Ils sont toujours sur le frein budgétaire, dit-elle. « Et on voit tout notre entourage, nos couples d’amis avec ou sans enfants, qui ont fait des changements importants dans leur vie : voiture de luxe, bateau, nouvelle maison… Et nous, on reste avec nos affaires toutes payées et notre vieille maison qu’on aime plus ou moins… Et on se dit : est-ce qu’on est peureux ? »

La situation

Jeunes quadragénaires sans enfants, Josiane* et Sébastien* habitent dans la région de Québec une maison de plain-pied construite dans les années 1970.

« Vivons-nous de façon trop conservatrice ? Pourtant, nos paies suffisent à peine à payer notre train de vie. Nous aimerions y voir plus clair ! »

En d’autres mots : Josiane et Sébastien dépensent-ils suffisamment ?

Étonnante question…

« C’est rare, reconnaît Josiane, mais c’est parce qu’on a tout le temps vécu dans notre tête comme des étudiants. »

Ils ont pourtant 41 et 43 ans. Mais ils ont tous deux étudié dans un domaine artistique avant de réorienter leur carrière.

« On s’est replacés dans d’autres domaines, et on est toujours restés… » Elle cherche l’expression juste, puis la trouve : « frileux à dépenser ».

Josiane et Sébastien gagnent respectivement 60 800 $ et 81 000 $ par année. Leur maison, payée 169 000 $ en 2008 et refinancée plus tard pour des rénovations, est grevée d’un solde hypothécaire de 112 000 $.

On voit de belles maisons, toutes au-dessus de 500 000 $, et on rêve d’autre chose que notre maison de premier acheteur.

Josiane

Ils ont fait quelques dépenses de loisirs, tout de même, comme ces deux motos qu’ils se sont procurées il y a deux ou trois ans.

Josiane se défend de jouer au voisin gonflable. « C’est juste qu’on l’aime plus ou moins, notre maison. Quand on s’arrête à regarder les paiements, on se dit qu’elle nous convient, mais en même temps, on n’a pas de garage pour les motos… Il y a plein de commodités qu’on n’a pas ici. »

Elle le reconnaît : « On aurait avantage à faire un budget serré. Si on était un peu plus restrictifs dans nos dépenses, là, on pourrait dégager un surplus. »

Combien dépensent-ils ? Faute de budget, elle l’ignore.

L’entretien téléphonique fait surgir un indice : leur compte conjoint, par lequel tous les revenus et dépenses transitent, demeure stable.

En septembre, leurs chèques de paie se sont fixés à 712 $ par semaine pour elle, 1640 $ toutes les deux semaines pour lui. Le total annuel avoisine 79 700 $ par année.

Un autre indice : toujours pendant la conversation, Josiane consulte l’outil budgétaire associé à leur compte conjoint. Elle constate ainsi qu’au cours des 12 derniers mois, les dépenses du couple ont totalisé 63 600 $. Leur coût de vie se situe quelque part entre les deux sommes.

Josiane souligne d’ailleurs qu’au cours des dernières années, elle a pu acquitter en six mois l’emprunt pour sa moto de 12 000 $, payer des frais de dentiste de 6000 $ et rembourser en un an les 13 000 $ nécessaires au rachat de location de leur unique voiture.

« Les surplus qu’on avait y ont passé », dit-elle.

Tous les deux profitent d’un régime de retraite à prestations déterminées.

Josiane verse en outre 210 $ à intervalles de deux semaines dans un REER.

De son côté, Sébastien dépose dans son REER le boni annuel de 5000 $ à 8000 $ qui s’ajoute à son salaire de 81 000 $.

« On voit l’argent passer et on se dit : est-ce qu’on est en train d’en mettre trop pour notre retraite ? »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Les chiffres

Josiane, 41 ans

  • Revenus : 60 800 $
  • Régime de retraite à prestations déterminées, début de cotisation 2017
  • REER : 66 972 $ (versement automatique de 210 $/2 semaines)
  • CRI : 42 966 $
  • Aucun CELI

Sébastien, 43 ans

  • Revenus : 81 000 $ plus boni annuel de 5000 à 8000 $, déposé en REER
  • Régime de retraite à prestations déterminées, début de cotisation 2005
  • REER collectif : 43 380 $
  • Aucun CELI
  • Prêt moto, solde de 9000 $
  • Une auto familiale entièrement payée

Maison

  • Payée 169 000 $ en 2008, valeur de 302 000 $
  • Solde hypothécaire après rénovations : 112 000 $
  • Paiement hypothécaire : 13 520 $/année
  • Impôts fonciers : 2622 $
  • Électricité : 1708 $/année
  • Assurance habitation : 1800 $/année

La réponse

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

David Truong, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

« Ils sont jeunes, ils sont disciplinés », relève le planificateur financier David Truong, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859. « Il faut leur en donner le crédit : ils ont des économies, ils mettent de l’argent de côté. »

Trop ? s’inquiète Josiane.

Elle affirme pourtant que leurs paies couvrent à peine leur train de vie…

Même s’il n’a pas tous les chiffres en main, le planificateur est convaincu qu’en faisant consciencieusement le calcul de leurs dépenses actuelles, Josiane et Sébastien constateraient un surplus. « C’est juste qu’ils ne le voient pas. »

En toute logique, « avant de faire ce que j’appelle un coup de tête », la première étape consiste donc à établir un budget réaliste, pour voir quel espace serait disponible pour une maison plus spacieuse.

« Ensuite, s’ils sont à l’aise avec le surplus qu’ils dégagent et qu’ils veulent aller de l’avant avec le projet de la maison, il faudra qu’ils comprennent le risque qui est derrière. »

À titre d’exemple, le conseiller relève qu’un emprunt de 500 000 $ sur 25 ans doublerait leur actuelle mensualité hypothécaire.

« Une hypothèque de 500 000 $, ça coûte 26 000 $ par année. Ils dépensent 13 000 $ en paiements hypothécaires. »

De surcroît, « cette maison-là va coûter aussi plus cher d’électricité, plus cher de taxes, plus cher d’assurances ».

Bien sûr, le capital versé se transformera en actif, mais « ces dépenses supplémentaires ne sont pas récupérables ».

Dans la colonne des débits, il faut également considérer ce à quoi on renonce, souligne le planificateur – c’est le coût d’opportunité.

En conservant la maison actuelle, « ils n’auraient pas de paiements hypothécaires aussi élevés, ils auraient peut-être la possibilité de prendre leur retraite plus tôt, ils conserveraient la flexibilité de faire des dépenses impromptues ».

C’est justement parce que le couple dégage des surplus qu’il a pu, au cours des deux dernières années, payer d’importants frais de dentiste, rembourser un prêt moto et racheter la location de son auto.

L’acquisition d’une plus grande propriété leur retirerait cette souplesse en cas d’imprévus.

Ou même en cas de prévus.

« Josiane devra y penser deux fois avant de dépenser, prononce le planificateur. Sa moto, elle devra se dire que c’est peut-être sa dernière. »

Il ignore si le couple voyage fréquemment, mais le poids d’une nouvelle hypothèque constituera un boulet qui le retiendra davantage à la maison, aussi confortable soit-elle.

Le coût de renonciation serait tout le côté spontanéité et flexibilité. Mais en contrepartie, ils auraient une grande maison.

David Truong, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

Cependant, un plus grand confort ne procure pas nécessairement un meilleur sommeil.

Pour dormir sur ses deux oreilles, le couple devra notamment s’assurer d’avoir un solide fonds d’urgence, pour faire face par exemple à une perte d’emploi.

La retraite

Il est vrai que cette contrainte hypothécaire est une forme d’épargne forcée qui participera à l’édification d’un actif immobilier – une autre forme d’investissement.

Un amortissement sur 25 ans mène Josiane et Sébastien à 66 et 68 ans.

Nous n’en avons pas les détails, mais il est vraisemblable que leurs régimes de retraite à prestations déterminées soutiendront ensuite une bonne partie de leur train de vie de retraite.

Mais voudront-ils la prendre plus tôt ?

Si l’essentiel de mon épargne est dans ma maison, je devrai faire des choix pour soutirer cette équité et me permettre de vivre à la retraite. Est-ce que je devrai vendre pour acheter plus petit, prendre une hypothèque inversée ?

David Truong, conseiller au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859

Rien d’impossible, mais « c’est une autre sorte de planification ».

Si Josiane et Sébastien poursuivaient plutôt leurs épargnes en REER et CELI, ils auraient davantage de souplesse.

Par ailleurs, il est toujours périlleux de se mesurer à d’autres couples, dont on ignore les revenus, le niveau d’endettement et la qualité du sommeil.

« Je ne suis pas là pour leur dire si leur projet leur convient ou pas, conclut le planificateur. C’est seulement eux qui peuvent le savoir.

« Mais s’ils veulent aller de l’avant, il faut être minutieux, peser le pour et le contre, établir leur budget et le respecter. »

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