Vous planifiez un projet qui demande une utilisation judicieuse de votre argent ? Vous avez des problèmes financiers ? Écrivez-nous.

« Mon père est décédé des suites d’un cancer en mars dernier, juste avant la COVID-19 », confie Sarah*.

Elle n’a que 29 ans.

« C’est moi qui suis la liquidatrice de tout ça, poursuit-elle. On est pas mal rendus à la fin du processus, et on s’est rendu compte qu’on allait avoir un gros montant, mon frère et moi. »

Plus exactement 425 000 $. Chacun.

« On se demande ce qu’on va faire avec ça. »

En couple depuis près d’une dizaine d’années, Sarah et son conjoint ont acquis en 2015 une petite maison jumelée dans la proche banlieue de Montréal, payée 245 000 $.

« Mon frère n’a pas de maison encore, il va sûrement s’en acheter une. De mon côté, c’est vraiment : mon Dieu, est-ce que j’investis ? Est-ce qu’il faut que tout soit placé et j’attends à la retraite ? Plein de questions, parce que c’est vraiment beaucoup d’argent pour quelqu’un qui ne dépense pas beaucoup. »

Pas beaucoup ?

« Vraiment pas. Je me contente pas mal de ce que j’ai. »

Peut-elle estimer combien ?

« Oui, je vais ouvrir mon ordinateur... »

Une pause...

« Ça arrive à un beau total de 19 476 $. »

S’y ajoute sa part de la mensualité hypothécaire de 1200 $.

Sans autre dette que l’hypothèque, elle conduit une voiture d’occasion vieille de 11 ans.

Elle gagne 44 500 $ par année, ce qui inclut des revenus de travail à la pige qui complètent sa semaine de trois jours.

Et soudainement, toutes les portes s’ouvrent devant elle.

« Ça pourrait être, je ne sais pas... Investir dans l’immobilier, acheter un chalet, et le louer pendant l’année ? »

Déménager ? « On y a pensé aussi, mais on est vraiment bien où on est en ce moment. »

La pandémie a brassé les cartes, dit-elle. Elle songe à un retour aux études, mais elle ignore dans quel domaine. Elle prévoit avoir des enfants dans quelques années. Est-ce l’occasion de réduire sa charge de travail pour ne conserver que la pige ?

« Il y a tellement de possibilités tout d’un coup, c’en est quasiment épeurant ! »

Et pourquoi fait-elle appel à « Train de vie » ?

« Je parlais de tout ça avec ma mère, et je lui ai dit : aïe, toi qui me parles tout le temps de Train de vie, c’est peut-être une bonne question pour eux ? »

La réponse

La richesse soudaine et apparente n’est pas toujours une bénédiction – plusieurs gagnants de loterie peuvent en témoigner.

« Cela peut vite devenir un piège si ledit montant n’est pas utilisé avec parcimonie et de manière réfléchie », prévient le planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels.

« Souvent, la bonne chose à faire est de ne rien faire et de plutôt prendre le temps de réfléchir à ses options, même si cela peut prendre plusieurs années. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels

Le planificateur a d’abord fait le point sur la situation financière actuelle de Sarah, question de « déterminer quelle est sa véritable marge de manœuvre ».

Tout va bien : en supposant une cotisation REER équivalant à 18 % de son salaire, il estime que sa capacité d’épargne atteint actuellement 9500 $ par année.

Une petite projection montre qu’à ce rythme, avec un modeste rendement de 3,5 % par année, Sarah pourrait prendre sa retraite à 60 ans et maintenir ensuite son rythme de vie actuel indéfiniment. En fait, elle pourrait accroître dès maintenant ses dépenses de 5300 $ par année et traverser la retraite sans encombre. Avant même de considérer l’héritage.

Quelques trajets

Notre planificateur pose en principe que cette marge de manœuvre de 5300 $ pourra servir aux projets qui entraînent une hausse des dépenses annuelles – remplacement de voiture, nouvelle maison, voyages, etc. L’héritage se trouve dès lors libéré pour des projets non récurrents, tels un congé de maternité allongé ou un retour aux études.

Une autre façon de voir la question serait d’ajouter la somme aux épargnes actuelles et futures et de calculer son effet sur le train de vie jusqu’au décès. La réponse : « Environ 9200 $ de plus à dépenser annuellement à vie », constate notre conseiller, toujours avec un rendement de 3,5 %. « Le profil actuel de son portefeuille pourrait me faire prendre un taux plus élevé, mais j’ai préféré un taux plus bas parce que les gens qui héritent veulent généralement être plus prudents », souligne-t-il.

Sarah ne recule pas devant l’idée d’investir dans l’immobilier. En y ajoutant un emprunt hypothécaire, l’héritage pourrait lui ouvrir la porte d’un immeuble à logements multiples de 2 millions de dollars, une catégorie « souvent inaccessible à de jeunes investisseurs », souligne Raphaël Hainault. « Elle pourrait peut-être ainsi dénicher une occasion dans un créneau moins demandé dans un marché immobilier fortement à la hausse depuis plusieurs années. »

Inexpérimentée, Sarah devra cependant être guidée dans cette aventure.

Le planificateur lui recommande d’ailleurs « d’attendre d’avoir les idées un peu plus claires, tout en gardant l’œil ouvert au cas où une occasion qu’on ne peut pas laisser passer se présenterait ».

Le luxe du temps

« Étant donné le jeune âge et les tas de projets qui foisonnent, mon conseil le plus précieux est certainement de prendre son temps, assure M. Hainault. Rien ne presse. »

À court terme, il lui suggère de maximiser ses REER. « En fonction de son salaire annuel, une cotisation de 30 882 $ donnerait un remboursement d’impôt d’environ 8500 $ et permettrait sans doute d’augmenter considérablement divers crédits d’impôt, puisque le revenu imposable du couple pour 2020 serait alors très faible. »

Il remplirait ensuite son CELI à ras bord, à l’abri de l’impôt.

Et il reste encore quelque 330 000 $ !

Le planificateur suggère de conserver cette somme dans des placements peu risqués et facilement encaissables, afin que Sarah puisse y avoir aisément accès quand ses projets se seront mieux dessinés.

Lorsqu’elle aura pris un peu de recul, cet argent pourra servir à des projets spécifiques, ou être investi à plus long terme, en tout ou en partie, « pour financer simplement une augmentation du coût de la vie ».

Pas de précipitation, pas de décision hâtive.

Après tout, elle a toute la vie devant elle.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Soumettez votre cas à l’équipe de Train de vie

traindevie@lapresse.ca

LES CHIFFRES

Sarah, 29 ans

Revenus : 44 500 $

REER : 17 000 $

CELI : 28 500 $

CRI : 15 500 $

Héritage de 425 000 $ à venir

Son conjoint

Revenu : 40 000 $

Propriété achetée 245 000 $ en 2015

Hypothèque : 200 000 $