Misère ! Avait-on vraiment besoin de payer en quatre versements égaux notre maquillage, nos espadrilles et même nos bobettes ? Il faut croire que oui quand on voit la popularité des offres de financement « Achetez maintenant, payez plus tard » sur l’internet depuis le début de la pandémie.

L’explosion du commerce en ligne a propulsé les entreprises comme l’américaine Sezzle, qui est arrivée au Canada à la mi-2019, ainsi que l’australienne Afterpay, qui s’est lancée chez nous l’été dernier avec des partenaires comme Roots, Aritzia, American Eagle ou encore Ardene. Signe de leur succès, ces deux « fintechs » ont vu leur action multipliée par 10 à la Bourse avec la COVID-19.

Les nouveaux prêteurs 2.0 prennent le relais des traditionnels programmes de financement en magasins.

Desjardins, qui était un chef de file dans ce domaine avec Accord D, se retire graduellement du marché depuis mai 2020. Cette approche ne cadrait plus avec son désir « d’accompagner ses clients dans l’évaluation de leurs besoins et de leurs capacités financières, un choix qui n’est pas étranger à la mission d’éducation financière du Mouvement ».

Ça en dit long.

Pour sa part, la TD a vendu ses activités à Flexiti pour 250 millions, en 2018, ce qui a permis le décollage rapide de cette jeune pousse de Toronto qui offre du financement chez Brick, Léon, Wayfair, Birks, Lozeau, alouette.

Une autre firme torontoise, PayBright, fait notamment affaire avec La Baie, SAIL, Sephora, La Source, eBay, Garage, alouette. Mais en décembre dernier, PayBright a été avalée par son concurrent de San Francisco, Affirm, pour 340 millions.

Non, ces transactions n’ont pas été financées en quatre versements égaux ! Il s’agit du nouveau concept à la mode des firmes de financement instantané.

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La mécanique est simple. Quand vous achetez un produit sur le site web d’un commerçant, parfois pour seulement 50 $, vous pouvez régler votre achat en quatre versements qui sont prélevés automatiquement dans votre compte toutes les deux semaines. Pour une paire de jeans à 100 $, il faudra donc compter quatre paiements de 25 $.

Plusieurs de ces programmes se vantent d’être sans intérêt. Mais attention aux petits caractères…

Par exemple, Flexiti impose des intérêts rétroactifs de 30 % aux consommateurs qui ont le malheur de passer tout droit. Adieu la belle promotion.

Chez PayBright, le programme en quatre versements est à 0 % d’intérêt. Mais pour les plus gros achats dont le financement peut s’étendre sur 60 mois, le taux peut atteindre 30 %, selon les commerçants. Ruineux.

Avec Sezzle, les clients qui ratent un paiement doivent payer des frais de 10 $. Énorme pour un petit achat. C’est sans compter que l’institution financière du client peut imposer des frais pour insuffisance de fonds de plus de 50 $.

Bref, ces plans de financement sans intérêt peuvent coûter un bras à ceux qui ne sont pas à leur affaire, plus particulièrement aux jeunes qui font leurs premières armes comme consommateurs.

Mais ces nouvelles entreprises de financement font valoir que leurs revenus proviennent surtout des commissions versées par les commerçants et non pas des frais payés par les clients retardataires.

Pour éviter les dérives, elles bloquent les nouveaux achats dès que le client rate un paiement. En ce sens, c’est mieux que les cartes de crédit qui peuvent vous faire payer des intérêts éternellement. Avec une carte à 19,9 % d’intérêt, il faut 14 ans pour se débarrasser au complet d’un solde de 1000 $ en faisant seulement le paiement minimum de 2,5 % par mois. Un vrai piège.

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Mais on ne peut pas se cacher que les programmes de financement échelonnés encouragent la surconsommation. D’ailleurs, Afterpay et Sezzle se félicitent que leurs clients dépensent respectivement 25 % et 22 % de plus que ceux qui utilisent un autre mode de paiement.

C’est une question de finance comportementale. Un petit paiement mensuel fait moins mal qu’un seul gros paiement.

Ainsi, un voyageur est plus enclin à réserver une chambre avec vue sur l’océan qu’une chambre standard si la différence n’est que de quelques dollars par mois.

La notion de paiement mensuel est « un concept intéressant pour les clients, parce qu’il aide à illustrer l’accessibilité d’un voyage quand on le sépare en morceaux plus faciles à avaler. Et ça aide aussi les partenaires à faire la promotion d’extras », explique Denise Heffron, directrice générale d’Uplift au Canada.

L’entreprise de la Silicon Valley qui a fait ses premiers prêts au Canada au début de 2019 traite avec Transat, Air Canada, Sunwing, Porter, etc. Ceux-ci ne paient pas de commission, mais le client verse entre 7,99 % et 31,99 % pour financer son voyage sur 12 mois (au Québec, le taux est plafonné à 22 % au-dessus du taux de la Banque du Canada).

C’est cher payé pour une dépense qui n’est pas essentielle. Si vous n’avez pas l’argent pour voyager, il vaut mieux rester à la maison que d’y aller à crédit.

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Même avec les plans de financement à 0 %, les consommateurs devraient rester sur leurs gardes. « Ces sites nous inquiètent puisqu’il s’agit une fois de plus d’une incitation au crédit qui pourrait faciliter les achats impulsifs », redoute Marie-Ève Dumont, d’Option consommateurs.

En multipliant l’usage de ces programmes de financement, vous pourriez nuire à votre pointage de crédit. En cédant à l’illusion du petit paiement, vous risquez de perdre le contrôle de votre budget. Et si jamais vos revenus baissent, bonne chance pour rembourser !

Achetez comptant, payez maintenant. Voilà la vraie recette pour éviter les frais, les intérêts et le surendettement. C’est simple. C’est plate. Mais ça marche à tout coup.