Une véritable conciliation travail-famille vient de naître avec la crise dans certaines organisations.

À la Sun Life, on ne le crie pas sur tous les toits, mais certains gestionnaires permettent aux employés qui ont des enfants au primaire de réduire leurs heures de travail sans perte salariale.

La mesure n’est pas offerte officiellement à tous les parents. La directrice des communications, Jacynthe Alain, a expliqué à La Presse au téléphone que la Sun Life « a encouragé les gestionnaires à être accommodants pour que les employés puissent conserver une bonne santé mentale et que certains gestionnaires avaient besoin de plus d’outils que d’autres ».

Chez Desjardins, la mesure est officielle. « Les employés qui ont réduit leurs heures de travail pour s’occuper de leurs enfants n’auront pas à subir une baisse de salaire », indique par courriel la porte-parole Chantal Corbeil.

À Hydro-Québec, on va plus loin. La mesure a été structurée avec un nouveau code pour les feuilles de temps. Si un employé à la maison doit s’occuper de ses enfants durant son quart de travail, il l’indique à l’aide de ce code de temps. Cette mesure est offerte à tous les employés.

Légal ?

Les parents rêvent depuis plus de 20 ans que le concept de conciliation travail-famille soit appliqué pour vrai par les employeurs. Cette mesure les ravit, mais est-elle illégale ? Non, soutiennent les experts.

« Un employeur a la faculté de modifier unilatéralement les conditions de travail de ses employés dans la mesure où ce n’est pas considéré comme significatif, comme substantiel, explique Éric Lallier, avocat spécialisé en droit du travail chez Norton Rose Fulbright.

« En pandémie, le critère de significatif ou substantiel doit être interprété dans un contexte de pandémie, poursuit Éric Lallier. Ce qui laisse un peu plus de marge de manœuvre ou de flexibilité aux employeurs. »

« C’est bien de voir des employeurs flexibles et compréhensifs à la situation des parents, parce que les protections qu’offre la loi sont extrêmement minces », affirme Finn Makela, professeur à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke.

Le professeur rappelle que la Loi sur les normes du travail prévoit qu’un salarié peut prendre jusqu’à 10 jours de congé par année, dont seulement 2 sont payés, pour obligations familiales ou parentales. Cela inclut le fait de s’occuper de la santé ou de l’éducation des enfants, ainsi que de prendre soin d’un parent ou d’un proche.

De son côté, Tina Aswad, associée chez Gowling WLG, souligne qu’en théorie, un employé est payé pour le nombre d’heures travaillées. Le fait de ne pas réduire le salaire d’un employé qui doit s’occuper de ses enfants est une façon, selon l’avocate, de répondre aux besoins d’un employé et de le garder.

« L’employeur n’a pas l’obligation de le faire, soutient-elle au téléphone. Mais il ne faut pas oublier qu’on est dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre exacerbé par la COVID-19. »

Discriminatoire ?

L’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne n’indique pas la « situation de famille » avec ou sans enfant comme motif de discrimination, contrairement à d’autres provinces canadiennes.

Je ne vois pas une vraie discrimination au sens pur du terme. Maintenant, ça peut créer certaines injustices entre certains employés. Tout comme les employés à la maison avec les prestations du gouvernement et ceux qui travaillent et gagneront moins. C’est le propre d’une situation imparfaite qu’on doit gérer en urgence.

L’avocate Tina Aswad, associée chez Gowling WLG

Et si un employé sans enfant invoquait la discrimination sur la base de son état civil qui, lui, est inclus dans la Charte ? Selon le professeur de droit Finn Makela, le salarié qui n’a pas d’autres occupations serait mal venu de se plaindre dans le contexte actuel, mais si la situation se présentait, l’employeur aurait un argument convaincant. « Un employeur qui serait accusé de discrimination pourrait dire qu’au contraire, ce qu’il est en train de faire, c’est de prendre des mesures d’accommodement pour ne pas discriminer les employés qui sont parents », soutient le professeur.

« D’un point de vue légal, ce n’est pas discriminatoire, renchérit l’avocat Éric Lallier, c’est plus une question d’opportunité. Là, on met des mesures d’atténuation pour un certain groupe au détriment d’un autre groupe de l’organisation et c’est sûr que ça peut créer certaines frictions. En même temps, il faut faire preuve de compassion. »