« Nous aimerions nous installer dans une résidence pour retraités à l'automne 2020, annonce Suzanne. Mais nous ne savons pas si nous pouvons espérer y vivre jusqu'à 90 ans. »

LA SITUATION

Suzanne et son conjoint Jean-Pierre ont tous deux 68 ans.

« Tout le monde nous dit qu'on est trop jeunes, mais on a quand même l'idée d'y aller. Les raisons sont qu'on trouve que c'est comme un grand hôtel, ça peut être divertissant. »

Ils habitent un condo qu'ils ont payé plus cher que la maison vendue pour l'acquérir. « C'est pourquoi on se retrouve encore avec une hypothèque », explique-t-elle.

La mensualité hypothécaire est fixée à environ 500 $.

Les dépenses du couple s'élèvent à 4825 $ par mois, ce qui comprend une réserve de 600 $ par mois pour les voyages.

« Le budget prévu pour la résidence serait de 6722 $ par mois pour au moins 10 ans, car mon mari tient mordicus à un voyage annuel », précise Suzanne.

Elle est retraitée depuis mai. Son mari devrait travailler au moins jusqu'à 70 ans, bien que ce soit un « travail physique, très exigeant ».

Les épargnes du couple totalisent environ 254 000 $. « Nous n'avons pas d'enfants, donc peu importe ce qui restera après notre mort », souligne Suzanne.

Elle a chiffré leur projet de résidence.

« De 70 à 80 ans, on peut profiter de tout ça, mais après, on n'aura plus un sou », constate-t-elle.

Elle observe que les planifications de retraite sont « toujours basées sur des rendements [qu'elle] trouve un petit peu anormaux, du genre 3 ou 4 %. C'est très difficile d'avoir des rendements de 3 ou 4 %. Nous, on est le consommateur moyen, qui n'a pas de fonds de pension, qui doit subvenir à ses besoins pour une période de 20 ans ».

Ces 20 ans ne les mènent pas au-delà de 90 ans.

« Dans nos familles, les gens vivent assez vieux, mais ça, c'était une autre époque, indique-t-elle. Maintenant, avec le stress qu'on vit, je pense que nos corps ne se rendront pas plus loin. C'est dommage qu'on n'ait pas une date de péremption imprimée sur l'épaule, ce serait beaucoup plus facile. »

À défaut de date de péremption, le couple se dirige-t-il trop tôt vers la résidence ?

LA VIE EN CHIFFRES

Suzanne, 68 ans, Retraitée

RRQ : 721 $ par mois

PSV : 597 $ par mois

REER : 64 500 $

CELI : 38 500 $

Placements non enregistrés : 34 500 $

Jean-Pierre, 68 ans

Salaire : 80 000 $ par année

RRQ : 860 $ par mois

REER : 61 000 $

CELI : 17 500 $

Placements non enregistrés : 37 500 $ 

PROPRIÉTÉS

Condo : 400 000 $

Solde hypothécaire : 92 000 $

Terrain : 30 000 $

Dépenses actuelles : 57 900 $ par année

Budget en résidence : 80 660 $ par année (voyages inclus)

LA RÉPONSE

Première question : quel rendement le couple peut-il raisonnablement espérer à long terme ?

Contrairement au sentiment de Suzanne, un rendement annuel de 3 à 4 % est tout à fait plausible à long terme, énonce d'abord le planificateur Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels - Gestion privée.

Toutefois, « il faut accepter une certaine prise de risque et limiter ses frais de gestion, indique-t-il. Par exemple, à 1 % de frais de gestion, il faut un portefeuille à 50 % en actions et 50 % en revenus fixes pour espérer un rendement de 4,1 % ».

Les rendements modestes qu'évoque Suzanne laissent croire que le couple a concentré ses placements dans les produits d'épargne à taux fixes et à court terme, comme les dépôts à terme et les certificats de placement garantis (CPG). « Il sera alors difficile à ce moment-ci de leur vie de modifier leur comportement d'investisseur », constate le planificateur.

C'est pourquoi il utilise dans sa projection un rendement annuel de 3 %, qu'on peut obtenir actuellement avec un CPG de cinq ans.

Il pose l'hypothèse que le couple vend son condo et son terrain en 2020, au moment d'entrer en résidence. Une fois l'hypothèque remboursée, les transactions ajouteront 345 000 $ à leurs épargnes, calcule-t-il.

CINQ ANS PLUS TARD... MAIS TROP TÔT

Raphaël Hainault retient le budget de 80 660 $ (voyage inclus) suggéré par Suzanne et suppose que le couple continue à voyager jusqu'à 80 ans.

Dans ces conditions, il estime que les épargnes du couple seront épuisées en 2034 à 85 ans - cinq ans de plus que ce que Suzanne calculait. Mais c'est encore trop tôt.

« Cela ne laisse guère de marge de manoeuvre, dit-il. Je crois que Suzanne sous-estime leur espérance de vie. En fait, selon les tables actuelles de mortalité, il y a 50 % de chances que l'un d'eux soit encore en vie en 2044. Il y a même 25 % de chances que l'un d'eux soit encore en vie en 2047 ! »

Le planificateur propose tout de même quelques avenues de rechange.

AJUSTEMENTS

Pour reporter l'épuisement du capital à 92 ans, le couple devra réduire ses dépenses annuelles de 10 000 $. « Il s'agirait donc de trouver une résidence moins onéreuse », propose le conseiller.

Le couple arriverait à un résultat similaire si Jean-Pierre conservait son emploi jusqu'à 75 ans, mais « ce n'est peut-être pas envisageable considérant la nature de son métier », reconnaît le conseiller.

À défaut, le couple pourrait plutôt reporter à 75 ans son déménagement en résidence. Outre des dépenses inférieures, Suzanne et Jean-Pierre auraient cinq ans de plus pour rembourser leur hypothèque, ce qui ajouterait au bénéfice de la vente.

Bien entendu, ils peuvent également combiner ces stratégies à divers degrés.

Mais il y a une autre manière d'améliorer quelque peu la situation.

ÉCONOMIES D'IMPÔT

Sagace, Raphaël Hainault observe que le couple détient 72 000 $ en placements non enregistrés. Or, le montant des REER du mari laisse croire qu'il a encore de substantiels droits de cotisation non utilisés.

« Considérant la retraite dans deux ans, il serait très avantageux de profiter d'un maximum de déduction REER pendant ces années », avise-t-il.

Par exemple, « monsieur pourrait utiliser 15 000 $ par année pour cotiser à ses propres REER et madame pourrait lui donner le même montant, qu'il cotiserait dans un REER conjoint au nom de madame », suggère-t-il.

En cotisant 30 000 $ en 2018 et autant en 2019 à un taux marginal d'impôt de 37,12 %, Jean-Pierre économiserait un total de 22 272 $ en impôts. « Ces montants seront peu ou pas imposés à la retraite en raison de leurs faibles revenus imposables à ce moment », précise Raphaël Hainault.

En poussant la logique plus loin, Suzanne et Jean-Pierre pourraient même retirer les 56 000 $ qu'ils détiennent en CELI pour les cotiser en REER.

En cotisant épargnes et CELI, le couple serait en mesure de réaliser une économie d'impôts de plus de 40 000 $ en deux ans, estime le planificateur.

« C'est une demi-année de plus dans leur projection de retraite. » 

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Photo Hugo-Sébastien Aubert, Archives La Presse

Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels - Gestion privée