Kim Jolicoeur a vécu sans emploi pendant six mois. Lorsqu'il a enfin obtenu un nouveau poste, le salaire offert ne lui rapportait pas assez pour couvrir ses dépenses. Au moment où il consulte un syndic, en 2006, le montant de sa dette s'élève à 14 000 $. La faillite est jugée la meilleure solution.

« Par la suite, j'ai attendu cinq ans avant de pouvoir emprunter à ma banque ou obtenir du crédit auprès des institutions financières, raconte-t-il. J'ai tout payé comptant ou par débit pendant cinq ans. »

M. Jolicoeur a dû payer 100 $ par mois pendant neuf mois avant d'être enfin libéré de sa dette.

« Je me souviens m'être senti extrêmement bien à la suite de la signature finale de l'entente. Un énorme boulet avait été retiré de sur mes épaules. Et tout payer comptant, c'est vraiment génial ! J'ai réalisé qu'on doit se monter un bon crédit seulement pour avoir droit à plus de crédit alors que le crédit, c'est une dette ! »

Si M. Jolicoeur a accepté de livrer son témoignage à visage découvert, c'est pour sensibiliser les gens au danger du crédit. Chaque mois, il payait seulement le solde minimum de sa carte. Il s'est rendu compte trop tard que ce n'était pas assez. Il affirme avoir manqué de prudence en vivant avec l'espoir de décrocher un meilleur emploi.

La majorité des lecteurs de La Presse qui ont accepté de nous raconter leur histoire ne voulaient pas que leur nom apparaisse, de peur que leur faillite nuise à l'obtention d'un prochain emploi ou à leurs relations familiales. Les répercussions sont donc lourdes, et la honte est forte.

QUAND LA MALCHANCE FRAPPE

Les évènements de la vie peuvent parfois nous pousser vers la faillite. Alain en sait quelque chose. Après une séparation difficile, il n'a pas eu le choix de vendre sa propriété. Lorsqu'un acheteur a fait faire une inspection, les résultats ont fait chuter la valeur de la maison. Elle avait été construite avec de la pierre contaminée à la pyrrhotite. Il a consulté un syndic, qui lui a dit que la faillite était la seule solution.

« Mon estime de moi était à terre, relate-t-il. Une profonde dépression s'en est suivie. J'étais dévasté. Jamais je ne souhaiterais ça à mon pire ennemi. Quelle dégradation de vie ! Encore aujourd'hui, deux ans plus tard, je ne peux même pas avoir une carte de crédit de seulement 300 $. Avouez qu'à 54 ans, tout perdre... Je capote encore ! Voilà la pire expérience de ma vie. »

REPARTIR À ZÉRO

La faillite est synonyme de moments difficiles, mais parfois, c'est ce qu'il y a de mieux à faire pour se sortir d'une mauvaise passe financière.

« L'objectif de la faillite, c'est de permettre à une personne qui a eu une bad luck de pouvoir effacer l'ardoise et se refaire. C'est une réhabilitation financière. C'est pour cette raison qu'on ne saisit pas les REER, les gens gardent leur fonds de pension. »

- Sylvie De Bellefeuille, avocate et conseillère budgétaire chez Option consommateurs

Benoît, un lecteur de La Presse, nous a justement écrit pour expliquer que sa faillite a été un tournant dans sa vie, qui ne cesse de s'améliorer depuis sa libération de faillite en 2013.

Cet ancien universitaire avait accumulé 25 000 $ en dette d'études sans jamais pouvoir la rembourser avec son poste d'assistant-gérant dans un Couche-Tard. Pendant des années, il a eu des sueurs froides chaque fois qu'il recevait une lettre ou un appel du ministère de l'Éducation. Comme il avait dépassé le délai de sept ans après la fin de ses études terminées en 1998, cette dette a pu être mise dans sa faillite.

« Oui, être au fond du baril fut très pénible, mais c'est terminé. Sans la faillite, j'y serais encore, dans le fond du baril. Aujourd'hui, je me considère comme une personne heureuse et confiante en l'avenir. Quand j'ai reçu une lettre confirmant que j'étais enfin libéré de ma faillite, je me suis senti libéré de tout. Pendant que j'écris ceci, j'en pleure encore d'émotion. »

PEUT-ON VRAIMENT PRÉPARER SA FAILLITE ?

Peut-on utiliser la faillite comme mode de vie ? Pour consommer au-dessus de ses moyens et se libérer des conséquences de nos actes ?

« La loi a changé en 2009 pour rendre la faillite plus accessible, explique la syndique de faillite Josée Pomerleau, chez Pomerleau & Associés Syndic. Cependant, en tant que syndic, on sait comment compliquer les règles pour empêcher que ce soit trop facile. Il y a des mécanismes dans la loi pour empêcher les gens qui voudraient faire faillite chaque six ans pour ne pas payer leurs dettes. »

Si quelqu'un avait l'intention malveillante de préparer sa faillite personnelle en transférant ses biens à des amis ou à sa famille, le syndic peut agir.

« J'ai vu un conjoint qui avait des dettes d'impôt importantes, relate Josée Pomerleau. Huit ans plus tôt, il avait transféré un immeuble à sa conjointe. On a pu attaquer cette transaction-là. Même si ça faisait plus de cinq ans. La conjointe est devenue responsable de la dette à Revenu Québec jusqu'à hauteur du bien qu'elle avait reçu. »

Josée Pomerleau affirme toutefois que la majorité des consommateurs qui frappent à sa porte sont honnêtes. « Ils sont juste malchanceux. »

TÉMOIGNAGES DE LECTEURS

DETTE À VIE

Yannick ne veut pas être identifié, car il a tenu sa faillite secrète dans les réunions familiales et les soirées d'amis. Avec un divorce, une perte d'emploi et 730 000 $ de dettes, il n'arrivait plus à s'en sortir.

« Comme il m'aurait été impossible de vivre assez longtemps pour rembourser le montant réclamé, considérant mon âge et le revenu moyen que je pouvais faire, l'entente a été pour le remboursement d'environ 10 % du montant net réclamé. Le statut d'insolvabilité demeure tant que le montant de l'arrangement n'est pas complètement remboursé. »

SE LOGER

Claude, lui, a déclaré faillite l'an dernier après avoir été malade plusieurs mois. Il se sent comme un citoyen de seconde classe.

« Tout est plus compliqué, écrit-il. Déjà que je ne roule pas sur l'or, en plus, il y a plein d'embûches pour des besoins aussi essentiels que de se loger ou de se déplacer. C'est très difficile de se trouver un logement convenable. Les propriétaires font tous des enquêtes de crédit et refusent systématiquement ceux qui ont un mauvais dossier. »

LES ÉLECTROMÉNAGERS

Sophie, qui a fait faillite en 2011, a dû faire appel à un ami qui a signé le bail de son logement à sa place. Au cours d'un entretien téléphonique, elle nous a raconté à quel point cette période a été difficile. « On n'est plus rien pour les propriétaires de logements. Je ne pouvais pas obtenir de cellulaire non plus, ni de câble. Et quand ma laveuse et ma sécheuse ont brisé, je n'avais pas accès aux magasins de meubles, je ne passais pas au crédit. »

Dans les années qui ont suivi sa faillite, Gaston a trouvé des trucs pour réussir à vivre au quotidien dans une société axée sur les paiements numériques. « La plupart des banques offrent des cartes "rechargeables" qui peuvent servir si on veut, par exemple, payer des achats en ligne, voyager ou faire des transactions qui n'acceptent pas les cartes de débit. »

TROUVER UNE BANQUE

Julie avait environ 65 000 $ de dettes. Huit ans après sa faillite, elle avait un bon salaire comme gérante d'immeuble à logements et 13 000 $ d'économies à sa banque. Quand elle a voulu obtenir une carte de crédit de 500 $, son institution financière a refusé. « Ils m'ont dit qu'ils n'étaient pas la banque de la deuxième chance. 

« Je suis allée voir leur compétiteur, et la responsable du crédit m'a dit que si je transférais mes placements dans leur institution, elle m'aiderait à obtenir une carte. J'ai pu rebâtir mon crédit au-delà de mes espérances. »