan qui me raconte avoir passé trois heures au téléphone avec l’ARC pour un seul dossier. À son avis, cette « pression » provoquée par la date limite du 30 avril « est tout simplement indue et facilement évitable ».

Attention, rappelle Josée Cabral, « si on produit en retard, on prend le risque que nos allocations familiales soient coupées ».

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En plus de tous ces enjeux, il y a les mauvaises surprises.

On me donne l’exemple de ces habitués des remboursements d’impôts qui ont reçu 10 000 $ de PCU et qui n’ont pas eu les moyens de contribuer à leur REER. « Cette année, ils se retrouvent avec un solde d’impôt de 3000 $ ou 4000 $. Ils sont en état de choc ! », rapporte Mme Cabral.

C’est sans compter ceux qui ont été victimes d’une fraude et qui se retrouvent avec un T4A ou T4 erroné.

D’autres ont remboursé, en 2020, la PCU qu’ils avaient reçue, mais Ottawa a omis d’en tenir compte en produisant ses feuillets.

On les appelle. Ils voient qu’ils ont reçu un dépôt, mais ils ne savent pas où l’argent est rendu.

Karine Gélinas, entrepreneure et copropriétaire d’une entreprise qui offre des services de comptabilité à Victoriaville

Sans réponse claire, aucun feuillet rectifié ne sera émis. Des clients sont frustrés, car ils risquent de devoir payer de l’impôt sur une somme remboursée et d’attendre des mois pour ravoir la somme.

Rappelons toutefois qu’un allègement des intérêts sur les impôts à payer pour 2020 est accordé aux personnes ayant reçu une prestation liée à la COVID-19 dont le revenu imposable fut de 75 000 $ ou moins.

Bref, la dernière ligne droite avant le 30 avril est intense pour tout le monde. Montrons-nous indulgents envers les professionnels qui font face à une série de défis. Et résignons-nous à l’évidence : le SARS-CoV-2 aura aussi réussi à attaquer nos impôts.

Si vous cherchez un comptable, l’Ordre des CPA a créé un répertoire.