Sylvie a une petite entreprise technologique incorporée reliée au domaine de la santé avec quelques sous-traitants à temps partiel. Avant la pandémie, elle s’accordait des dividendes de 42 000 $ par année. Depuis la fin de mars, elle n’a plus de contrat et paye ses comptes à l’aide de la Prestation canadienne d’urgence (PCU).

« Mes clients ont suspendu mes services jusqu’à nouvel ordre, écrit-elle à La Presse. À la fin de la PCU, je vais devoir piger dans ‟le vieux gagné” comme on dit, car je n’aurai aucun revenu. »

Sexagénaire célibataire et propriétaire d’un condo avec une hypothèque de 124 800 $, Sylvie a toutefois des liquidités.

« Est-ce que je devrais envisager de payer mon hypothèque et utiliser la balance de ma liquidité comme salaire, se questionne-t-elle, ou est-il préférable de continuer de payer mon hypothèque avec un taux d’intérêt de 1,9 % et me garantir plus de liquidité à long terme ? »

Premiers constats

Ce qui saute aux yeux de Pierre-Raphaël Comeau, conseiller expert en gestion de patrimoine pour la gestion privée de la Banque Laurentienne, c’est que la dame de 60 ans est dans une meilleure position qu’elle le croit.

« Elle est craintive face à l’avenir alors qu’elle pourrait décider de prendre sa retraite dès janvier prochain, affirme l’expert. Elle serait un peu serrée, mais elle arriverait. C’est seulement à 90 ans qu’elle commencerait à manquer d’argent. Or, elle n’aurait qu’à vendre son condo pour financer la suite. »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Pierre-Raphaël Comeau, conseiller expert en gestion de patrimoine pour la gestion privée de la Banque Laurentienne

Pierre-Raphaël Comeau constate que Sylvie a la chance d’être assise dans le siège du patron et qu’elle a une bonne réserve de liquidités, soit les bénéfices non répartis de l’entreprise d’une valeur de 342 000 $. Sylvie a placé 90 000 $ dans un compte bancaire d’entreprise et 250 000 $ avec Épargne Placements Québec.

« C’est sûr que ça coûte de l’impôt quand elle prend cet argent, mais c’est elle qui a le contrôle sur le robinet. »

« C’est un peu comme un REER, explique Pierre-Raphaël Comeau. C’est de l’argent qui t’a coûté moins cher en impôts, qui ne te coûte pas trop cher quand il est investi dans l’entreprise et tu choisis quand tu veux être taxé dessus. »

Sylvie doit s’assurer de bien faire la différence entre ses épargnes personnelles et les bénéfices non répartis de l’entreprise, car les conséquences fiscales ne sont pas les mêmes lors du retrait.

Payer l’hypothèque ?

La question centrale de l’entrepreneure était de savoir si elle devait payer son hypothèque rapidement. « Ce n’est pas une bonne idée », affirme sans détour Pierre-Raphaël Comeau, qui a fait des simulations basées sur les dividendes qu’elle reçoit.

Selon les calculs du conseiller expert en gestion de patrimoine, Sylvie devrait se verser environ 200 000 $ de dividendes, qu’elle puiserait dans sa réserve de 342 000 $, pour obtenir les 125 000 $ nets destinés à payer son hypothèque.

« Ça lui coûterait 75 000 $ en impôts tout de suite pour économiser 2375 $ en intérêts. Pendant ce temps, l’hypothèque ne lui coûte que 1,9 % tandis qu’elle peut obtenir avec ses placements à long terme 3,5 %. En plus, elle aurait une pénalité pour le remboursement avant terme. »

Pierre-Raphaël Comeau suggère à l’entrepreneure de continuer à se verser des dividendes en attendant que les clients reviennent. « Ce qui ne devrait pas tarder, car elle est dans le domaine de la santé, dit-il. Sans compter que l’entreprise ne lui coûte presque rien à opérer, puisqu’elle est à la maison et n’a pas d’inventaire. »

Il souligne que Sylvie a une réserve de dividendes pour sept ans et un fonds d’urgence de deux ans alors que les experts recommandent d’en accumuler un de trois à six mois.

Autre stratégie

Actuellement, Sylvie a choisi de se verser des dividendes plutôt qu’un salaire, entre autres, pour ne pas avoir à payer les charges sociales (RRQ, RQAP, assurance-emploi). Cependant, en choisissant de se payer en salaire, elle pourrait profiter d’un régime de retraite individuel (RRI) qu’elle se construirait sur mesure, généreux et avec une rente indexée.

« Le RRI, c’est une stratégie pour faire passer de l’argent des bénéfices non répartis vers le propriétaire, affirme M. Comeau. Ça coûte de l’argent, mais c’est une dépense pour l’entreprise. L’entreprise paye le régime avec de l’argent brut, de l’argent sur lequel elle n’a pas payé encore d’impôts. »

« Est-ce assez pour décider de se payer en salaire plutôt qu’en dividendes ? Non, concède le conseiller expert, mais ça fait partie des arguments. Comme le fait de ne pas payer les charges sociales n’est pas suffisant pour choisir d’être payé en dividendes plutôt qu’en salaire. »

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Les chiffres

Revenus bruts de l’entreprise en 2019 : 172 000 $ (132 000 $ après les dépenses)

REER FTQ ​et CSN : 42 571 $

Autres REER : 297 694 $

CELI ​ : 65 000 $

Placements non enregistrés : 342 000 $ (revenus de l’entreprise avec impôts à payer au moment des retraits)

Hypothèque : ​124 800 $

Valeur du condo : 350 000 $

Montant estimé de la RRQ : 690 $ à 60 ans et 1007 $ à 65 ans

Coût de vie : 4000 $ par mois

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