À 61 ans, Carole* veut aider sa fille à accéder à la propriété.

Plus précisément à sa propriété.

« Je suis retraitée et maintenant grand-maman d’un petit-fils. Avec la montée fulgurante des prix de maisons unifamiliales, je voudrais offrir à ma fille la maison familiale au lieu de la vendre à des étrangers », explique-t-elle.

Sa fille est son unique enfant. « Mon patrimoine s’en irait à elle de toute manière. Pourquoi attendre à la mort pour qu’elle puisse en profiter ? »

« Au lieu de prendre une hypothèque ailleurs, ils me donneraient un loyer. C’est comme si je les finançais indirectement. Ce n’est pas une gratuité, mais presque. J’essaie de voir comment je pourrais faire. »

Sans conjoint, Carole est propriétaire depuis 30 ans de la maison construite en 1976.

« J’ai fait quand même des réparations, mais ce n’est pas au goût du jour. Je leur ai dit qu’on pourrait la moderniser avant qu’ils viennent l’habiter. »

Les travaux de rénovation, qui n’ont pas été chiffrés, toucheraient la cuisine, la salle de bains principale, la réfection des planchers et le retrait d’une cloison.

« J’ai les fonds pour pouvoir les financer. J’avais un condo que j’ai vendu. » La vente du condo lui a laissé un bénéfice de 175 000 $, « en attente de conseils de placement ».

Il faut encore évaluer les coûts des travaux, trouver un entrepreneur, organiser le transfert de propriété chez un notaire, énumère-t-elle.

Sa fille et son conjoint habitent pour l’instant un des trois appartements du triplex que Carole possède à Montréal, pour lequel ils paient 1000 $ par mois.

L’appartement du rez-de-chaussée, que la mère de Carole a occupé jusqu’à sa mort, doit être rénové. Pour l’instant, le frère de Carole l’occupe gratuitement. Le troisième locataire verse un loyer de 1150 $ par mois.

Après la vente de son condo, au printemps dernier, Carole est retournée vivre dans sa maison familiale de la Rive-Sud.

Retraitée après 30 ans à travailler pour la même entreprise, elle touche une rente qui lui procure 2500 $ net par mois, et qui sera coordonnée à la RRQ à 65 ans.

Ses dépenses s’élèvent à 1800 $ par mois. « Je ne suis pas une personne qui dépense beaucoup », reconnaît-elle.

Carole se relogerait dans un logement dont le loyer de 825 $ est déjà convenu.

« Pouvez-vous m’aider à voir clair dans ce projet et connaître l’impact de ma succession et de l’impôt ? »

Les chiffres

Carole*, 61 ans

  • Rente de retraite : 30 000 $ net
  • Coût de vie : 21 600 $
  • La rente sera coordonnée à la RRQ à 65 ans
  • REER : 95 000 $
  • CELI 46 000 $
  • Épargne non enregistrée : 175 000 $ (vente du condo)
  • Maison unifamiliale : évaluée à 302 000 $, probablement 480 000 $
  • Triplex : 780 000 $
  • Revenus : 25 800 $ (deux logements sur trois)

La réponse

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Patricia Besner, directrice chez Desjardins Gestion de patrimoine

Les intentions de Carole ne sont pas limpides, aux yeux de la notaire, fiscaliste et planificatrice financière Patricia Besner, directrice chez Desjardins Gestion de patrimoine.

« Quelquefois on parle de don, quelquefois de loyer, et quelquefois de rembourser une hypothèque. Ce sont des situations différentes. »

Avec des conséquences diverses.

Si Carole donne ou vend sa propriété à sa fille, il y a transfert de propriété, avec contrat notarié à la clé.

Si Carole vend la propriété à sa fille avec un paiement différé ou étalé, « c’est une vente avec solde de prix de vente », observe la planificatrice.

« Si on vend en acceptant de ne pas être payé, c’est l’équivalent d’un don. »

Carole évoque un loyer payé par sa fille quand elle emménagera dans la maison familiale.

« Si on parle de loyer, je comprends qu’il n’y a pas de transfert de propriété. Elle permet d’habiter la résidence, mais on ne passe pas devant le notaire pour faire un transfert de propriété. »

Mais dans l’esprit de Carole, ce « loyer » était peut-être le remboursement des travaux de rénovation qu’elle financerait, indépendamment du transfert de la propriété. Ces travaux influenceraient la valeur de la propriété. Ce remboursement ne serait pas imposable pour Carole.

Vente ou don ?

Mais que la propriété soit vendue ou donnée, tout transfert de bien entre personnes liées est réputé se faire, aux yeux inquisiteurs du fisc, à la juste valeur marchande.

Dans le cas de Carole, cette valeur semble avoisiner 480 000 $, avant rénovation.

Attention, prévient la notaire. La vente à une valeur inférieure – disons 240 000 $ – aurait des conséquences négatives.

« Ça viendrait pénaliser sa fille, parce que son coût d’acquisition serait seulement de 240 000 $. »

Quand sa fille vendra à son tour la propriété, le gain en capital sera calculé sur ces 240 000 $, plutôt que sur la valeur réelle de 480 000 $.

« De son côté, Carole aurait le même impact fiscal. Elle serait quand même réputée avoir vendu à 480 000 $. »

Il est vrai que la mère comme la fille pourront faire valoir en temps opportun l’exemption du gain en capital pour la résidence principale.

Mais sur quelle propriété ?

C’est un autre imbroglio…

Exemption de gain en capital

Pour chaque année d’imposition, on peut désigner comme résidence principale une propriété ou un appartement que le propriétaire, son conjoint, un ex-conjoint ou un de ses enfants a occupé à un moment donné de l’année.

Or, Carole nous a appris qu’elle a vendu son condo au printemps dernier. Pendant un certain temps, la maison familiale et le condo ont tous deux été susceptibles d’une déclaration de résidence principale.

« Si elle le réclame pour le condo, elle n’aura pas le droit d’exempter complètement le gain pour la maison, quand elle voudra la transférer, explique Patricia Besner. Pour les années où elle a détenu le condo et la résidence familiale, il va falloir faire un choix. »

Le choix le plus profitable, bien sûr.

Toutefois, le triplex de Carole vient encore compliquer la situation…

Le triplex

« J’avais l’impression de répondre à un examen », rigole la conseillère, devant le dédale de la situation.

Parce qu’un logement du triplex de Carole a été habité par sa fille, Carole pourrait faire le choix d’appliquer l’exemption annuelle pour résidence principale au tiers du triplex, si cette décision était avantageuse sur le plan fiscal.

Pour chaque année d’imposition, est-ce que j’applique l’exemption au triplex, au condo ou à la maison unifamiliale ?

Patricia Besner, directrice chez Desjardins Gestion de patrimoine

Cette exemption ne s’applique qu’aux logements qu’ont habités les enfants du propriétaire. Carole ne pourrait donc pas la demander pour les appartements occupés par sa mère ou son frère.

Cela dit, il est fort probable qu’il sera plus avantageux d’exempter la résidence familiale.

La fiscaliste rappelle que Carole doit déclarer la vente de son condo, survenue en 2021, dans l’annexe 3 – Gains (ou pertes) en capital. Même chose pour le transfert de la maison familiale, s’il s’effectue avant la fin de l’année. La désignation de résidence principale se fera au fédéral dans le formulaire T2091 (IND) et au provincial dans le formulaire TP-274.

De son côté, la planificatrice en elle souligne que Carole pourrait permettre à sa fille d’habiter la maison familiale, avec ou sans frais, et de retarder le transfert de la propriété.

En s’en défaisant maintenant, elle se prive d’un actif qui prendra davantage de valeur à l’avenir, et dont elle pourrait avoir un jour besoin. « Mais ça ne semble pas un problème dans son cas, si son coût de vie est réaliste. »

Le conjoint

La fille de Carole a un conjoint – nous supposerons qu’ils sont mariés.

Patricia Besner pose en principe que le transfert de propriété se fera en faveur de la fille de Carole, qui sera seule propriétaire. « C’est ce que je vois le plus souvent dans le contexte d’un don d’une résidence par le parent. »

Les deux conjoints devront ensuite s’entendre sur le partage des dépenses connexes – entretien, assurances, taxes foncières, etc. – pour rééquilibrer l’apport de chacun.

Une bonne nouvelle dans tout ce fatras : quand Carole va vendre ou donner sa propriété à sa fille, il n’y aura pas de droits de mutation à verser. « Le transfert parent-enfant est exempté », souligne la notaire.

C’est ici que surgit un autre détour de scénario : la donation et la vente de la propriété n’ont pas le même effet sur le patrimoine familial !

« Quand le bien est donné, il est exclu du patrimoine », informe notre conseillère.

Par contre, si la fille de Carole lui achetait la maison en demandant un prêt hypothécaire traditionnel, la valeur de la propriété pourrait être incluse dans le partage du patrimoine familial.

« Si Carole vend à sa fille et que celle-ci lui fait des remboursements sur plusieurs années, la portion remboursée durant le mariage fera partie du partage du patrimoine familial – il y a plusieurs nuances dans lesquelles nous n’entrerons pas. »

Heureusement, il y a au moins un aspect qui se révèle moins complexe.

« Carole est sans conjoint et n’a qu’une seule fille, cela simplifiera grandement le testament. »

Elle n’aura pas à équilibrer le don de la maison familiale à un de ses enfants par des mesures compensatoires pour les autres dans son testament.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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