Trop compliqué, acheter des bitcoins ? Ce n’est plus vrai depuis que le Canada est devenu récemment le premier pays à offrir des fonds négociés en Bourse qui calquent le rendement du bitcoin sans sa mécanique complexe. Et il ne s’agit pas des seuls véhicules du genre, puisque d’autres fonds ont ouvert la voie depuis avril 2020. Mais attention, préviennent les experts : il faut avoir le cœur solide.

Premier véhicule

Difficile de dire non à un rendement de près de 5000 %, comme ont eu droit les détenteurs de bitcoins depuis février 2017. Mais l’acquisition de cette cryptomonnaie, avec sa clé privée, son portefeuille électronique et ses plateformes d’échange parfois louches, n’est manifestement pas pour tout le monde.

Heureusement, le Canada a le don des premières quand il s’agit de bitcoin. En avril 2020, le premier fonds à capital fixe au monde, celui de la firme 3iQ, établie à Toronto et fondée par les Montréalais Jean-Luc Landry et Fred Pye, était lancé. Petits et gros investisseurs ont pu se procurer depuis quelque 21 millions d’unités du Fonds Bitcoin (QBTC), émises à intervalles réguliers, générant des liquidités utilisées pour acheter cette cryptomonnaie. Ses frais de gestion sont de 1,95 %.

Au dernier décompte, au 18 mars, le Fonds Bitcoin de 3iQ avait des actifs de 1,69 milliard de dollars, ce qui en fait le plus important du genre au Canada. Un autre fonds, celui de CI Galaxy Bitcoin Fund (BTCG), est venu concurrencer 3iQ en novembre dernier.

Le but est de suivre le plus possible la valeur du bitcoin et d’offrir aux Canadiens cette exposition à la cryptomonnaie dans un compte enregistré, qu’on peut mettre dans un CELI ou un REER.

François Dionne St-Arneault, directeur produit et marketing chez 3iQ

Il ne s’agit pas d’un fonds commun de placement, faut-il le préciser, puisqu’il n’achète qu’une catégorie d’actifs, le bitcoin, à intervalles réguliers et non pas selon la fluctuation de la valeur. « On ne fait pas de gestion active, on ne va pas “trader” le bitcoin, dit M. Dionne St-Arneault. C’est davantage comme des bons pour de l’or : les actions qu’on va mettre sur le marché sont calquées sur la valeur du bitcoin, et on va en acheter quand de nouvelles parts vont être émises. »

Les unités du fonds à capital fixe (closed-end fund en anglais) peuvent toutefois être échangées sur le marché, leur donnant un cours parfois différent de ce qu’on appelle la « valeur liquidative », celle qui est simplement calculée sur le cours du bitcoin.

« Aux États-Unis, les parts du fonds bitcoin de Greyscale s’échangent jusqu’à 30 % plus cher que leur valeur liquidative », note Martin Lalonde, gestionnaire de portefeuille chez Rivemont. L’unité de 3iQ offre une aubaine : si on se fie uniquement à son contenu en bitcoin au 24 février dernier, elle devrait valoir 80,66 $. Son cours était plutôt de 79,20 $.

Les joies de la négociation

La grande nouveauté récente sur le marché, c’est la firme torontoise Purpose Investments qui l’a officiellement introduite à la Bourse de Toronto à la mi-février. Le Purpose Bitcoin ETF est le premier fonds négocié en Bourse (FNB) basé exclusivement sur le bitcoin. En un mois, en date du 18 mars, il avait récolté 1 milliard, selon le site de l’entreprise. Un second FNB, celui de la firme torontoise Evolve (EBIT), a fait son entrée quelques jours plus tard. 3iQ a également annoncé le 12 février avoir obtenu les autorisations préliminaires pour un fonds semblable, qui devrait être offert prochainement.

Contrairement à un fonds à capital fixe, le FNB calque de façon beaucoup plus fidèle la valeur du bitcoin, avec des achats constants au fur et à mesure que de nouveaux investisseurs acquièrent des parts. Les frais de gestion sont généralement plus bas : les deux premiers offerts les ont établis à 1 %.

PHOTO ANDREW ROWAT

Greg Taylor, directeur des investissements chez Purpose Investments

« Notre FNB calque purement le bitcoin, il n’y a aucune gestion active qui est engagée, explique Greg Taylor, directeur des investissements chez Purpose. Chaque dollar qui y entre ressort directement sous forme d’achat de bitcoins. »

Selon les experts consultés par La Presse, les FNB remplaceront probablement à moyen terme d’autres véhicules. « Les FNB, c’est vraiment l’avenir, estime Voicu Valentir, président du groupe Cavaliro, firme d’investissement de Laval. Les fonds communs de placement, ça fait 20 ans que je dis qu’ils n’ont plus leur place et les fonds à capital fixe ont leurs limites. »

S’accrocher

L’Autorité des marchés financiers précise que les produits négociés à la Bourse de Toronto peuvent être achetés par un courtier au Québec. « L’Autorité est également à examiner d’autres produits de même nature », a précisé par courriel Sylvain Théberge, porte-parole.

Que des petits investisseurs aient maintenant accès au bitcoin dans un cadre plus rassurant, encadré par des firmes d’investissement établies et auditées, ne change toutefois pas la donnée de base : il s’agit d’une monnaie numérique très volatile, au cours extrêmement fluctuant. « Ce n’est pas impossible que ça perde 50 % ou que ça triple dans les prochaines années, prévient Jonathan Hamel, entrepreneur et fondateur de l’Académie Bitcoin. Les investisseurs qui plongent là-dedans doivent être prêts à l’assumer. »

La firme Rivemont est une des rares, sinon la seule au Canada, à offrir un fonds commun de placement basé sur le bitcoin et dont la composition est diversifiée pour atténuer les fluctuations. Mais le gestionnaire de portefeuille Martin Lalonde rappelle une vérité de base en matière d’investissement : « Il y a toujours un lien entre la volatilité et le rendement potentiel. Les obligations d’épargne, ça ne donne rien et il n’y a aucune volatilité. »

Il estime que tout portefeuille devrait contenir des bitcoins, ou leur version en fonds. « Un 5 %, ça aurait du sens pour tout le monde. À long terme, ça n’aura pas un gros impact sur la qualité de vie de l’investisseur et c’est assez important pour qu’on ait un bon rendement si la valeur explose. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Voicu Valentir, président du groupe Cavaliro, firme d’investissement de Laval

On assiste présentement à la deuxième vague de popularité du bitcoin, selon Voicu Valentir : après les premiers fidèles, « les petits wizz et les millénariaux », c’est au tour des investisseurs plus traditionnels. « Mais il faut qu’ils s’assurent de comprendre comment ça fonctionne avant d’investir », rappelle-t-il. La troisième vague, dont on ne peut prédire l’imminence, sera celle où les investisseurs institutionnels comme les caisses de retraite plongeront à leur tour. « C’est là qu’on verra si le bitcoin mérite sa place à côté de l’or. »

Qu’est-ce que le bitcoin ?

PHOTO JONATHAN ALCORN, BLOOMBERG

Dorian Satoshi Nakamoto, physicien de 64 ans identifié par des médias en 2014 comme le créateur du bitcoin, a toujours nié être « le » Satoshi Nakamoto. Il s’agit de façon plus plausible d’un groupe d’informaticiens qui n’ont pas encore été identifiés.

Cette monnaie électronique a été créée artificiellement par un groupe d’informaticiens sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto en 2009. L’objectif, quelques mois après la crise financière, était d’offrir une solution de rechange pour s’affranchir des banques centrales. Le principe de base, au départ, était d’émettre 50 bitcoins toutes les 10 minutes, qui seraient attribués à tous ceux qui prêtent leur ordinateur pour gérer les transactions et valider le registre. Par convention, le nombre de bitcoins émis est divisé par deux tous les quatre ans ; il est présentement de 6,25 bitcoins toutes les 10 minutes. Techniquement, tous les bitcoins, soit 21 millions, seront finalement émis en 2140. Le registre, lui, demande de plus en plus de ressources pour être géré, 18,6 millions de bitcoins étant présentement en circulation. Cette rareté et la puissance informatique toujours plus grande étaient voulues pour calquer le comportement du bitcoin sur celui des matières premières comme l’or. Le bitcoin est réellement devenu tangible quand des entreprises se sont mises à l’accepter comme mode de paiement – la dernière en lice est Tesla – et que sa valeur a explosé sur des plateformes d’échange. Il a atteint les 100 $ US en 2013, puis les 1000 $ US en 2017, avant de frapper un sommet de 57 128 $ US le 21 février dernier, uniquement par le mécanisme de l’offre et de la demande. Ce que n’avaient probablement pas prévu ses créateurs, toutefois, c’est qu’il existe aujourd’hui plus de 4000 cryptomonnaies, dont plusieurs sont des surgeons du bitcoin originel.

Bitcoin : acheter autrement

Fonds à capital fixe

On retrouve 125 fonds à capital fixe inscrits à la Bourse de Toronto, dont deux sont basés sur le bitcoin, CI Galaxy et 3iQ. À intervalles réguliers, ces fonds émettent un certain nombre d’actions à une valeur déterminée, qui peuvent ensuite être échangées sur le marché. Dans le cas du Fonds Bitcoin de 3iQ, la « valeur nette de l’actif par unité » est établie tous les jours en fin de séance. Elle correspond au nombre de bitcoins par action du fonds, soit 0,00112409 en date du 18 mars, multiplié par le cours de la cryptomonnaie. On offre une fois par année aux investisseurs de racheter leurs unités à ce prix.

FNB

On compte au Canada 977 fonds négociés en Bourse (FNB), un véhicule très populaire dont la capitalisation a atteint 236 milliards, notamment en raison de ses frais de gestion minimes et de son rendement calqué sur le comportement de certains cours : actions, matières premières, devises. Depuis la mi-février, deux de ces FNB, ceux de Purpose et d’Evolve, sont basés exclusivement sur le cours du bitcoin. Ils sont cotés et négociés en Bourse, mais on estime que leur valeur est plus proche du cours qu’ils calquent qu’avec les fonds à capital fixe, notamment par la présence d’une firme mandatée comme « mainteneur de marché » et par le fait qu’ils acquièrent le bitcoin constamment plutôt qu’après une émission.

Actions

Comme pour les sociétés minières, dont elles empruntent d’ailleurs le vocabulaire, certaines firmes spécialisées dans le décryptage et la validation du registre bitcoin sont présentes en Bourse. Ces « minières bitcoin », comme Bitfarms, Hut 8 et HIVE au Canada, voient évidemment le cours de leur action fluctuer à peu près au même rythme que la ressource principale qu’elles exploitent. Les courbes se ressemblent d’ailleurs de façon assez évidente, avec quelques nuances. « C’est une façon contournée d’acheter du bitcoin, mais je dirais que leur action est encore plus volatile », analyse Martin Lalonde, de la firme Rivemont.

Synthétiques

Plus présent aux États-Unis, avec Robinhood et PayPal, l’achat de bitcoins « synthétiques » n’est offert qu’avec un seul intermédiaire au Canada, Wealthsimple. Cette firme d’investissement en ligne, propriété de Power Corporation, permet d’acheter des bitcoins qui n’ont de valeur qu’à l’intérieur de la plateforme. Il existe par ailleurs un fonds commun de placement lié au bitcoin, qui inclut également l’ethereum : Fonds Rivemont Crypto. Créé à la fin de 2017, il vise à minimiser les fluctuations des cryptomonnaies. Après des débuts chaotiques et des pertes de 59,5 % la première année, ce fonds a eu un rendement de 187,2 % en 2020, pour un rendement moyen de 12,6 % depuis sa création.