À peine commencée, la brutale « récession de pandémie » suscite déjà une vague d’avis d’entreprises en Bourse qui anticipent des conséquences très négatives sur leurs prochains résultats.

Parmi les investisseurs en actions à dividendes, notamment les caisses de retraite et les rentiers plus dépendants de ce type de revenus, on craint une vague de réductions ou, pire, d’interruptions de dividendes par les entreprises soudainement fragilisées.

À preuve, à la Bourse de Toronto, les principaux indices d’actions à dividendes – les « dividendes élevés » et les « aristocrates » de la croissance de dividendes – s’affichent ces jours-ci en recul d’environ 28 % depuis le début de l’année. C’est 10 points de pourcentage de plus que le recul affiché des principaux indices de marché comme le S&P/TSX et le S&P/TSX 60 des grandes capitalisations.

Pourtant, l’écart de rendement courant en dividendes entre ces deux types d’indices demeure largement favorable aux indices d’actions à dividende.

« En période de récession, les investisseurs se méfient davantage des actions à rendement élevé en dividende », explique Michel Magnan, professeur en gestion comptable et directeur de la Chaire en gouvernance Stephen Jarislowsky à l’École de gestion John Molson de l’Université Concordia. 

Ils craignent que ces dividendes deviennent insoutenables financièrement pour les entreprises concernées, et qu’elles se retrouvent forcées à écarter leur réticence habituelle à réduire leur dividende et, du coup, déprécier davantage leur valeur en Bourse.

Michel Magnan, professeur en gestion comptable et directeur de la Chaire en gouvernance Stephen Jarislowsky à l’École de gestion John Molson, de l’université Concordia

Depuis quelques semaines, en Europe, les interruptions de dividendes se sont multipliées parmi les grandes entreprises ; des interruptions souvent forcées par les conditions d’accès à l’aide financière massive mobilisée par les gouvernements et les banques centrales d’outre-Atlantique.

Aux États-Unis, on recense jusqu’à maintenant des interruptions de dividendes chez une trentaine d’entreprises de l’indice S&P 500.

Au Canada, on ne recense encore qu’une dizaine de cas parmi les 230 entreprises du S&P/TSX, dont la montréalaise CAE, spécialiste de la formation et de la simulation en pilotage d’avion.

Par ailleurs, quelques entreprises québécoises de capitalisation intermédiaire, dont le distributeur de pièces automobiles Uni-Sélect, le restaurateur MTY et le distributeur Quincaillerie Richelieu, ont déjà interrompu leur dividende afin, disent-elles, de protéger leur situation financière.

Pour la suite, les investisseurs en actions à dividendes doivent-ils s’attendre à d’autres annonces défavorables ?

« Parmi notre portefeuille principal de 30 actions canadiennes, nous n’en avons qu’une seule, CAE, qui a interrompu son dividende », indique Charles Nadim, co-chef des actions de la firme de gestion de placements Jarislowsky Fraser, à Montréal. « Et on ne s’inquiète pas encore pour les autres, du moins tant que tiendra notre scénario économique d’une récession brutale, certes, mais concentrée sur les deuxième et troisième trimestres en 2020, suivie d’une reprise graduelle. »

Dans la même veine, il anticipe peu d’impact de ces réductions temporaires de dividendes sur le rendement à long terme des portefeuilles de ces clients.

« Nous gérons nos portefeuilles d’actions avec un horizon de placement de 10 à 15 ans. Et dans nos objectifs à long terme de rendements annualisés en 10 % et 15 %, les dividendes comptent habituellement pour 3 % dans ce rendement », explique Charles Nadim.

Entre-temps, on considère aussi qu’une entreprise qui suspend son dividende malgré sa bonne santé financière pourrait être plus résistante en cas d’une reprise économique retardée.

Charles Nadim, co-chef des actions chez la firme de gestion de placements Jarislowsky Fraser

En solution de rechange, les actions privilégiées ?

Inquiet du risque d’interruptions de dividendes sur vos prochains revenus de placements en actions ?

Ce serait peut-être le temps d’envisager les actions privilégiées émises en Bourse par les banques ou les fournisseurs de services utilitaires, par exemple.

Pour l’essentiel, les actions privilégiées sont des cousines des actions à dividendes. La différence est que leur niveau de dividende est fixé à des intervalles prédéterminés – habituellement quinquennaux – en fonction d’une prime de quelques points de pourcentage – elle aussi prédéterminée – sur un taux obligataire de référence, comme les obligations canadiennes à échéance cinq ans.

Une fois fixé, le niveau de dividende ne peut pas être modifié ni interrompu par l’entreprise avant la prochaine échéance, au risque de se retrouver en décote financière semblable à un défaut de paiement sur ses titres de dette.

Aussi, le versement du dividende aux actions privilégiées demeure toujours prioritaire par rapport aux dividendes versés sur les actions ordinaires dans la gestion des flux de trésorerie disponibles des entreprises.

En période d’incertitude sur les dividendes des entreprises, les actions privilégiées peuvent représenter une meilleure sécurité de revenus de placement pour les investisseurs que les actions ordinaires à dividendes.

En contrepartie, parce qu’il est basé sur une surprime sur un taux obligataire, le rendement à long terme en dividende des actions privilégiées a souffert de très bas taux d’intérêt, en comparaison avec le rendement moyen des actions à dividendes d’entreprises de qualité comparable.

>> Consultez le profil boursier du FNB iShares indiciel d’actions privilégiées canadiennes (symbole CPD)