Louer ou acheter ? La question se pose aussi à 71 ans.

Marie-Ange* habite avec son colocataire dans une résidence pour aînés de Montréal.

L’appartement, un 4 ½, leur coûte 3015 $ par mois, services inclus. Chacun en paie la moitié à partir de ses revenus propres. « On partage les frais, parce qu’on a à peu près les mêmes montants de côté, qu’on a accumulés en vendant nos propriétés », explique-t-elle.

Elle veut déménager, seule cette fois, dans un appartement plus petit dans la même résidence.

Mais elle pourrait également y acheter un condo sensiblement semblable.

« Est-ce que j’ai la possibilité de le faire ou c’est carrément impossible ? », demande-t-elle.

Elle estime que le loyer d’un 3 ½ s’élèverait à 2500 $ par mois.

Un condo neuf de trois pièces et demie dans la même résidence coûterait environ 315 000 $.

Marie-Ange estime qu’elle paierait chaque mois 1000 $ en charges de copropriété et en frais de service.

« Puis-je vivre confortablement avec les argents suivants : au départ, j’ai un montant d’environ 490 000 $. Moins l’achat du condo à 315 000 $, il me reste 175 000 $, plus la RRQ et la Sécurité de la vieillesse. »

La réponse dépend bien sûr de son budget.

« Monsieur, j’aime les chiffres et je me fais des graphiques », assure-t-elle au téléphone.

« Grosso modo, si je fais une moyenne… »

Elle sort sa calculatrice…

« Je dépense à peu près 3100 $ par mois. »

En soustrayant sa part du loyer actuel, elle estime donc l’ensemble de ses autres dépenses à 1600 $ par mois.

Elle possède une voiture hybride en location. « Il va falloir que je la remette l’année prochaine. Après ça, il va falloir que je réfléchisse si je prends Communauto ou si je m’en rachète une autre. »

Ses revenus

« Je n’ai pas de régime de retraite. Je reçois les pensions gouvernementales et j’ai un REER que j’écoule doucement à tous les mois », indique Marie-Ange.

Elle a fait la liste de ses revenus : 7271 $ en PSV, 8031 $ de RRQ, 10 000 $ de retraits annuels de son REER, plus 747 $ en revenus d’intérêt.

Un doute a surgi après l’entretien : était-ce bien 747 $ par année, ou plutôt par mois ? Elle a répondu par courriel : « Par année, c’est sûr !!! Surtout aux taux actuels !!!

« Suis pas millionnaire !!! HA ! HA ! HA ! »

Mais la question n’était pas entièrement farfelue, lui fait-on valoir : avec ses épargnes non enregistrées de 340 000 $, un rendement de 2 % procurerait des intérêts de 6800 $ par année, ou 567 $ par mois.

« Eh ben, va falloir que je parle à mon conseiller !!! »

Elle expliquera le lendemain que ces épargnes non enregistrées provenaient de la vente de sa propriété en juin 2019, d’où six mois de rendement pour l’année.

Les chiffres

Marie-Ange, 71 ans

Revenus
PSV : 7271 $
RRQ : 8031 $
Retraits REER : environ 10 000 $
Revenus d’intérêt : 747 $

Épargnes
REER : 91 000 $
CELI : 65 000 $
Épargnes non enregistrées : 341 000 $

La réponse

« J’ai commencé par faire un état des lieux. »

Celui de la situation, bien sûr.

Le planificateur François Bernier, directeur, planification fiscale et successorale-Patrimoine/Est du Canada, chez Sun Life, voulait savoir « si, dans la situation actuelle, on s’en va dans la bonne direction en matière de planification de la retraite, ou bien si on va frapper un mur à un moment donné ».

Un mur financier, bien sûr.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

François Bernier, directeur, planification fiscale et successorale-Patrimoine/Est du Canada, chez Sun Life

Il pose donc l’hypothèse d’un appartement de trois pièces qui coûterait 2500 $ par mois, services compris. Il suppose également que Marie-Ange se procure une nouvelle voiture. « Je lui ai fait acheter une petite hybride, pour des mensualités d’environ 500 $ plus taxes. J’ai mis les frais d’assurance et d’entretien là-dedans. »

Respectant la grande prudence des placements de Marie-Ange, le planificateur retient un portefeuille conservateur, avec un rendement annualisé de 2,65 %, conformément aux normes de l’Institut québécois de planification financière (IQPF).

« J’ai entré ces données dans mon petit fichier et on se rend compte que madame aurait un manque à gagner dans ses revenus à partir de 86 ans. »

Ses épargnes sont alors épuisées. Or, à 71 ans, elle a une chance sur deux d’atteindre 91 ans.

« La situation actuelle ne lui permettrait donc pas d’assurer sa tranquillité d’esprit à la retraite », prononce le planificateur.

Notons au passage que pour boucler son budget actuel, il est très probable que Marie-Ange retire davantage d’argent de ses REER que les 10 000 $ qu’elle mentionnait.

François Bernier modifie ensuite le scénario : « On va enlever la dépense automobile », indique-t-il.

« Par contre, j’ai supposé des frais de transport, pour des services de type Communauto ou par taxi, de 300 $ par mois. »

Cette fois-ci, son capital s’épuise à 89 ans. Il manque encore sept ans pour atteindre l’objectif de 96 ans, où elle n’aurait plus qu’une chance sur quatre d’être encore en vie.

L’achat

François Bernier teste ensuite le scénario de l’achat d’un condo de 315 000 $. En raison de son portefeuille très conservateur et de l’incertitude sur les taux hypothécaires à long terme, il suppose que Marie-Ange le paierait comptant en puisant dans ses épargnes non enregistrées.

« Il y a un inconvénient : les frais qui viennent avec un condo », souligne-t-il.

Avec les services connexes, Marie-Ange les a estimés à 1000 $ par mois.

Il faut encore ajouter l’impôt foncier. La voiture de location est cependant supprimée.

Le résultat est sensiblement similaire au premier scénario : « Madame peut vivre avec ce coût de vie jusqu’à 87 ans. À ce moment-là, on aura épuisé ses REER et ce qui restait dans ses CELI. »

Marie-Ange sera cependant propriétaire d’un condo, qu’elle pourra revendre au plus tard à 87 ans, pour retourner vivre en appartement avec le produit de la vente.

« Le scénario de l’achat de condo n’est pas à rejeter, mais il faut savoir que ça ne la rend pas jusqu’à la fin de sa vie, constate le planificateur. Elle va devoir vendre son condo, ou autrement – et je ne suis pas un grand fan de ces options-là – songer à des véhicules comme l’hypothèque inversée. »

Une troisième avenue

« J’ai fait une autre hypothèse ! », annonce-t-il alors.

« Je me suis posé la question : qu’arriverait-il si Madame se prenait un appartement à un coût moins élevé ? »

Marie-Ange habite dans une résidence pour aînés, avec des services « dont elle a peut-être besoin ou pas. Elle seule peut le dire ».

Elle pourrait plutôt vivre dans un immeuble d’habitation de bonne qualité.

« J’ai posé en principe qu’elle était capable de trouver un appartement très bien de 1800 $ par mois. »

Encore une fois, la voiture est retirée du portrait.

« Dans ce cas-là, avec un appartement 25 % moins cher, Madame serait capable d’assurer son coût de vie avec ses actifs actuels jusqu’à l’âge de 100 ans. »

Entre l’achat d’un condo et un appartement moins cher, « c’est une question de choix personnel », fait-il valoir.

Mais « je pense que si elle prend l’appartement de 2500 $ par mois, il y a un risque significatif qu’elle manque d’argent durant sa retraite ».

*Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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