Les revenus d'Anne ont diminué dramatiquement depuis un an et demi. La seule issue consiste-t-elle à vendre sa jolie petite maison ? Elle est déchirée...

LA SITUATION

« Je n'arrive tout simplement plus, confie Anne. Je suis en train de me résoudre à vendre la maison en me disant que les dépenses seront moindres en appartement, mais ça me brise le coeur. »

Un changement d'emploi forcé, en 2016, a entraîné une baisse draconienne des revenus de cette travailleuse contractuelle. Le changement s'est combiné à la cessation des prestations pour ses deux enfants, qui sont maintenant majeurs et ont quitté la maison.

« Je suis tellement dans la brume, si vous saviez... », s'exclame la femme de 54 ans.

Pourtant, Anne a fourni une feuille de calcul très détaillée de sa situation financière, préparée sur tableur.

« J'ai toujours pris soin de mes finances, et j'ai toujours fait du mieux que je pouvais avec ce que j'avais, explique-t-elle. Le problème vient de la chute dramatique de mes revenus. Et là, je n'arrive plus, ça n'a plus de bon sens. »

Éloquente, sa feuille de calcul montre des revenus nets de 43 000 $ et des dépenses de 47 000 $.

« Mon budget est irréel : pas d'argent pour les vêtements, rien pour les vacances, naturellement, et à peine 100 $ par semaine pour manger. »

Au moment de son divorce, au milieu des années 2000, son couple était endetté. « Je n'en dormais plus. Mon mari était beaucoup plus dépensier que moi et notre répartition des dépenses n'était pas égalitaire. Je me suis promis que plus jamais je n'aurais de dettes qui m'empêcheraient de dormir la nuit. Et là, mes angoisses commencent à revenir, et je n'aime pas ça. »

Pour combler le manque à gagner, elle a vidé son CELI et retiré des sommes de son REER.

« Je me suis dit : il faut que j'arrête la catastrophe, c'est en train de m'éclater au visage. Je vais tout perdre si je ne me remets pas en ligne droite avec des décisions claires et sensées, et non émotives. »

Anne est attachée à sa petite maison de banlieue. Elle est propriétaire depuis le début de sa carrière professionnelle. « J'ai toujours tenu à mon indépendance. Mais là, cette indépendance commence à me coûter cher », constate-t-elle. « Je me demande si ça vaut vraiment la peine de m'accrocher. »

« Je me dis : la seule solution, c'est de vendre la maison. Mais avant de faire le saut, et comme je ne suis pas pressée d'aller marcher sur la tête de quelqu'un d'autre, j'aimerais avoir l'avis de quelqu'un d'un peu plus éclairé que moi. »

LA RÉPONSE

Cette personne éclairée s'appelle Nathalie Bachand. Elle est planificatrice financière et associée chez Bachand Lafleur, groupe conseil.

Son premier constat fait mal : « Anne semble sous-estimer ses impôts ou peut-être les charges sociales », indique-t-elle. Dans ses calculs, Anne a appliqué un taux de 20 %, pour 10 400 $ d'impôts.

Une travailleuse autonome doit verser la part habituellement dévolue à l'employeur de la contribution au Régime de rentes du Québec, souligne notamment la planificatrice.

« Pour un revenu de travailleur autonome de 52 000 $ après dépenses, j'estime qu'elle doit verser 16 000 $ d'impôts et de charges sociales, pour un revenu net de 36 000 $. » Avec le crédit de TPS et le crédit d'impôt pour solidarité, ses revenus disponibles s'établiraient à 37 500 $, plutôt qu'à 43 000 $.

Son déficit vient de se creuser à 9700 $.

En outre, « dans ses dépenses, elle ne semble pas considérer le remboursement de sa marge de crédit ni le remboursement du prêt pour les électroménagers », souligne la planificatrice.

CONSOLATION: CONSOLIDATION

Comment réduire les dépenses ? Elle pourrait consolider son hypothèque et ses dettes pour les amortir sur une plus longue période, suggère Nathalie Bachand.

Une dette consolidée de 107 000 $, amortie sur 20 ans, coûterait 7130 $ par année, plutôt que les 10 815 $ actuels en versements hypothécaires. Anne supprimerait en outre environ 1000 $ par année en intérêts sur sa marge de crédit.

« Cela permet de réduire ses dépenses de 4700 $ par année », évalue Nathalie Bachand.

Mais le déficit annuel s'élève encore à 5000 $.

Où Anne peut-elle les trouver ?

ASSURÉMENT TROP D'ASSURANCES

Elle détient un étonnant bouquet d'assurances maladie grave, accident, voyage, cancer, invalidité, hospitalisation, et hypothèque. Elle y consacre au total près de 5200 $ par année.

« Il faudra qu'elle envisage de réévaluer ces protections », avise la planificatrice.

Si elle décidait de ne conserver que l'assurance invalidité - indispensable pour une travailleuse autonome -, elle récupérerait 2980 $.

Il manquerait encore 2000 $, soit un trou de 166 $ par mois.

Anne peut-elle restreindre ses dépenses ? Son budget, très détaillé, montre qu'elle a déjà restreint son train de vie au minimum, au point de ne consacrer que 100 $ par semaine à son alimentation !

On n'échappe pas à la conclusion. À moins qu'elle n'augmente ses revenus d'environ 3200 $ par année, Anne devra sacrifier sa maison.

Son intuition était donc douloureusement juste.

VENTE: AIR FRAIS ?

Avec la vente de sa maison, une fois soustraits les dettes et les frais divers, Anne récupérerait environ 65 000 $.

En supposant un loyer de 1000 $, elle réduirait ses dépenses de logement d'environ 2400 $ par année.

Son coût de vie serait ramené à 44 800 $ - ou 41 800 $ si elle réduit ses frais d'assurances de 3000 $.

Problème : avec des revenus nets de 37 500 $, le déficit n'est pas encore entièrement résorbé.

Anne pourra utiliser le fruit de la vente de sa propriété pour combler le déficit d'ici sa retraite, mais elle ne pourra plus contribuer à son REER. La retraite se présente mal...

Accepterait-elle de déménager à Montréal et de se débarrasser de sa voiture ? Elle économiserait aussitôt 8400 $ par année, et renverserait la situation.

UN PEU DE LUMIÈRE...

Le portrait semble sombre, mais Anne a du temps devant elle.

Il s'agit d'abord de colmater la brèche.

Par la suite, bien des choses pourront se passer dans les 10 ans qui la séparent de sa retraite. Un contrat plus lucratif. Des contrats supplémentaires.

Il y a une autre possibilité - un autre espoir. Pour des raisons qui nous échappent - par exemple parce qu'elle a déduit des dépenses de bureau à domicile non spécifiées -, peut-être son estimation d'un revenu net de 43 000 $, après impôts de 10 400 $, n'est-elle pas irréaliste. Avec la consolidation de dettes et la réévaluation des assurances, elle pourrait alors rééquilibrer dès maintenant son budget.

Mais elle doit d'abord confirmer ses revenus nets réels.

Photo Patrick Sanfaçon, Archives La Presse

Nathalie Bachand, planificatrice financière et associée chez Bachand Lafleur, groupe conseil