Des centaines de milliers d’emprunteurs hypothécaires au Canada ont différé des paiements pour une valeur de 1 milliard de dollars par mois le printemps dernier, au pire du choc économique de la pandémie, rapporte la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dans son rapport de mi-année sur le marché hypothécaire, publié jeudi.

Par ailleurs, même si la SCHL constate que relativement peu d’emprunteurs étaient en défaut de paiement de leur prêt en fin de premier semestre 2020, la société fédérale au premier rang de l’assurance prêt hypothécaire au Canada prévoit une résurgence des défauts de paiement au cours des prochains mois d’automne, alors que prendront fin les reports de six mois de paiements et que s’atténueront les programmes gouvernementaux d’aide financière aux particuliers.

« Il plane toujours le risque d’une augmentation importante des prêts hypothécaires en souffrance au troisième ou au quatrième trimestre de cette année, à l’échéance des ententes de report », écrit la SCHL dans son compte rendu de mi-année.

En parallèle des reports de paiements, la SCHL indique qu’elle s’attend à ce que moins d’emprunteurs canadiens devancent leurs versements hypothécaires cette année par rapport à l’an dernier, ce qui pourrait contribuer à rehausser encore le niveau d’endettement de l’ensemble des Canadiens.

Nous avons observé une forte hausse du crédit hypothécaire à l’habitation non remboursé au cours des cinq premiers mois de 2020. En fait, un nombre record de propriétaires – environ 760 000 par mois – ont reporté leurs paiements hypothécaires en raison des répercussions de l’arrêt des activités provoqué par la pandémie.

Tania Bourassa-Ochoa, spécialiste principale en recherche sur le logement à la SCHL

Du côté des professionnels en financement hypothécaire, on considère ce compte rendu de la SCHL comme un avertissement aux autorités gouvernementales du risque d’impact dans le marché immobilier résidentiel de l’atténuation des mesures d’aide financière parmi les ménages propriétaires les plus endettés.

« À peu près tout le monde dans le secteur du financement hypothécaire s’attend à une hausse des prêts en souffrance au cours des prochains mois, avec la fin des reports de six mois de paiements et l’atténuation des aides financières gouvernementales alors qu’un grand nombre d’emprunteurs ont encore des revenus très diminués par une perte d’emploi », signale Denis Drolet, porte-parole de l’entreprise de courtage hypothécaire Multi-Prêts.

« Quant à l’ampleur de cette possible vague de défauts de paiement, ça dépendra de l’évolution de la reprise économique et des mesures d’aide gouvernementales au cours des prochains mois », ajoute M. Drolet.

« Dans le pire des scénarios pour le marché immobilier, la vague de défauts de paiement pourrait générer un afflux de reprise de possession et de remise en vente de maisons durant les premiers mois de 2021, avec le risque d’un surplus de vendeurs qui ferait baisser les prix de vente. »

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada

Interpellé à ce sujet jeudi lors d’une conférence de presse téléphonique, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a déclaré aux journalistes que la croissance du crédit aux ménages est encore « assez modeste » pour le moment. « Les revenus ont été raisonnablement bien soutenus, la consommation a ralenti, et donc l’épargne dans l’ensemble de l’économie a augmenté. C’est utile pour réduire les vulnérabilités financières dans l’économie », a indiqué M. Macklem. « Cela dit, nous avons déjà été très clairs à la Banque du Canada en soulignant les vulnérabilités économiques causées par l’endettement des ménages et la trop grande dépendance au secteur de l’immobilier résidentiel. Ceux-ci n’ont pas entièrement disparu. Et le meilleur indicateur pour savoir si quelqu’un va rembourser son hypothèque demeure s’il a conservé ou retrouvé un emploi. »

Dans une note d’analyse du marché hypothécaire publiée mercredi, les économistes de la Banque Royale rapportaient qu’à la fin du mois de juillet, de nombreux Canadiens avaient déjà repris leurs paiements hypothécaires.

Parmi les six grandes banques du pays, 12 % des prêts hypothécaires étaient encore différés en fin juillet, contre 15 % à la fin d’avril.

Toutefois, souligne Josh Nye, économiste principal à la Royale, alors que les ménages à revenu élevé ont profité de l’affaiblissement des taux d’intérêt pour accélérer le remboursement de leur dette, les ménages à revenus moindres et les Canadiens de moins de 35 ans sont toujours aux prises avec des niveaux d’endettement élevés et des pertes de revenus d’emplois liées à la pandémie.

— Avec Canadian Press

Taux variables populaires

Les prêts hypothécaires à taux variable ont gagné en popularité en avril et mai de cette année, en conséquence de la réduction des taux d’intérêt pour contrer le choc économique de la pandémie, et du rétrécissement favorable de l’écart entre les taux variables et fixes.

760 000 paiements reportés

Les institutions financières ont accordé des reports de paiements hypothécaires pendant une période pouvant aller jusqu’à six mois afin d’aider les emprunteurs durant la pandémie. Au total, quelque 760 000 paiements hypothécaires ont été reportés durant chacun des mois de mars à juin.

Prêts non assurés

La tendance à la hausse des prêts hypothécaires non assurés s’est poursuivie au premier trimestre de 2020, car 63 % des prêts hypothécaires consentis par les banques à charte n’étaient pas assurés.

Peu de paiements en souffrance

Les prêts hypothécaires en souffrance depuis au moins 90 jours sont demeurés à des niveaux faibles parmi tous les types de prêteurs. Cela suggère que la proportion d’emprunteurs hypothécaires en mesure d’effectuer leurs paiements ou de les reporter est demeurée constante durant les premiers mois du choc économique de la pandémie.