Au début des années 2000, quand on entendait parler du prix des maisons de Toronto et de Vancouver, on ne pouvait s’empêcher de réagir avec des onomatopées exprimant tant l’étonnement que la frayeur.

« Hein ? Quoi ? Des maisons à 400 000 $ ? C’est fou ! Mais comment font-ils ? »

C’était le prix moyen d’une maison unifamiliale dans la région de Vancouver. À Toronto, la barre des 300 000 $ n’avait pas encore été franchie. Mais ça s’en venait. Vite.

Consultez le prix des propriétés de Vancouver de 1997 à 2021 (en anglais)

En 2010, nos regards exprimaient encore plus de stupéfaction. À Vancouver, les bungalows moyens étaient vendus 1 million de dollars. À Toronto : pas loin de 600 000 $1.

À Montréal, on se trouvait chanceux.

On se consolait même de nos salaires relativement bas, en regardant le prix de l’immobilier dans ces deux villes.

Ça ne fonctionne plus. Montréal fait aujourd’hui partie de la liste des villes où les maisons sont trop chères pour le commun des mortels, comme le démontre mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot. On est encore bien loin de Toronto et de Vancouver, où les prix ont atteint respectivement 1,2 et 1,9 million.

Mais connaissez-vous beaucoup de couples qui gagnent 264 888 $ ou plus par année ? C’est le minimum pour acheter une maison unifamiliale dans l’île de Montréal, si l’on a 44 000 $ (6,38 %) en mise de fonds. Oui, le mi-ni-mum pour acquérir la propriété… médiane à 690 000 $. Pas un château !

La réalité a beaucoup changé. Et rapidement. C’est d’ailleurs pour cela que le sujet fait autant les manchettes. « C’est quand même impressionnant, la vitesse à laquelle on a monté les marches. Ça n’a jamais été aussi grave de toute l’histoire de Montréal. On a monté trois marches d’un coup ! », relate le professeur Jean-Philippe Meloche, spécialisé en économie urbaine, de l’Université de Montréal.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jean-Philippe Meloche, professeur agrégé, responsable de programme, maîtrise en urbanisme à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal

Bien sûr, l’accès à la propriété est devenu un rêve inaccessible pour la majorité. Bien sûr, il leur faudra se résoudre à demeurer en logement, ou à aller vivre plus loin, ce qui contribuera à l’étalement urbain et aux embouteillages. Bien sûr, l’embourgeoisement des quartiers a toutes sortes de conséquences sur les moins nantis mille fois dénoncées. Bien sûr, la surenchère provoque des conséquences fâcheuses comme des achats sans inspection, par exemple.

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En même temps, êtes-vous déjà allé à San Francisco, à Manhattan, à Paris, à Londres ou à Sydney, en Australie ?

En fait, même sans y être allé, vous savez que ces endroits ont un point en commun : ça coûte une fortune, y habiter. À San Francisco, la maison unifamiliale moyenne se vend 1,8 million US2. À Paris, le mètre carré vaut 10 640 euros. J’ai fait les conversions : 1000 pi2 coûtent donc 1,45 million CAN3. Je pourrais continuer ainsi longtemps, mais vous comprenez l’idée.

L’idée, c’est qu’il est normal que le coût de l’immobilier dans les centres-villes où il fait bon vivre soit astronomique.

Montréal n’a pas toujours été une ville « attractive », rappelle Jean-Philippe Meloche. À l’international, elle a longtemps donné l’impression d’offrir principalement des emplois mal rémunérés dans des usines.

Aujourd’hui, et il faut s’en réjouir, Montréal a de grands atouts. On y trouve beaucoup de bons emplois en intelligence artificielle, en sciences de la vie, en effets visuels, en technologie ; le taux de chômage est faible ; les universités jouissent d’une excellente réputation ; le taux de criminalité est faible ; la qualité de l’air est bonne. Résultat, à l’échelle internationale, le pouvoir d’attraction de la métropole s’est accru.

« La hausse des valeurs foncières, c’est la conséquence de l’attrait de Montréal, résume Jean-Philippe Meloche. Si on se retrouve avec ce problème-là, c’est parce que ça va très bien. Plein de personnes dans le monde veulent habiter à Montréal. Et ça, c’est nouveau. »

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Un autre phénomène propulse aussi les prix : la réglementation.

Dans des villes comme Paris ou San Francisco, où l’architecture est assez homogène, on ne rase pas un pâté de maisons pour y construire une tour de 30 étages. C’est la source de leur charme.

Mais cela provoque une stabilité dans l’offre. Le nombre de logements ne croît pas, ou peu. Il peut même réduire si l’on fusionne des appartements. Le Plateau Mont-Royal en est un bon exemple. Le charme opère, la demande est forte, les prix explosent.

Il ne faut pas pour autant détruire le visage des quartiers. Ce serait une vraie honte.

Seulement, il faut être conscients qu’en limitant la densité et les constructions en hauteur, on accentue le problème d’inabordabilité du logement. Des recherches commencent d’ailleurs à montrer les effets pervers de la réglementation sur les prix, m’apprend Jean-Philippe Meloche.

Ce n’est pas pour rien que des résidants s’opposent régulièrement à la densification de leur quartier quand un promoteur veut y construire des immeubles de nombreux étages. Cela (entre autres) n’améliorera pas l’attrait pour leur maison comme le ferait un parc, mais va plutôt en réduire la valeur de revente potentielle.

En immobilier, comme à la Bourse, il y a toujours des gagnants et des perdants.

1. Consultez le prix des propriétés de Toronto de 2000 à aujourd’hui (en anglais) 2. Consultez les tendances du marché immobilier de San Francisco (en anglais) 3. Consultez le prix de l’immobilier à Paris et autour