« Rares sont les travaux de construction réalisés à la perfection ou, à tout le moins, à la satisfaction du client. Le Code civil du Québec reconnaît cette problématique », écrivait le juge de la Cour supérieure Yves Poirier dans une décision rendue en 2019.

Oui, même les textes de loi voient les affaires croches.

Combien d’histoires d’horreur avez-vous entendues dans votre vie au sujet de travaux bâclés ?

Quand vous achetez une cuisinière qui se détraque au bout d’un an, ou des écouteurs sans fil qui ne remplissent pas leurs promesses, vous pouvez espérer un règlement grâce à la garantie prévue par la loi. Cette protection automatique permet d’obtenir un remboursement ou un remplacement.

Bon, ce n’est pas toujours simple, il faut parfois se rendre devant les petites créances. Mais c’est mieux que rien.

Dans la construction, alors que les enjeux peuvent être pas mal plus graves – pensez à un toit qui coule –, il n’y a pas d’équivalent. Il faut généralement se tourner vers les tribunaux, avec les coûts et les délais qu’on connaît. La Régie du bâtiment du Québec (RBQ), qui délivre les permis dans le secteur de la construction, ne tranche pas les litiges.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

La Régie du bâtiment du Québec, qui délivre les permis dans le secteur de la construction, ne tranche pas les litiges, écrit notre chroniqueuse.

Le consommateur insatisfait retient parfois son paiement. L’entrepreneur impayé peut alors enregistrer sur-le-champ une hypothèque légale sur la propriété de son client. Un outil qui semble très efficace pour motiver l’envoi rapide d’argent, comme je l’écrivais dimanche. Notamment parce que la contestation d’une hypothèque légale coûte souvent plus cher que le montant en cause.

> (Re)lisez la chronique « Après le travail bâclé, la menace »

L’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) dénonce ce « déséquilibre » entre les forces qui « vient, de facto, renier le droit de réserve prévu à l’article 2111 du Code civil du Québec ».

Cet article est important. Il prévoit que le client a le droit de ne pas payer en entier des travaux tant que les réparations ou les corrections n’ont pas été apportées, lorsqu’il y a des « vices ou malfaçons apparents ». La somme retenue doit équivaloir au coût de la réparation.

Pour faire changer les règles du jeu, l’ACQC a lancé une pétition qu’on peut signer depuis quelques jours sur le site de l’Assemblée nationale.

> Consultez la pétition électronique

***

La bonne nouvelle, c’est que le dossier intéresse déjà le gouvernement.

« Les hypothèques légales de la construction soulèvent effectivement plusieurs préoccupations, notamment quant à leur caractère occulte. Il s’agit d’un enjeu sur lequel nous nous penchons et que nous analysons », m’a confirmé le cabinet du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette.

En 2018, un reportage de La facture, à la télé de Radio-Canada, racontait l’histoire d’un constructeur de maisons neuves qui n’avait pas payé ses sous-traitants. Ceux-ci avaient alors enregistré de multiples hypothèques légales. Pour garder leur toit, les propriétaires avaient été forcés de leur verser des milliers de dollars. De payer les travaux en double, autrement dit.

Simon Jolin-Barrette s’était alors engagé, au nom de la CAQ, à revoir la législation pour mieux protéger les consommateurs.

L’ACQC lui propose trois choses :

– Interdire l’inscription d’une hypothèque légale de la construction pour une créance de moins de 15 000 $, le maximum admissible aux petites créances

– Qu’une hypothèque légale ne permette plus la saisie d’un immeuble servant de résidence principale pour garantir le paiement d’une créance inférieure à 20 000 $

– Qu’une hypothèque légale soit présumée abusive lorsque les travaux effectués par l’entrepreneur comportent des vices, des malfaçons ou ne respectent pas les règles de l’art

Si les hypothèques légales pour les petits travaux sont interdits, les entrepreneurs voudront obtenir d’autres garanties ou augmenteront leurs prix vu le risque accru de mauvaises créances, craint Jean-Patrick Dallaire, avocat spécialisé dans le droit de la construction chez Langlois Avocats. À son avis, les solutions sont ailleurs.

Il croit qu’on pourrait faciliter le processus permettant au consommateur qui se retrouve avec une hypothèque légale de demander au tribunal son remplacement par une autre garantie (une somme d’argent placée dans un compte), croit-il. Doit-on créer un tribunal spécialisé dans la construction comme il en existe pour le travail et les droits de la personne ? C’est une autre idée.

Mais rien ne pourra changer le fait que la construction, c’est parfois une affaire d’esthétisme et donc de subjectivité, ce qui favorise les désaccords. Souvent, on n’a pas envie de faire reprendre les travaux par celui qui les a mal faits. On veut aussi en finir au plus vite parce que le processus a déjà été assez éprouvant.

Il faut assurément améliorer le rapport de forces des consommateurs, mais ce n’est pas ça qui va transformer tous les travailleurs de la construction en premiers de classe.