Après un autre trimestre favorable sur les marchés financiers, mais qui s’est terminé en turbulences politiques et économiques accrues par la résurgence de la pandémie, que pourrait réserver le quatrième trimestre et la fin de l’année 2020 aux investisseurs ? Tour d’horizon avec les experts du Portefeuille fictif de La Presse. Un dossier préparé par Martin Vallières

Rebond boursier en quête de carburant

PHOTO ERIN SCOTT, REUTERS

Les tiraillements au Congrès sur un éventuel plan d’aide économique sont au cœur des préoccupations des experts interrogés par La Presse. Ci-dessus, la leader de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $.

Dans ce quatrième rendez-vous en 2020, ces experts reviennent brièvement sur le troisième trimestre 2020 sur les marchés d’investissement.

Aussi, ils calibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le quatrième trimestre de 2020 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à plus ou moins 10 %.

Quel est votre constat du deuxième trimestre 2020 ?

François Bourdon, analyste-conseil en stratégie de placement et répartition d’actifs

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François Bourdon, analyste-conseil en stratégie de placement et répartition d’actifs

« Malgré le sursaut de volatilité en septembre, le troisième trimestre s’est avéré positif pour les marchés financiers.

« D’abord, le redressement de l’économie après le Grand Confinement s’est avéré meilleur que prévu, grâce à l’ampleur des programmes gouvernementaux d’aide financière aux particuliers et aux ménages.

« Ensuite, malgré la récente résurgence des cas de contagion, les traitements médicaux contre la COVID-19 se sont beaucoup améliorés et le taux de mortalité demeure relativement faible, ce qui atténue le risque d’un second confinement de l’économie.

« Enfin, les principales banques centrales du monde, à commencer par la Réserve fédérale américaine [Fed], ont réaffirmé l’alignement de leur politique monétaire de très bas taux d’intérêt vers le soutien au redressement de l’économie, avec priorité à l’emploi et à la réduction du taux de chômage, tout en reléguant leur cible d’inflation au second plan. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuilles, Valeurs mobilières Desjardins

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Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuilles, Valeurs mobilières Desjardins

« Le redressement de l’économie et la récupération des emplois perdus lors du Grand Confinement du printemps se sont poursuivis au-delà des attentes des économistes et des intervenants dans les marchés financiers.

« Même encore partiel, ce redressement s’est répercuté dans les marchés boursiers, aux États-Unis surtout, qui ont connu un autre bon trimestre, ajoutant au rebond spectaculaire depuis le creux de mars dernier. Dans ma portion du Portefeuille fictif, je constate d’ailleurs que la surpondération en actions américaines a bien “fait la job” durant le troisième trimestre.

« Quant au sursaut de volatilité survenu en toute fin de trimestre, je considère qu’il s’agissait d’un ressac salutaire pour ramener les principaux indices de leurs niveaux un peu “étirés” par rapport à l’état de la situation économique et sociopolitique en Amérique du Nord et en Europe, où sévit une deuxième vague de la pandémie. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

PHOTO FOURNIE PAR MARTIN LEFEBVRE

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Somme toute, ce fut un autre bon trimestre sur les marchés boursiers. Et ce, malgré le freinage subi en septembre avec l’impact de la deuxième vague et le regain des tensions politiques et budgétaires à Washington, alors que l’économie américaine a besoin d’un nouveau plan d’aide gouvernemental pour maintenir son élan.

« En fait, je considère que les marchés boursiers étaient dus pour un repli en septembre après avoir atteint de nouveaux sommets [depuis le creux de mars] et avoir profité grandement d’une séquence de bonnes nouvelles sur le redressement de l’économie après le Grand Confinement du printemps dernier. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Je fais trois constats principaux du troisième trimestre.

« D’abord, bien que l’économie ne soit pas encore revenue à la normale, l’embellie des indicateurs macro-économiques a réconforté les investisseurs et alimenté la poussée des principaux indices boursiers au cours du trimestre.

« Ensuite, le soutien affirmé des banques centrales, dont la Fed américaine, aux efforts de soutien à la reprise économique avec des politiques monétaires extrêmement accommodantes [très bas taux d’intérêt] d’ici deux à trois ans a aussi favorisé les marchés boursiers.

« Enfin, le sursaut de volatilité boursière en septembre a corrigé un peu la situation de “surachat” et de “surévaluation” qui prévaut parmi les actions d’entreprises-vedettes des technologies et de l’internet. Mais aussi, cette volatilité exprimait les incertitudes face à la remontée des cas de COVID-19 et l’incapacité des élus à Washington de s’entendre sur un nouveau plan de sauvetage de l’économie. »

Quelles sont les perspectives pour la suite ?

François Bourdon, analyste-conseil en stratégie de placement et répartition d’actifs

« J’anticipe un quatrième trimestre un peu plus volatil sur les marchés financiers en raison surtout des incertitudes croissantes sur le bon déroulement et l’issue des élections américaines en novembre.

« Entre autres, si le candidat Joe Biden et les démocrates l’emportaient fortement, comme le suggèrent les sondages, j’anticipe une première réaction négative des investisseurs envers certains secteurs en Bourse. Notamment, celui des géants de l’internet, qui sont déjà pressentis comme des cibles fiscales et réglementaires d’une éventuelle administration démocrate à la Maison-Blanche.

« Par ailleurs, avec l’atténuation des aides gouvernementales aux particuliers et aux entreprises, je m’attends à ce que les marchés anticipent une détérioration des perspectives économiques pour 2021, ce qui pourrait générer des épisodes de faiblesse en fin d’année. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuilles, Valeurs mobilières Desjardins

« Les perspectives des marchés boursiers demeurent favorables pour ce quatrième trimestre et la fin d’année 2020. Toutefois, je considère que deux facteurs de risque aux États-Unis pourraient bousculer ces perspectives.

« D’une part, quelle sera l’issue des élections de novembre ? Est-ce que Trump et les républicains accepteraient une défaite, même très serrée ? Et si Biden et les démocrates l’emportent, que pourront-ils faire avec leur projet d’un nouveau plan d’aide gouvernemental à l’économie ? Et leur projet de résorption rapide des baisses d’impôt des entreprises et des gens fortunés qui avaient été mis en place par l’administration Trump ?

« D’autre part, pendant combien de temps les élus à Washington pourront-ils continuer d’argumenter sur la teneur et la mise en place d’un nouveau plan d’aide gouvernementale aux ménages et aux entreprises, sans risquer de compromettre la reprise de l’économie ?

« Même le président de la Fed, Jerome Powell, a répété un tel avertissement ces derniers jours, en demandant aux gouvernants de “faire leur job” pour la suite de l’aide au redressement de l’économie. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Le quatrième trimestre en Bourse s’est amorcé dans un contexte très bruyant sur les scènes économique et politique aux États-Unis surtout, à quelques semaines des élections de novembre. C’est pourquoi j’anticipe une première moitié de trimestre encore volatile sur les marchés boursiers, ce qui incite à un certain attentisme prudent à court terme.

« Pour la deuxième moitié du trimestre, je demeure assez optimiste envers l’atteinte de rendements intéressants, peut-être aux environs de 3 % à 4 %. Mais à condition que l’élaboration d’un autre plan d’aide à l’économie ne retarde pas trop à Washington, après les élections de novembre.

« Aussi, je m’attends à ce que la Réserve fédérale poursuive ses pressions en ce sens après qu’elle se sera rendue au bout de sa propre capacité d’aide directe à l’économie, en s’engageant à maintenir les taux d’intérêt très bas sinon presque nuls d’ici deux à trois ans. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Mes attentes du quatrième trimestre dans les marchés financiers sont plutôt mitigées.

« D’une part, parmi les facteurs défavorables, je considère le niveau élevé d’incertitudes concernant les prochaines élections américaines, ainsi qu’une entente entre démocrates et républicains à Washington sur un nouveau plan d’aide gouvernementale à la reprise économique.

« D’autre part, parmi les facteurs favorables, j’anticipe que la confirmation d’une telle entente à Washington, même après les élections, pourrait rehausser fortement la confiance des investisseurs.

« Aussi, je m’attends à ce que la prochaine saison des résultats trimestriels des entreprises s’avère meilleure que le consensus parmi les investisseurs, un peu trop pessimistes à mon avis. Si ça s’avère, ça pourrait contribuer à ramener dans les marchés boursiers une partie de la masse de liquidités – environ 4400 milliards US – qui sont en attente dans les marchés monétaires. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

François Bourdon, analyste-conseil en stratégie de placement et répartition d’actifs

« Après qu’ils ont très bien fait depuis deux trimestres, c’est dans les marchés d’économies émergentes que j’anticipe le plus de risque baissier en fin d’année. L’indice de ces marchés est dominé par la Chine, Taiwan et la Corée du Sud ; trois économies à forte composante en technologies et en exportations de produits manufacturés.

« Or, il s’agit de secteurs de l’économie mondiale qui pourraient être davantage ciblés par les politiques commerciales plus sévères attendues d’une nouvelle administration démocrate à Washington.

« Par conséquent, dans ma répartition d’actifs pour le quatrième trimestre, je réduis de deux points de pourcentage [de 5 % à 3 %] la part dans les marchés émergents. Les autres catégories d’actions demeurent inchangées, ce qui aboutit à une réduction de deux points [de 60 % à 58 %] de ma répartition totale en actions, désormais sous-pondérée par rapport au portefeuille équilibré de référence. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuilles, Valeurs mobilières Desjardins

« La surpondération en actions, américaines surtout, m’a bien servi récemment dans ma portion du portefeuille fictif. Et considérant mes attentes favorables en Bourse, au-delà de la volatilité à très court terme, je rehausse ma surpondération en actions par rapport au portefeuille équilibré de référence, jusqu’au maximum alloué de 70 %.

« En contrepartie, j’abaisse de 35 % à 30 % ma répartition en titres à revenu fixe [obligations] après que les banques centrales, dont la Fed, ont indiqué qu’elles entendaient maintenir de très bas taux d’intérêt pendant quelques années.

« Par ailleurs, dans ma portion en actions, je rehausse la répartition en actions américaines [de 33 % à 35 %] et en actions des économies émergentes [de 8 % à 11 %], mais je laisse inchangées les répartitions en actions canadiennes et internationales [EAEO, Europe, Asie, Extrême-Orient]. J’estime que les actions américaines et d’économies émergentes demeurent les mieux positionnées pour profiter de la continuité du redressement économique, au fil des politiques monétaires et des plans d’aide gouvernementaux encore très expansionnistes pour l’avenir prévisible. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Avec ce début de trimestre plutôt bruyant pour les marchés financiers, je préfère laisser inchangées mes principales répartitions d’actifs entre l’encaisse et les obligations – 5 % et 30 % respectivement – et la part en actions, qui demeure à 65 % et en légère surpondération par rapport au portefeuille équilibré de référence.

« Dans cette part en actions, toutefois, je modifie les répartitions entre les principaux marchés boursiers afin de parer au risque d’une dépréciation du dollar américain qui pourrait survenir après une victoire décisive des démocrates aux élections de novembre, et la mise en place accélérée de leur plan d’aide gouvernemental et de déficit budgétaire accrus pour soutenir la reprise de l’économie.

« Par conséquent, je réduis de quelques points de pourcentage mes répartitions d’actifs en actions américaines et en actions canadiennes. Et je rehausse d’autant ma répartition en actions internationales [EAEO, Europe, Asie, Extrême-Orient], désormais en pondération neutre par rapport au portefeuille équilibré de référence. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Considérant les incertitudes politiques et économiques auxquelles font face les marchés financiers à court terme, je préfère garder ma répartition d’actif inchangée pour le quatrième trimestre de 2020.

« Ça signifie donc que, par rapport au portefeuille équilibré de référence, je demeure sous-pondéré en encaisse et en obligations, mais surpondéré en actions par six points de pourcentage.

« J’explique ma sous-pondération en obligations par mon anticipation d’une éventuelle remontée des taux à long terme en réponse à la reprise de l’économie, ce qui pourrait nuire à la valeur des obligations déjà en marché.

« Quant à ma répartition en actions, même inchangée, je m’attends à un rendement plutôt neutre parmi les actions américaines après leur rebond substantiel des derniers mois, suralimenté d’ailleurs par les entreprises technologiques.

« En parallèle, je considère que les marchés boursiers au Canada, à l’international et dans les économies émergentes sont mieux positionnés pour se “rattraper” avec le renforcement des indicateurs de l’économie mondiale. »

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