Qui fait partie des gens qui gaspillent le plus sur Terre ? Le père Noël et ses lutins. C’est que malgré toutes leurs bonnes intentions au pôle Nord, environ 18 % de la valeur des cadeaux des Fêtes s’envole en fumée, selon l’économiste américain Joel Waldfogel. Au Québec, ce « gaspillage des Fêtes » s’élèverait à 259 millions de dollars par an. Doit-on cesser de donner des cadeaux pendant les Fêtes ? Pas nécessairement, car il y a des solutions.

Gaspillage

Vous avez déjà reçu un cadeau de Noël qui est allé directement à la poubelle aussitôt la visite repartie ? Alors vous allez vite comprendre les travaux de l’économiste Joel Waldfogel…

Dans ses recherches au cours des années 90, le professeur d’économie à l’Université du Minnesota a décidé de quantifier un phénomène qui touche la plupart des familles durant les Fêtes : un cadeau coûte souvent plus cher à celui qui le donne qu’il ne fait plaisir à celui qui le reçoit. Avec ses étudiants, il s’est aperçu qu’un cadeau coûte en moyenne 18 % plus cher que la valeur que celui qui le reçoit lui attribue.

« Pour beaucoup des cadeaux que nous recevons, nous apprécions le geste, mais pas nécessairement le cadeau en tant que tel », dit en entrevue à La Presse Joel Waldfogel, qui a publié en 2009 un livre sur le sujet, Scroogenomics : Why You Shouldn’t Buy Presents for the Holidays.

L’obligation de donner

Pourquoi gaspille-t-on autant d’argent pour les cadeaux des Fêtes ? Parce que nous sentons l’obligation de donner des cadeaux à nos proches et à nos connaissances, même si nous ne les connaissons pas aussi bien que nous le croyons.

« Le défi, c’est que nous sentons une obligation de donner des cadeaux à beaucoup de gens d’un seul coup, dit Joel Waldfogel. Si vous n’aviez qu’un seul cadeau à acheter, vous pourriez prendre le temps de bien le choisir. Et parfois, on doit acheter un cadeau pour notre neveu qu’on n’a pas vu depuis trois ans. Nous avions peut-être eu une bonne idée de cadeau pour lui il y a trois ans, mais plus maintenant. »

Au Québec, 71 % des gens disent donner des cadeaux des Fêtes, contre 29 % qui n’en donnent pas, selon un sondage du Conseil québécois du commerce de détail. S’ils n’en donnent pas, c’est soit qu’ils ne fêtent pas Noël (9 % des gens), soit qu’ils n’en ont pas les moyens (15 % des gens), soit qu’ils ne veulent pas en donner, peu importe leur situation financière (5 % des gens).

436 $

Budget moyen des ménages québécois pour les cadeaux des Fêtes (en comptant uniquement les ménages qui font des cadeaux), selon un sondage du Conseil québécois du commerce de détail. Ces ménages consacrent aussi 303 $ en moyenne par ménage pour les repas et l’alcool, ce qui fait porter la facture totale des Fêtes à environ 739 $ par ménage (qui fait des cadeaux).

Des solutions

Joel Waldfogel ne veut pas mettre fin aux cadeaux de Noël. « Les gens peuvent faire ce qu’ils veulent », dit-il. Mais il a tout de même quelques conseils pour ceux qui veulent réduire le gaspillage sous le sapin — tout en continuant de faire plaisir à leurs proches. « La première étape, c’est de reconnaître que les cadeaux sont une forme d’allocation des ressources », dit-il. Voici quelques-unes de ses solutions.

1. Une liste de cadeaux

Soit, la surprise est moins grande. Mais en dressant des listes de cadeaux, on réduit considérablement les mauvaises surprises sous le sapin. C’est d’ailleurs ce qu’on fait chez les Waldfogel. « On a fait une liste. Et parfois, je demande la permission de m’acheter le cadeau que je désire. C’est gagnant-gagnant », dit le professeur d’économie.

2. Des cartes-cadeaux

Avertissement : ce conseil est interdit (ou à tout le moins fortement déconseillé) si c’est pour votre douce moitié.

Mais pour votre neveu ou votre petit-fils adolescent aux goûts changeants — ou pour toute personne que vous avez peu vue au cours de l’année, vraiment —, il vaut souvent mieux opter pour des cartes-cadeaux. La personne pourra alors dépenser l’argent comme elle le désire.

« Les gens sont parfois drôles. C’est considéré comme vulgaire d’offrir de l’argent. Mais les cartes-cadeaux sont une forme d’argent socialement acceptable à donner en cadeau. Elles ont permis de déstigmatiser le don en argent », dit Joel Waldfogel.

En 2018, 51 % des Québécois prévoyaient donner au moins une carte-cadeau. Les cartes-cadeaux ont représenté 17 % de la valeur des cadeaux aux Fêtes, une hausse de 2 % en un an, selon un sondage du Conseil québécois du commerce de détail.

3. Des dons

Autre solution de rechange à un cadeau traditionnel emballé sous l’arbre de Noël : faire des dons à des organismes de bienfaisance au nom de ses proches.

Quand Joel Waldfogel a commencé à étudier le gaspillage de Noël dans les années 90, il recevait toutes sortes de commentaires négatifs. « Maintenant, avec l’importance de l’environnement, de plus en plus de gens se rendent compte qu’il y a du gaspillage durant les Fêtes, alors qu’il y a des besoins réels ailleurs dans le monde, dit-il. Des gens décident de donner à des organismes de bienfaisance au lieu d’acheter des cadeaux traditionnels. »

La conclusion ?

Peut-on laisser tomber les cadeaux des Fêtes ? Si vous voulez. Mais c’est difficile, car c’est une obligation très ancrée socialement.

« On constate d’ailleurs que quand les gens s’enrichissent, ils offrent des cadeaux plus importants, soit, mais ils consacrent aussi un plus petit pourcentage de leurs revenus à offrir des cadeaux », dit Joel Waldfogel. Ils remplissent donc leur obligation de donner des cadeaux sans nécessairement y consacrer la même part de leurs revenus.

« C’est signe d’une obligation pour tout le monde d’offrir des cadeaux, dit le professeur d’économie de l’Université du Minnesota. Il n’y a pas de façon d’échapper à cette obligation. On peut seulement faire du mieux qu’on peut dans cette situation. »

1,44 milliard

Montant du budget des cadeaux des Fêtes au Québec, selon un sondage du Conseil québécois du commerce de détail. Le budget total des Fêtes est estimé à 2,44 milliards : 1,44 milliard pour les cadeaux, et 1 milliard pour les repas et l’alcool. Avec 1,44 milliard CAN (1,08 milliard US), vous arrivez aux environs de la 180e économie au monde, devant Saint-Christophe-et-Niévès (PIB annuel : 1,03 milliard US), et derrière les Comores (1,18 milliard US) et la Grenade (1,24 milliard US).

259 millions

Perte de valeur des cadeaux des Fêtes au Québec, selon la théorie de l’économiste Joel Waldfogel