« Mon garçon a deux jeunes enfants. Il habite dans un condo dans un demi-sous-sol. Et je sais qu’il n’a pas la capacité de s’acheter une propriété. En même temps, il fait deux heures de transport pour se rendre au travail. »

C’est le fond de l’histoire. François aimerait aider son fils. Non pas à s’acheter une maison, mais à mieux loger sa famille.

« Moi et ma femme envisageons d’acheter une maison d’une valeur de 300 000 $ environ. »

Son fils – appelons-le Maxime – a un emploi stable et touche un salaire d’environ 70 000 $. Sa conjointe prend soin des deux jeunes enfants à la maison.

François leur demanderait un loyer de 800 $. « C’est le loyer qu’il paie depuis trois ans. On a calculé que ce montant couvre environ 100 000 $ d’hypothèque, plus taxes et électricité. »

Le projet suscite une série de questions :

– Combien devrait-on donner comme mise de fonds : 75 000 $, 100 000 $ ou plus ?

– On devrait prendre l’argent dans les CELI, les actions ou ailleurs ?

– Est-ce que les 800 $ par mois vont devenir un revenu pour moi ?

– Est-ce que les intérêts sont déductibles d’impôt ?

Les baby-boomers sont rendus là

Travailleur dans la construction, l’homme de 59 ans gagne environ 130 000 $ par année. « Par contre, je vais tomber à 50 000 $ dans un an, jusqu’à 65 ans. »

Sa femme est retraitée. Ils possèdent une maison de 600 000 $ entièrement payée. Ils ont mené une vie simple, dit-il.

François et sa conjointe considèrent leur projet comme une manière de « préhéritage ».

« Les baby-boomers, on est rendus là, et il y a plusieurs parents qui se demandent comment aider leurs enfants, qui ne sont plus capables d’acheter une propriété. »

Les deux retraités ont récemment donné 100 000 $ à leur fille pour réduire son hypothèque. « Mais je ne peux pas faire ça avec mon gars, exprime François. Je ne peux pas lui donner l’argent. Il va le brûler. J’aime mieux qu’il me paie un loyer. Comme ça, la maison m’appartient encore. »

Après une pause, il ajoute…

« En réalité, je peux vous le dire, mon fils a fait faillite il y a quelques années. Maintenant, il va bien, parce qu’il a eu des moments difficiles, mais je sais qu’il n’a pas la capacité de s’acheter une maison. Ça, je le sais. Et moi, je veux donner une vie à mes petits-enfants, qu’ils aient une cour, qu’il y ait un parc pas loin. Je ne veux pas qu’ils vivent dans un sous-sol à deux chambres. »

La réponse

« Avant même d’effectuer des calculs concernant le fils, il est important de s’assurer que la situation financière des parents leur permet de supporter un tel projet », commence le planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels – Gestion privée.

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Raphaël Hainault, planificateur financier et conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels – Gestion privée

Il nous rassure aussitôt. Même s’ils ne demandaient aucun loyer à leur fils, François et sa femme pourraient acquérir la maison de 300 000 $ et maintenir un coût de vie indexé de 83 000 $ jusqu’à 97 ans.

Ils pourraient même équilibrer les « préhéritages » en donnant 200 000 $ de plus à leur fille, et conserver encore un train de vie de 77 000 $, calcule le planificateur, soucieux d’équité.

Là n’est donc pas le nœud du problème.

Mode d’emploi

Les parents doivent-ils emprunter ou puiser dans leurs épargnes pour réduire, voire éliminer l’hypothèque ? Si le taux d’intérêt de l’hypothèque est supérieur au rendement des placements, mieux vaudra sacrifier ces derniers.

Les dépenses de la nouvelle propriété seront-elles déductibles d’impôt, demande encore François ? À l’encontre des revenus de location, qui seront imposables, « il pourra comme tout locateur déduire les dépenses reliées à cette maison : intérêts sur l’hypothèque, assurances, taxes, etc. », répond Raphaël Hainault.

« Cependant, puisqu’il s’agit d’un loyer de faveur octroyé à une personne avec un lien de dépendance, les déductions seront limitées au loyer perçu, ajoute-t-il. Aucune perte de location ne pourra être réclamée. »

Si le couple opte pour l’hypothèque, il est donc fort probable qu’en raison des importantes dépenses d’une maison unifamiliale, la plus grande partie des paiements d’intérêt sur une hypothèque ne pourra pas être déduite.

Le planificateur extrait aussitôt une solution de son chapeau.

Le couple pourrait payer la maison comptant en retirant 300 000 $ de ses placements non enregistrés. En retour, il pourrait emprunter jusqu’à 225 000 $ dans un prêt garanti par la nouvelle propriété, pour les investir à nouveau. « De cette façon, on se retrouve dans une situation équivalente, mais avec des intérêts déductibles en entier à l’encontre des revenus de placement plutôt qu’à l’encontre des revenus de location », décrit Raphaël Hainault.

Voir à long terme

Mais avant toute décision, le planificateur recommande de considérer le problème à plus long terme. « La situation en cas de décès du couple m’inquiète », dit-il.

La résidence occupée par le fils sera incluse dans la succession des parents. « Il faudra donc prévoir un testament en conséquence afin de s’assurer que les petits-enfants ne perdent pas leur foyer », avise le planificateur.

Le fils sera-t-il en mesure de s’occuper seul de la maison ? Faudrait-il prévoir une mesure de protection contre la dilapidation d’un héritage, une fiducie par exemple ?

« Parfois, une bonne intention peut devenir un cauchemar en cas de décès, observe Raphaël Hainault. Il serait à mon avis pire pour les petits-enfants de perdre un nouveau foyer en raison d’une mauvaise gestion des parents que de simplement demeurer dans le logement actuel. »

Il recommande une bonne discussion entre les parents et le fils, qui semble avoir repris sa situation en main.

« Ne serait-il pas mieux de permettre au fils d’acheter lui-même la maison et de fournir plutôt une mise de fonds à la place ? », demande le planificateur.

Les parents pourraient par exemple lui donner 200 000 $ à cet effet – plus 100 000 $ à sa sœur – et le laisser acheter la maison lui-même. L’hypothèque de 100 000 $ et les impôts fonciers équivaudraient à peu près à son loyer actuel.

Il est possible que la faillite du fils fasse obstacle, « mais puisque la mise de fonds correspondrait aux deux tiers de la valeur, le risque de la banque est faible », souligne notre conseiller.

Si nécessaire, l’obstacle pourrait être tourné par une caution donnée par François.

En outre, puisqu’il s’agira de la maison principale du fils, l’éventuelle plus-value bénéficiera de l’exemption pour résidence principale.

« Cette façon de faire pourrait responsabiliser le fils et permettre à François de le soutenir en cas de problème. Le legs d’outils permettant au fils de bien gérer ses affaires sera bien plus précieux pour le long terme qu’une simple donation en argent. »

Les paramètres

Rendement conservateur de 3,5 %

Inflation de 2 %

CELI maximisé et aucun droit de REER inutilisé

La vente de la maison dans cinq ans libérera 250 000 $, ajoutés aux liquidités

Les chiffres de François, 59 ans

François, 59 ans

Revenus : environ 130 000 $

Retraite prévue en 2021

REER : 93 000 $

CELI : 74 000 $

Placements non enregistrés : 125 000 $

Rente de retraite jusqu’à 65 : 50 000 $

À 65 ans : 41 000 $

Sa conjointe, 58 ans

Retraitée

Aucun régime de retraite

REER : 257 000 $

CELI : 74 000 $

Placements non enregistrés : 300 000 $

Maison de 600 000 $, entièrement payée

Le couple prévoit la vendre dans cinq ans pour acheter un condo

Coût de la vie à la retraite : environ 40 000 $