Avec la population vieillissante, de plus en plus de gens auront besoin d'une résidence pour personnes âgées. Le boom dans la construction de résidences privées veut d'ailleurs répondre à cette demande. Est-ce qu'on magasine sa résidence de la même manière que son premier appartement ou son premier condo ? La Presse a fait l'exercice. Voici nos constats et nos conseils.

Méthodologie

-Nous avons téléphoné aux différentes résidences privées dans un premier temps en tant que client.

-Nous avons sélectionné des résidences privées appartenant à cinq groupes (Chartwell, Groupe Maurice, Sélection Retraite, Résidences Soleil et Cogir Immobilier), parce que ce sont les plus grands groupes au Québec.

-Nous n'avons pas inclus de résidences privées individuelles.

-À la suite de nos recherches, nous avons communiqué avec les cinq groupes de résidences privées en tant que journaliste pour recueillir leurs réactions face à nos constats.









Pas de photo précise en ligne

Lorsque vous magasinez sur l'internet une maison, un condo, un appartement, même un logement Airbnb pour une seule nuit, vous trouvez facilement des photos de chaque pièce. Vous avez aussi accès à des visites en 3D où vous avancez dans les appartements et êtes à même de constater qu'il y a de la poussière oubliée ici et là. 

Sur les sites des résidences privées, on vous inonde de photos de retraités heureux et souriants, on vous vend des aires communes excitantes, mais pour ce qui est de l'appartement où vous allez passer vos vieux jours... impossible à voir. Avec un peu de chance, on trouve une photo générique d'un appartement type comme pour certains complexes de Cogir Immobilier et de Chartwell. 

Pourtant, plus de la moitié des personnes âgées de 75 ans et plus recherchent de l'information sur l'internet avant d'acheter un produit, selon une étude du CEFRIO.

Pas de prix exact

Même si on cherche dans tous les coins du site des complexes de Sélection Retraite, on ne trouve aucun prix. Il faut absolument envoyer un courriel ou téléphoner pour avoir une idée des prix. Même scénario du côté de Chartwell. On télécharge la brochure dans laquelle les gens dansent et rient, mais il n'y a pas de prix. 

Sur le site d'un complexe du Groupe Maurice, on nous informe du prix d'un quatre et demie, soit de 2051 $ à 2762 $... Une variation de 700 $. Chez Cogir Immobilier, on donne des prix « à titre indicatif seulement » et « après crédit d'impôt ». Un crédit d'impôt calculé à partir de quel revenu, au fait ? 

Ce sont les Résidences Soleil qui donnent le plus de détails. On nous avertit que c'est une projection de coût pour un client bénéficiant du crédit maximal pour le maintien à domicile.

« Ce ne sont pas des prix qui sont tout à fait exacts, mais ça donne une idée de grandeur », explique Sara Girard, présidente de Bonjour Résidences, une plateforme de type TripAdvisor qui permet de magasiner et de comparer plus de 2000 résidences situées dans toute la province.

« Je crois que toutes les résidences devraient afficher tous les prix. Ça évite des appels et des rendez-vous inutiles pour des résidants qui parfois ne cadrent pas dans le budget. »

- Sara Girard

« Mais certaines résidences ne donnent pas leurs prix, car elles ne veulent pas se fermer de porte. »

Selon Mme Girard, les résidences préfèrent d'abord séduire la clientèle avec leurs installations et les activités plutôt qu'avec le prix. 

« Même si les gens ont un budget en tête, rendus sur place, ils vont peut-être être tentés d'allonger 100 ou 200 $ de plus par mois parce qu'ils aiment l'endroit. »

Quel prix pour les soins ?

Pas la peine de chercher, on ne trouve aucune grille détaillée de tarifs de soins sur les sites. Même au téléphone, il nous a fallu insister pour qu'on nous donne une idée et insister plus fort pour qu'on nous envoie un document par internet.

Sélection Retraite nous a fait parvenir par courriel le type de soins offerts, mais sans les prix. Chez Groupe Maurice, on a accepté de nous donner une idée, mais sans nous envoyer de liste. « Non, c'est vraiment juste des outils de travail qu'on a », a justifié la conseillère au téléphone. Chez Cogir, même discours, sauf qu'on nous propose des forfaits heure/soins - les résidants paient pour une heure et obtiennent différents services comme l'accompagnement aux toilettes, l'aide à l'habillement ou l'aide pour un bain. « Parce que c'est plus avantageux que de prendre les choses à la carte », explique-t-on au téléphone. La conseillère de Chartwell ne veut pas nous transmettre la grille. Une autre conseillère devrait nous contacter dans les prochains jours pour nous en parler.

Résidences Soleil est la seule à nous envoyer une grille détaillée avec tous les prix.

« Les résidences ne nous disent pas tout à nous non plus, affirme Sara Girard, présidente de Bonjour Résidences, qui travaille pourtant en collaboration avec les résidences. Je pense qu'elles ne veulent pas partager ces informations, parce qu'elles ne veulent pas faire peur aux gens. »

Selon le président fondateur de Visavie, une entreprise qui offre les services gratuits de conseillers pour trouver une résidence, il n'y a pas de profits à faire avec les soins. 

« Les soins sont offerts par une personne qui prend du temps avec toi et qui va t'aider. La seule façon d'économiser sur des soins, c'est de baisser le ratio du personnel. »

- Claude Paré, président fondateur de Visavie

« Il n'y a pas de technique de fabrication de soins, pas de chaîne de montage de soins, on ne peut pas automatiser des soins, ce ne sont pas encore des robots qui donnent des soins. C'est du temps et le temps se paye. »

Claude Paré croit que les résidences hésitent à donner des tarifs, parce que chaque résidant a des besoins différents. « Ce n'est pas comme une assurance automobile. Tu ne peux pas comparer le même produit, le même service. Pour aller aux toilettes ou prendre un bain, ça peut dépendre de la mobilité de la personne, de son poids, si elle est agressive quand on la met dans l'eau. Le quantitatif, c'est une chose, mais le qualitatif, c'est une autre paire de manches. »

Invités à commenter les constats de La Presse, des propriétaires des groupes de résidences concernés ont en effet expliqué que les prix des loyers et des soins variaient tellement d'une situation à l'autre qu'il n'était pas justifié de les afficher ou de les détailler (voir onglet suivant pour les réactions complètes).

La difficulté de comparer

Certains retraités québécois vont consacrer 80 %, de leur revenu aux frais de leur résidence. C'est un choix important à faire. Or, comme chaque groupe de promoteurs a un système différent de fixation des prix, il devient complexe d'établir des comparatifs simples. 

Par exemple, le prix des soins est calculé à la carte à un endroit, en heure de soins ailleurs et en forfait chez l'autre. Le crédit d'impôt est parfois inclus dans le prix affiché, parfois non. Aussi, la fixation du prix d'un loyer est fixe à un endroit, avec extra pour le conjoint ailleurs ou par personne chez le concurrent. Sans compter les inclusions ou non de la climatisation, du câble (combien de chaînes ?), d'internet (quelle vitesse ?), etc.

« On essaie de dire aux résidences de mettre les prix sans les crédits d'impôt, affirme Sara Girard, présidente de Bonjour Résidences, parce que c'est mélangeant et pour que les gens puissent comparer des pommes avec des pommes. »

La valeur réelle des soins

Quand la santé se dégrade et que les besoins deviennent lourds, il faut parfois payer jusqu'à 72 000 $ par année pour habiter une résidence privée. Quand c'est possible, il est préférable d'avoir recours à de l'aide à domicile plutôt que d'aller en résidence privée, selon le Réseau FADOQ. « Tant et aussi longtemps qu'on peut rester chez nous, ça va coûter moins cher », affirme son directeur général, Dany Prud'homme.

Selon Claude Paré, président fondateur de Visavie, beaucoup de clients n'ont aucune idée du prix réel des soins, ce qui affecte l'image des résidences privées. « Le problème, c'est qu'on compare le prix d'un centre d'hébergement de soins de longue durée [CHSLD] public avec les résidences privées. Dans un CHSLD, c'est 1800 $ maximum par mois, mais nos taxes payent la différence. Le vrai prix, c'est 8000 $ par mois. Quand ça coûte 6000 $ dans une résidence privée, les gens disent : "Ce sont des voleurs." Alors que c'est finalement 2000 $ de moins.»