« Ceci est un appel à l’aide », nous écrit sans détour Anne-Marie*, fonctionnaire de Québec, en couple depuis 20 ans avec Grégoire, travailleur autonome et propriétaire d’une petite entreprise sans employé.

Anne-Marie a 55 ans et compte prendre sa retraite à 60 ans. Grégoire, lui, en a 59 et voudrait arrêter de travailler aussi à 60 ans. Or, il n’a pas de régime de retraite, pas assez de REER, à peine cotisé à la Régie des rentes du Québec et son entreprise accumule les dettes.

Depuis sept mois, c’est Anne-Marie qui assume la totalité des dépenses courantes. Grégoire a perdu ses contrats à cause de la pandémie, et la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a servi à payer ses impôts de 2019. Depuis de nombreuses années, Anne-Marie paye 66 % de leurs dépenses et lui, 33 %.

« Nous avons toujours maintenu nos finances personnelles séparées, car nous ne nous entendons pas sur ce sujet, explique-t-elle. Il ne veut pas discuter avec notre planificateur financier, ni avec moi, de sa situation financière précaire, et je trouve ça lourd… »

En plus de soutenir son conjoint, Anne-Marie a toujours été économe en maximisant ses REER, même si elle cotise à son régime de retraite du gouvernement. Elle a aussi racheté la moitié du duplex que Grégoire avait reçu en héritage, dans lequel ils ont décidé d’élire domicile.

« Je m’inquiète pour son avenir financier. Je sais que je devrais dire ‟notre » avenir financier, mais nous sommes plus colocataires que couple. »

Chiffres

Anne-Marie

Salaire : 118 500 $
REER : 294 000 $
CELI : 49 000 $
Régime de retraite estimé à 60 ans : 55 000 $ par année

Anne-Marie et Grégoire (50/50)

Duplex libre d’hypothèque, valeur marchande de 540 000 $

Grégoire

Dettes d’entreprise : 15 000 $
Salaire : 21 000 $ (incluant revenus de loyer) REER : 90 000 $
CELI : 0 $
Régime de retraite : 0 $

Analyse de la situation

« La loi est faite pour protéger ‟théoriquement » le membre du couple qui a sacrifié sa carrière pour élever des enfants, ce qui n’est pas le cas de notre couple », lance sans détour Michel Madore, comptable et conseiller en services financiers, à qui nous avons soumis les questionnements de la lectrice.

« On sent qu’elle est fatiguée de la situation et que son conjoint ne fait pas d’efforts pour l’améliorer, poursuit-il. D’un autre côté, elle a laissé aller les choses trop longtemps. Assumer 66 % des dépenses pendant autant d’années, je ne dirais pas qu’elle s’est fait abuser, mais presque. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Madore, comptable et conseiller en services financiers

Anne-Marie doit se poser plusieurs questions, selon le spécialiste. Tout d’abord, prévoit-elle de le quitter ? Veut-elle encore assumer les 66 % jusqu’à ce qu’ils se quittent ? Et en cas de séparation, d’autres questions difficiles surgiront.

Si les gens mariés doivent séparer leur régime de retraite à la suite d’une rupture, les conjoints de fait ne sont pas obligés par la loi de séparer leur régime de retraite ou leur régime de la Régie des rentes du Québec advenant une séparation. Peu de couples le savent, mais ils peuvent néanmoins demander conjointement le partage des revenus de travail inscrits au RRQ et peuvent partager leurs régimes de retraite s’ils le désirent et si leurs régimes le permettent. Si les ex-conjoints choisissent cette option, plus Anne-Marie attend, plus la somme sera importante, plus elle sera désavantagée pour son avenir.

Quant à Grégoire, il ne lui versera rien du tout, puisqu’il n’a pas de régime de retraite ni de cotisations à la RRQ transférable à Anne-Marie.

Si Anne-Marie et Grégoire s’étaient mariés sans contrat de mariage – société d’acquêts –, il aurait fallu ajouter la séparation des REER et du CELI.

« Ce n’est pas un cas rare, affirme Michel Madore. Il y a beaucoup de couples qui ne parlent jamais de finances et qui se réveillent un jour en constatant que l’autre n’a pas agi comme il le pensait. C’est toujours malsain de vivre en couple sans pouvoir parler d’argent et sans avoir de contrat de vie commune. »

Première option

Grégoire se borne à garder le silence ? Alors chacun dans son logement et chacun ses finances, suggère le spécialiste.

Si Anne-Marie veut sécuriser son avenir de retraite, elle doit mettre fin sans tarder à la situation de conjoint de fait. Pour ce faire, le couple doit absolument être séparé physiquement.

Anne-Marie pourrait, par exemple, aller habiter l’autre logement du duplex. « Ça ne pourrait se faire qu’en juillet prochain, à la suite de l’éviction du locataire ! », précise Michel Madore.

L’autre possibilité, c’est que l’un des deux garde le duplex. Comme Grégoire l’avait reçu en héritage, il y a de bonnes chances qu’il veuille le conserver. « Il doit alors racheter la part de sa conjointe à la valeur marchande d’aujourd’hui, explique le conseiller. Il va devoir prendre une hypothèque. S’il ne peut pas, le couple devra vendre l’immeuble et se partager le profit. Et si Monsieur ne veut pas, Madame devra prendre des recours légaux. »

Le jour où ils ne seront plus conjoints de fait, Anne-Marie pourrait devoir verser à Grégoire une partie de son régime de retraite qu’elle a accumulé pendant les 20 ans de vie commune et une partie de la Régie des rentes du Québec si elle y consent. De son côté, Grégoire ne lui versera rien et conservera, comme elle, ses REER.

Il a toutefois une meilleure option beaucoup plus simple.

Deuxième option

Si Anne-Marie souhaite continuer à vivre sous le même toit que Grégoire ou même si elle croit qu’elle ne vieillira pas à ses côtés, elle doit aussitôt que possible prendre rendez-vous avec un notaire pour faire un contrat de vie commune.

« C’est en faisant ce contrat qu’elle pourra éliminer cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête, affirme Michel Madore. Elle aura l’occasion de voir si le conjoint s’attend à tout récolter. Et si ce n’est pas le cas, le contrat établira qu’il consent à ne pas toucher à son fonds de pension. »

« Elle saura également si ce qu’il cherche est de continuer à vivre en quelque sort à ses crochets, si le contrat stipule qu’elle continue de supporter 66 % des dépenses. »

Avec un contrat de vie commune, Anne-Marie pourra vivre avec Grégoire jusqu’à ce que la mort les sépare, mais avec la tête tranquille.

*Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Rectificatif

Contrairement à ce que nous écrivions dans le Train de vie du 6 décembre dernier, les conjoints de fait ne sont pas obligés de séparer leur régime de retraite ou leur régime de la Régie des rentes du Québec advenant une séparation. Ils peuvent néanmoins demander conjointement le partage des revenus de travail inscrits au RRQ et peuvent partager leurs régimes de retraite s’ils le désirent. Nos excuses.

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