Pour empocher d’importantes commissions, un représentant qui vendait des produits de BMO Assurance a fait perdre plus d’un million de dollars à une vingtaine de clients en leur vendant un produit inadapté à leurs besoins. Actuellement poursuivie pour des frasques similaires d’un autre représentant, la compagnie d’assurance décline toute responsabilité, et l’Autorité des marchés financiers dit ne rien pouvoir faire pour eux.

Marcel Lagacé, ex-représentant en assurances de la Rive-Sud de Montréal, a vendu pendant des années des polices d’assurance coûteuses à ses clients, empochant au passage d’importantes commissions.

Confronté par des clients mécontents qui constataient que ce produit leur faisait perdre des dizaines de milliers de dollars, il a déclaré faillite en 2014, les laissant dans le noir, avec des produits mal adaptés qui avaient perdu énormément de valeur.

Marcel Lagacé vendait exclusivement de l’assurance vie universelle, produit risqué qui combine une portion assurance vie et une portion placement (voir encadré).

« Il me disait que ce produit me procurerait une retraite plus que confortable. Il me disait que la police allait s’autofinancer grâce aux rendements de mes placements », confie Martine Petit, qui a acheté en 2009 une police d’assurance vie universelle dont elle a finalement pu se défaire dans les derniers mois.

Le représentant lui avait présenté des projections de rendement irréalistes de 10 % et ne l’aurait pas informée des risques liés à ce type d’assurance.

En deux ans, les primes annuelles sont passées de 900 $ à plus de 4000 $. Qui plus est, Martine Petit a constaté « avec stupéfaction » que le représentant avait falsifié son bilan financier en doublant la valeur de ses actifs personnels et de sa petite entreprise.

La Presse a discuté avec 22 anciens clients de Marcel Lagacé. Tous soutiennent avoir perdu des sommes substantielles. En raison de frais de rachat très élevés, plusieurs de ces anciens clients ont confié avoir payé les primes de leurs assurances jusqu’à cette année.

Sur les conseils du représentant, l’un d’eux a emprunté 200 000 $ auprès d’une banque pour financer son assurance. D’autres soutiennent avoir perdu l’héritage de leurs parents ou les sommes provenant de la vente de leur entreprise.

Joint par La Presse, Marcel Lagacé dit avoir évalué les besoins de ses clients et nie avoir falsifié des documents. Les polices vendues ont été approuvées par BMO Assurance, note-t-il. Avec le recul, il concède que le produit « était plus risqué » qu’il n’y paraissait à l’époque.

« Je suis triste pour ces clients, mais rien de ce que je pourrais dire ne rapportera les sommes perdues », dit-il. Il soutient avoir lui-même perdu en investissant dans ce produit développé par la filiale assurance de Groupe BMO.

BMO décline toute responsabilité

La filiale assurance de Groupe BMO n’en est pas à ses premiers déboires. Une ex-cliente d’un autre représentant vedette aujourd’hui déchu, Jacques-André Thibault, poursuit pour 13 millions BMO Assurances et d’autres institutions impliquées dans le dossier. M. Thibault vendait le même type d’assurance et présentait des taux de rendement plus qu’optimistes.

Dans sa poursuite, l’ex-cliente Élise Bernier estime que la compagnie d’assurance n’a pas surveillé adéquatement ce représentant pourtant connu de la justice et des autorités québécoises.

Un autre ancien client de Jacques-André Thibault a également entamé des démarches judiciaires similaires en 2018. Il estime avoir perdu des centaines de milliers de dollars et tient aussi BMO Assurance responsable pour ses déboires.

Aujourd’hui, BMO Assurance décline toute responsabilité quant aux ventes des deux représentants. L’institution rappelle qu’ils n’étaient pas employés, indiquant qu’ils « offraient des produits d’assurance par l’entremise de leurs agences générales », un type d’entreprise qui joue le rôle d’intermédiaire entre les compagnies d’assurance et les représentants.

Or, selon les informations obtenues par La Presse, Marcel Lagacé et Jacques-André Thibault bénéficiaient de passe-droits. Ils étaient les seuls représentants québécois à pouvoir faire directement valider leurs ventes par le siège social de la compagnie d’assurance, passant outre aux procédures habituelles.

Jamais ces polices, dont plusieurs promettaient des taux de rendement de 10 %, « n’auraient été acceptées s’ils avaient suivi les procédures normales », assurent deux sources qui ont collaboré avec les représentants et l’institution à l’époque des faits reprochés.

BMO Assurance permettait également à Marcel Lagacé de gérer les portefeuilles d’environ une cinquantaine de clients à partir de son propre portefeuille de placements. Toute modification qu’il y apportait était automatiquement appliquée à ceux de ses clients, sans égard à leur tolérance au risque.

Des clients laissés à eux-mêmes

Malgré les plaintes déposées à l’Autorité des marchés financiers (AMF) par d’anciens clients de Marcel Lagacé, l’organisme refuse de commenter le dossier.

La Chambre de la sécurité financière (CSF), l’équivalent d’un ordre professionnel des représentants en assurance, soutient pour sa part que « la preuve recueillie » était insuffisante pour procéder « au dépôt d’une plainte devant le comité de discipline ».

Dans une lettre envoyée à d’anciens clients de Marcel Lagacé, la CSF écrit qu’il ne représente plus un danger pour la population, n’étant plus enregistré auprès des autorités.

J’ai totalement perdu confiance en l’AMF et la CSF. En ne protégeant pas les victimes, elles font la belle vie aux représentants qui n’ont pas de scrupules.

Jacques Tétreault, ex-client de Marcel Lagacé

« C’est une bonne partie de ma retraite que j’ai perdue », dit M. Tétreault qui estime ses pertes à plus de 150 000 $.

Son de cloche similaire de la part de Donald Fournier qui a acquis une police d’assurance vie universelle d’un million de dollars. Ses primes ont doublé entre 2009 et 2014, atteignant 1223 $ par mois. Il estime ses pertes à près de 200 000 $. En septembre, il a finalement dû résilier sa police sans récupérer les sommes injectées.

« Ça me dépasse qu’on n’enquête pas sérieusement sur ce qu’il a fait. D’autant plus qu’en fouillant, on a constaté que son dossier n’était pas sans tache », lance-t-il.

En 1998, Marcel Lagacé avait plaidé coupable à huit chefs d’accusation et avait dû payer une amende de 40 000 $ pour la vente de produits financiers sans avoir rempli les documents nécessaires.

« Nous sommes aujourd’hui dans une impasse », dit Jacques Tétreault, rappelant que les démarches auprès des autorités se sont étalées sur près de cinq ans. Du coup, le délai de prescription de trois ans s’est écoulé et ils ne peuvent plus poursuivre au civil le représentant et BMO Assurance.

Vérificatrice générale

Dans son rapport annuel de 2017, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, constatait les lacunes de l’AMF en matière d’inspection dans le secteur des assurances. L’organisme n’a pas les outils nécessaires pour « cibler adéquatement ses interventions en fonction des risques de non-conformité », écrivait-elle. Elle indiquait que les inspections de l’AMF mériteraient « d’être bonifiées » et que l’organisme avait « de la difficulté à respecter les délais de traitement qu’elle s’est fixés ».

L’assurance vie universelle expliquée

Malgré son nom, l’assurance vie universelle est un produit complexe qui ne s’adresse pas à toutes les bourses. Elle combine à la fois une assurance vie, dont la prime et les coûts d’assurance sont calculés en fonction de critères comme l’âge et l’état de santé, et un compte d’investissement qui permet de bénéficier d’avantages fiscaux.

Le volet placement fait de l’assurance vie universelle un produit particulier. « Lorsque vous déboursez plus que la prime, l’argent mis de côté dans la portion investissement n’est pas imposé. En ce sens, on pourrait dire que ça fonctionne un peu comme un CELI », explique Dany Provost, directeur, planification financière et optimisation fiscale, chez SFL Expertise.

Pour que ce produit soit avantageux, l’assuré doit s’en servir pour ce qu’il est : une assurance. « Il faut que ce soit destiné à la succession. Si vous retirez les sommes avant, une bonne partie peut devenir imposable », poursuit M. Provost.

Ce produit peut être extrêmement risqué s’il est vendu comme un produit de placement, et tout particulièrement si le client emprunte à des fins d’investissement. « Une simple variation de 1 % par rapport aux hypothèses conduit l’investisseur à devoir fournir des garanties supplémentaires ou à rembourser un montant de plusieurs dizaines de milliers de dollars annuellement, s’il vit au-delà de son espérance de vie », conclut-il.