Fou ! Le marché immobilier est complètement fou. Comme les institutions financières ont de la broue dans le toupet, les acheteurs doivent attendre plus longtemps pour l’approbation de leur prêt, ce qui peut leur causer beaucoup de stress et même faire avorter leur transaction.

Lucille Cantin, par exemple, a dû faire des pieds et des mains pour éviter que son coup de cœur à l’île d’Orléans ne lui glisse entre les doigts.

En juin dernier, elle a vendu un immeuble de huit logements dans le Plateau Mont-Royal. Son acheteur a patienté presque trois mois pour obtenir le feu vert de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui est le seul fournisseur d’assurance hypothécaire pour les immeubles de cinq logements et plus.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Lucille Cantin a dû faire des pieds et des mains pour éviter que sa maison coup de cœur à l’île d’Orléans ne lui glisse entre les doigts.

Sa banque avait présenté la demande à la SCHL le 16 juillet. Mais elle n’a reçu l’approbation que le 5 octobre.

« Depuis le début de la pandémie de COVID-19, nous enregistrons des volumes extrêmement élevés et, par conséquent, les prêteurs peuvent s’attendre à un retard de 8 à 12 semaines avant que les dossiers d’assurance prêt hypothécaire pour les logements du marché soient attribués à l’un de nos souscripteurs », explique la porte-parole de la SCHL, Audrey-Anne Coulombe.

Pour réduire les délais, la société s’affaire à embaucher de nouveaux souscripteurs. Vite, vite, car les délais peuvent avoir de fâcheuses conséquences, comme en témoigne Mme Cantin.

À cause du retard de la vente de son immeuble, la dame a été forcée de demander trois fois une prolongation pour l’achat de sa nouvelle maison à l’île d’Orléans pour laquelle elle avait fait une offre à la fin d’août.

« À un moment donné, j’ai eu peur parce que le courtier nous a dit qu’un autre acheteur était intéressé », raconte la dame qui a finalement proposé au vendeur de louer la maison en attendant, ce qui lui a permis de la préparer pour l’hiver.

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Il n’y a pas juste la SCHL qui est débordée. Les banques aussi accusent du retard.

« Avec la pandémie, il y a incontestablement une vague de transactions immobilières au Québec qui met beaucoup de pression sur les prêteurs », observe Malik Yacoubi, président fondateur du courtier hypothécaire en ligne Nesto.

Au troisième trimestre, le nombre de transactions a explosé de 49 % au Québec, selon les statistiques dévoilées vendredi par l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec.

À cela s’ajoute une augmentation des refinancements hypothécaires.

« Tout le monde veut renégocier son hypothèque parce que les taux d’intérêt ont baissé ou parce qu’ils veulent faire des rénovations pour améliorer leur qualité de vie en période de pandémie », constate Sylvie Rousson, courtière hypothécaire chez Multi-Prêts.

Les prêteurs doivent faire face à cette demande accrue avec des employés qui sont forcés de travailler à domicile, parfois avec les enfants entre les jambes.

Le délai médian pour faire approuver un prêt s’est donc étiré à six jours, selon les statistiques compilées par Nesto. Mais parfois, les acheteurs doivent patienter 15 ou 20 jours pour obtenir l’aval de la banque.

L’attente est plus longue lorsque l’acheteur est travailleur autonome ou lorsque la valeur de la maison excède la valeur moyenne du quartier. Dans ce cas, le prêteur exigera souvent une évaluation. Et comme les évaluateurs sont débordés eux aussi, il faudra patienter cinq ou six jours de plus.

Dans un contexte de surenchère, une transaction peut facilement tomber à l’eau si le prêteur n’approuve pas le prêt dans les délais prévus à l’offre d’achat.

« Si une deuxième ou une troisième offre est supérieure à la première qui a été acceptée, le vendeur a tout avantage à faire tomber la transaction. Au moindre délai dépassé, il va déclarer l’offre nulle et non avenue », explique M. Yacoubi.

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Pour se protéger, les acheteurs devraient donc prévoir un délai plus long dans leur offre d’achat. Mais le marché est tellement serré que certains courtiers immobiliers font exactement le contraire : ils raccourcissent le délai pour essayer de séduire le propriétaire qui veut boucler la transaction au plus vite.

C’est ainsi que Sylvie Rousson vient de traiter une offre comportant un délai d’à peine cinq jours, dont deux durant la fin de semaine, pour un acheteur qui n’était même pas préapprouvé. « Ça nous fait vivre des situations incroyables », dit-elle.

Une telle stratégie est malsaine. Si le délai est trop serré, l’acheteur risque de se tourner vers le prêteur le plus rapide, plutôt que vers celui qui lui offre le meilleur produit. Le client ne devrait jamais être bousculé pour conclure son financement hypothécaire, qui sera le plus important emprunt de sa vie.

C’est pourquoi l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) recommande un délai minimum de 14 jours civils, en s’assurant que l’échéance ne tombe pas un samedi, un dimanche ou un jour férié.

« Il peut même être adéquat que ce délai soit plus long. Une chose demeure évidente, le fait de prévoir de courts délais ajoute une pression supplémentaire sur tous les acteurs de la transaction et l’OACIQ n’encourage pas cette façon de faire », m’a indiqué l’organisme qui veille à la protection du public.

Dans le contexte de surchauffe actuel, l’OACIQ assure avoir fait des rappels aux courtiers dans ses communications à propos de la COVID-19.

Pourrait-il aller plus loin ? Pourrait-il recommander un délai minimal de 14 jours ouvrables ou de 21 jours civils ? Tout le monde pourrait enfin respirer.