Au pays depuis 18 ans, elle surmonte les obstacles avec courage. Mais à quoi ressemblera sa retraite ?

« J'aurais aimé savoir si vous pouviez un jour aborder la situation des futurs retraités immigrés qui ont accumulé des expériences de travail à l'étranger », nous écrit Sandrine.

« Ils ont souvent dû retourner se former ou changer de carrière et s'inquiètent de savoir s'ils auront les moyens de vieillir au Québec. »

Elle parle d'elle, bien sûr.

« Disons qu'en gros, j'ai d'abord travaillé une dizaine d'années dans le secteur du tourisme en France », résumera la femme de 47 ans, quelques jours plus tard.

Au travers d'emplois mal rémunérés, elle estime avoir accumulé en France des droits de retraite d'environ 363 euros (542 $) par mois dès 65 ans.

Elle a immigré au Québec en 2001, où elle a occupé divers postes aussi mal payés.

Après deux ans de galère, elle est retournée aux études en 2003.

En sept ans, elle fait une attestation d'études collégiales, puis un certificat universitaire, et enfin un baccalauréat.

« Durant toutes ces années, j'ai vécu de l'assurance-emploi, de l'aide sociale et des prêts et bourses, mais je n'ai pas travaillé ou très peu, ayant eu un enfant en 2003. »

Ses études lui ont permis de décrocher un emploi dans le milieu de la santé, mais les dures conditions de travail ont incité la mère seule à réduire sa tâche.

À raison de 28 heures par semaine, elle touche actuellement un revenu net de 31 200 $ par année, auquel s'ajoutent les prestations familiales.

Son budget montre un coût de vie de 35 800 $, qui ne lui permet de dégager qu'un mince surplus de 100 $ par mois.

« Je n'ai pas de voiture et ne voyage pas, mes loisirs sont très limités et j'y arrive juste, mais je ne peux épargner. J'utilise mes remboursements d'impôt pour payer les taxes municipales et mon ordre professionnel. »

Elle n'a aucun REER, mais a réussi à accumuler 7000 $ dans le REEE de son fils.

« Les 21 000 $ que j'ai dans un CELI, je ne considère pas ça comme une épargne parce que je me dis qu'on ne sait jamais ce que la vie peut nous réserver. »

Avec un héritage consécutif à la mort de son père, elle a acquis il y a deux ans un condo payé 300 000 $. L'hypothèque de 170 000 $ entraîne des mensualités de 970 $ par mois.

Le prêt est amorti sur 25 ans, mais elle espère le solder dans 18 ans, pour son 65e anniversaire.

Elle s'inquiète.

« Comment faire pour ne pas vivre dans la pauvreté plus vieille, sachant que j'ai commencé à cotiser au RREGOP à l'âge de 40 ans, que j'ai accumulé peu de points de retraite en France et que les conditions de travail dans le réseau sont si difficiles que je ne me vois pas tenir jusqu'à 70 ans ? »

LES CHIFFRES

Sandrine, 47 ans

Salaire brut : 50 000 $

Dépenses annuelles : estimées à 35 800 $

Aucun REER

CELI : 21 000 $

REEE : 7000 $

Propriété

Condo : valeur de 375 000 $

Solde hypothécaire : 171 000 $

Aucune autre dette

LA RÉPONSE

Sandrine est inquiète, mais l'avenir n'est pas si sombre qu'elle le craint.

Le planificateur financier Gaétan Veillette, d'IG Gestion de patrimoine, a éclairé quelque peu le paysage de sa retraite.

« C'est une dame qui a beaucoup de rigueur », dit-il.

« Budgétaire », s'empresse-t-il d'ajouter.

Après avoir démêlé les dépenses inscrites au budget, prélevées sur la paie ou payées avec les remboursements d'impôt, il a confirmé avec un logiciel de planification spécialisé que les revenus de Sandrine, prestations pour enfants incluses, couvrent à peu près ses dépenses, dans les limites d'une raisonnable marge d'erreur.

Sandrine indique être actuellement au 10e échelon sur les 18 que compte l'échelle salariale de sa catégorie d'emploi.

Une consultation de cette échelle a permis d'établir une progression des revenus au cours des huit prochaines années.

C'est ce qui fait luire la lumière au bout du tunnel : cette ascension accroîtra ses revenus d'environ 2000 $ par année, avant même de tenir compte de l'ajustement au coût de la vie - et toujours à raison de 28 heures par semaine.

Cap difficile

Sandrine aura sans doute à passer un cap difficile dans deux ans, quand les prestations pour enfants se tariront.

Plus de 6000 $ de revenus disparaîtront alors. Il faudra environ trois ans avant que la montée dans l'échelle salariale compense ce déficit.

Pour traverser la dépression budgétaire, Sandrine devra puiser environ 7700 $ dans son CELI.

Le flux s'inversera à partir de 2025, quand un surplus commencera à apparaître. Pendant une dizaine d'années, jusqu'à ses 65 ans, elle pourra alors accumuler des épargnes de retraite.

À 65 ans, elle détiendrait ainsi environ 100 000 $ en CELI.

Les rentes de retraite

Comment se présentera la retraite ? Notre conseiller a fait quelques estimations avec une experte de son entreprise, qui a estimé la rente de retraite de Sandrine à quelque 22 400 $ à 65 ans.

Un citoyen québécois peut recevoir une rente de retraite versée par un pays étranger, dans la mesure où ce pays a signé une entente de sécurité sociale avec le Québec - c'est le cas de la France.

« Une pension ou une rente payée par un pays étranger ne réduit en aucune façon le montant de la rente de retraite du Régime de rentes du Québec », précise le site de Retraite Québec.

Gaétan Veillette calcule que la rente acquise en France vaudra quelque 8600 $ par année à 65 ans.

Parvenue à 65 ans, Sandrine aura vécu 36 ans au Canada, et aura donc droit à 36/40 de la pleine pension de la Sécurité de la vieillesse - le barème d'une pension complète est de 40 ans de résidence après 18 ans.

« J'ai estimé la rente de la RRQ à 65 ans à 60 %, étant donné que son revenu gagné est près du maximum de revenu assurable », ajoute le planificateur.

À 65 ans, ses revenus de rente avant impôts totaliseront environ 57 000 $.

Fort opportunément, l'hypothèque sera tout juste acquittée.

Quelque 11 000 $ disparaîtront alors de ses dépenses annuelles, qui se fixeront à environ 40 000 $.

Dès lors, les revenus de retraite de Sandrine suffiront à couvrir confortablement ses dépenses, et produiront même un surplus.

En supposant qu'elle maintienne son train de dépenses actuel, elle détiendra 630 000 $ en CELI à 90 ans.

Si elle décidait de prendre sa retraite à 62 ans, ses épargnes à 90 ans s'établiraient plutôt à 350 000 $.

Un important actif à 90 ans n'est pas un objectif en soi. « Pour moi, la valeur à 90 ans est un peu comme un plan de vol », observe notre planificateur.

Elle indique la trajectoire et l'autonomie maximale, mais une fois les limites connues, les paramètres peuvent être ajustés.

Ces projections sont basées sur un régime de vie qui frôle l'ascèse. Sandrine, qui n'a aucune ambition monacale, peut-elle y ajouter un peu de moelleux ?

« Normalement, quand il y a plus de liquidités, le coût de vie s'ajuste naturellement », observe notre planificateur.

Il a fait le calcul. Si Sandrine augmentait dès maintenant ses dépenses de 500 $ par mois, son CELI afficherait à 90 ans la symbolique somme de 6400 $.

Le plus important actif de Sandrine demeure son condo. À 80 ans, sa valeur aura atteint 735 000 $, en supposant une plus-value annuelle de 2 % (ou 525 000 $ avec 1 %).

Elle pourra le vendre quand elle le désirera, pour acheter un logement plus petit ou payer le loyer d'une résidence.

Sandrine peut respirer. D'autant plus que tous ces calculs sont basés sur une semaine de travail de 28 heures.

Photo André Pichette, La Presse

Gaétan Veillette, planificateur financier d'IG Gestion de patrimoine