L'eau s'est retirée depuis six mois dans les quartiers inondés au printemps. Où en sont les finances des sinistrés ? Est-ce que l'aide du gouvernement est arrivée ? La Presse est retournée à la rencontre des familles de la rue des Maçons, dans l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro, qui nous avaient parlé au mois de mai.

LES TRAVAUX AVANCENT RUE DES MAÇONS

Déplorant la lenteur du gouvernement, deux foyers ont décider d'agir sans attendre l'aide financière promise.

LA GARDERIE BIENTÔT PRÊTELa Presse a d'abord rencontré Pevlita Picazd et Noel Gonzales il y a six mois. Le couple était alors atterré par l'épreuve inattendue et songeait même à abandonner le bungalow acheté 10 ans plus tôt.

Novembre s'est maintenant installé. Le couple a du chauffage depuis à peine deux semaines, tandis que l'électricité a été refaite il y a moins d'un mois. Pevlita Picazd et Noel Gonzales ne pouvaient plus attendre l'argent du gouvernement pour agir. Comme la garderie qu'ils exploitaient a été emportée par les inondations, il fallait vite reconstruire pour retrouver leur unique source de revenus.

« L'hiver arrive ! s'exclame Noel Gonzales. Il commence à faire froid. Je ne voulais pas vivre dans un igloo ! »

Selon les estimations, les travaux devraient coûter au total 70 000 $. Jusqu'ici, le gouvernement leur a versé 20 000 $.

« Ce n'est pas suffisant, déplore Noel Gonzales. Et si on n'avance pas l'argent à l'entrepreneur général, il ne commence pas les travaux. Je n'avais pas le choix de trouver une autre source de financement, sinon rien ne serait fait. »

« J'ai dû aller à la banque et prendre une marge de crédit hypothécaire. La banque m'a prêté 30 000 $. » - Noel Gonzales

Pour l'instant, la garderie n'accueille que deux enfants au rez-de-chaussée. Le sous-sol n'est pas encore prêt pour recevoir six enfants.

« L'entrepreneur nous a promis qu'il aurait terminé les travaux d'ici avant la fin du mois de novembre. J'ai donné les factures au gouvernement, mais je n'ai encore rien reçu. Je suis très déçu. J'espère qu'on va recevoir l'argent du gouvernement. J'ai l'impression que rien n'est sûr... Pour l'instant, je ne vis que d'espoir. »

Pevlita Picazd et Noel Gonzales se sont sentis abandonnés par le gouvernement pendant plusieurs mois. Aujourd'hui, ils sont soulagés d'avoir pu emprunter à la banque afin de protéger leur investissement. Ils sont convaincus que c'était finalement la meilleure chose à faire. La bonne nouvelle, c'est qu'ils en ont profité pour redécouper le sous-sol d'une façon plus optimale. La garderie sera dorénavant plus belle et plus efficace.

L'HIVER PEUT ARRIVERRené Leblanc est en train de terminer son sous-sol. Si ses travaux sont plus avancés que ceux de ses voisins, c'est parce qu'il a décidé d'utiliser ses économies.

« Le Ministère avait annoncé un programme bonifié et que ce serait distribué de façon efficace. Après six mois, je constate que ce n'est pas efficace ni rapide », relate René Leblanc.

« Au départ, j'attendais l'aide financière avant de commencer, explique-t-il. Mais je me suis vite rendu compte que si je voulais avancer, je devais payer de ma poche. »

« J'ai choisi d'organiser moi-même les travaux. De cette façon, j'ai sauvé le 15 % que l'entrepreneur général se donne pour la gestion des soumissions. » - René Leblanc

« On est bien avancés. L'isolation est faite. On est prêts pour l'hiver », ajoute-t-il.

Afin de limiter les dégâts lors d'une prochaine inondation, René Leblanc et sa conjointe Anne ont fait installer des fenêtres plus efficaces contre les dommages d'eau ainsi qu'un système d'alarme pour l'eau, le gel, le feu et la fumée. Au printemps dernier, l'eau était entrée par la fenêtre de la porte du sous-sol. Si l'eau montait de nouveau, un mur de contreplaqué viendrait bloquer la porte.

« On n'a pas mis de poutre en acier finalement, mais on a isolé les poutres en bois. On m'a dit que si on avait un dommage similaire, elles seraient protégées. Pour le plancher, je n'ai pas mis de planches en dessous du bois. Je l'ai mis sur une membrane directement sur le béton. En cas d'inondation, ce sera plus facile à enlever. »

PAS COMME AVANT

Le couple venait de terminer la rénovation du sous-sol. Il n'a pas eu le temps d'en profiter. L'eau a tout détruit.

« Ce ne sera pas comme avant. Quand j'ai fait ma liste de meubles au sous-sol, j'en avais pour plus de 40 000 $. Je ne remplacerai pas tout. Le gouvernement a dit qu'il payerait 23 000 $. Pour les travaux, on va se rendre à 85 000 $. Le gouvernement rembourse à 90 %. Je réalise que de l'aide financière, c'est de l'aide. Ce n'est pas une assurance valeur à neuf. »

«J'AI L'IMPRESSION DE VIVRE DANS UN PAYS SOUS-DÉVELOPPÉ»

Dorota Wasil et sa fille Martyna Marcinkowski sont désespérées. Dans leur cuisine de fortune, dont les armoires ont été arrachées à cause des moisissures, elles nous racontent l'attente interminable depuis que l'eau a détruit la moitié de leur maison, rue des Maçons.

« Ça fait six mois que notre vie s'est arrêtée, confie Dorota Wasil sans pouvoir retenir ses larmes. Quand je vois tout ça, j'ai l'impression de vivre dans un pays sous-développé. Le problème est physique, mais encore plus psychologique. C'est vraiment éprouvant pour notre famille. »

La maison est inhabitable. Il n'y a pas de chauffage. Plus d'isolation. La qualité de l'air intérieur ne respecte pas les normes. Leurs chats sont malades. Depuis juin, les quatre membres de la famille dorment à l'hôtel.

« Je n'ai pas d'argent pour démarrer les travaux. Je n'ai pas de revenu. Si au moins on avait un revenu. » - Dorota Wasil

Le mari de Mme Wasil est malade. Elle et sa fille étaient la principale source de revenus. Elles exploitaient à domicile une petite entreprise de produits corporels, Savonnerie PureMoi. La maison étant contaminée, elles ont cessé la production depuis six mois. Aucun organisme n'a pu leur fournir de local gratuit pour quelques semaines.

Reconstruire le rez-de-chaussée risque de coûter cher. Une immense fissure traverse ce qui était autrefois le salon et la cuisine. La fondation doit être refaite.

« Cinq entrepreneurs sont venus faire une évaluation. Ils disent qu'il y a encore de l'eau sous notre fondation. Ça coûte 15 000 $ juste pour ça. On n'a pas commencé, parce que c'est un gros montant et qu'on ne l'a pas. On ne peut pas l'avancer. »

« L'ÉCART EST IMMENSE »

Selon Mme Wasil, il y a un grand écart entre l'estimation des dommages faite par l'évaluateur du gouvernement et la somme exigée par les entrepreneurs.

« L'évaluateur dit que ça va coûter 26 000 $, explique sa fille Martyna. Et d'un autre côté, les entrepreneurs prétendent que ce sera plutôt de 90 000 $ à 100 000 $. L'écart est immense. Je me demande si l'évaluateur du gouvernement s'est trompé. En attendant, les contracteurs veulent être payés avant de commencer le travail. »

Comble du malheur, le dossier de réclamation de la famille a été égaré deux fois. La semaine dernière, Mme Wasil et sa fille rassemblaient pour la troisième fois toutes les photos, la liste des dommages et les autres documents nécessaires au dossier.

La Presse a joint le ministère de la Sécurité publique. Le directeur du rétablissement, Denis Landry, a assuré qu'il mettrait tout en oeuvre pour que Dorota Wasil et sa famille réintègrent leur maison d'ici Noël.

LE POINT SUR L'AIDE DU GOUVERNEMENT

Où en est l'aide du gouvernement pour les sinistrés ? La Presse a fait le point avec Denis Landry, directeur du rétablissement au ministère de la Sécurité publique.

COMBIEN AVEZ-VOUS EU DE RÉCLAMATIONS JUSQU'ICI ?

Un total de 6007 dossiers : 5070 proviennent de particuliers, 758 d'entreprises, 33 d'organismes comme l'Armée du Salut et la Croix-Rouge et 146 de municipalités.

COMBIEN D'ARGENT LE GOUVERNEMENT A-T-IL VERSÉ JUSQU'À PRÉSENT AUX SINISTRÉS, AUX VILLES ET AUX ORGANISMES ?

Près de 63 millions de dollars. On prévoit avoir remis plus 100 millions de dollars d'ici Noël.

COMBIEN D'ARGENT RESTE-T-IL À VERSER ?

Les premières estimations qui ont été faites en avril-mai parlaient de 350 millions au total. Mais une réclamation aujourd'hui de 60 000 $ peut finir à 90 000 $.

Certains sinistrés sont choqués de devoir payer un permis de construction ou de rénovation alors qu'ils n'ont même pas d'argent pour payer les travaux. Dans l'arrondissement de Pierrefonds-Roxboro, un résidant a dû payer 490 $.

Les municipalités ont des coûts qui ne peuvent pas être remboursés par le gouvernement du Québec, alors elles se disent : « Il faut que je me reprenne quelque part, parce que ce sont des payeurs de taxes qui vont avoir à payer. » Étant donné que les villes savent que le gouvernement va rembourser le permis des sinistrés à 90 %, elles se disent que c'est un moindre mal. Certaines villes ont donné des congés de coût. On exige d'avoir le permis de construction pour continuer à payer les sinistrés. Sinon, on ne paye pas.

COMMENT CALCULEZ-VOUS LE REMBOURSEMENT DES TRAVAUX ?

On rembourse à 90 %. Cependant, on n'oblige pas les gens à dépenser. À 100 000 $, par exemple, on demande d'avoir des factures pour 90 000 $. La personne qui avait une deuxième salle de bains au sous-sol n'est pas obligée de la refaire. Si une personne a besoin de peinturer, elle peut le faire elle-même. On va rembourser les galons de peinture et la payer au salaire minimum pour avoir effectué ce travail. Si les gens sont en précarité financière, on va leur donner 100 %.

COMBIEN DE MAISONS SERONT FINALEMENT DÉMOLIES ?

Au départ, on avait annoncé qu'entre 500 et 800 maisons seraient démolies. Mais avec les dérogations collectives demandées par Deux-Montagnes et Gatineau, nos chiffres ont été modifiés. Avant, on parlait de l'évaluation municipale de la maison. Maintenant, on parle du coût à neuf. Ce sera donc moins de 500 maisons qui seront démolies.

PLUSIEURS SINISTRÉS DÉPLORENT LA LENTEUR DANS LE TRAITEMENT DES DOSSIERS ET L'ARRIVÉE TARDIVE DE FONDS POUR EFFECTUER LEURS TRAVAUX.

Il y a plusieurs raisons qui expliquent les délais. Les sinistrés à Gatineau ont été inondés deux fois, on a dû retourner dans leurs dossiers. En mai, le programme d'aide financière a été modifié, on a donc dû refaire les calculs. Ensuite, on a dû attendre les permissions de démolir ou pas. On essaie de prioriser les gens dont la maison est une perte totale et qui doivent s'en retrouver une autre. Ou ceux dont on doit lever la maison pour refaire la fondation. Lorsque les travaux sont commencés et qu'il y a des modifications au plan original, les gens vérifient auprès de nous s'ils vont être remboursés. Ça ralentit les travaux. On doit parfois envoyer un ingénieur. Dans certaines régions, comme à Rigaud et à Gatineau, les entrepreneurs ne sont pas assez nombreux. Certains ont des contrats pour les 22 prochains mois.