LE PROBLÈME: Le Sud l'attirait. La chaleur d'abord, mais le travail aussi, dans cette Amérique si dynamique.

Il y a 20 ans, Jean avait été un des premiers à profiter de l'ALENA nouvellement signé pour aller tenter sa chance au sud de la frontière.

Ce professionnel dans un secteur créatif s'est construit une belle carrière, peu à peu, pas à pas.

« Ce n'est pas toujours facile, mais la température me rend heureux », exprime-t-il.

Maintenant âgé de 53 ans, le célibataire voit venir le moment de revenir au pays, de se rapprocher de ses parents vieillissants - la douceur des liens familiaux compensera la rigueur du climat.

Il gagne environ 95 000 $US par année.

L'impôt le ponctionne de 28 %, mais il doit contribuer à l'assurance maladie payée par son employeur, à hauteur de 340 $ par mois.

Il détient 50 000 $ dans un compte d'épargne de retraite.

« Je n'ai pas beaucoup d'argent, je n'ai jamais vraiment compté, ça n'a jamais été important pour moi. Je voulais apprendre, je voulais travailler. »

Dans un an, son nouvel emploi le rendra admissible au programme d'épargne de retraite avec report d'impôt 401(k). Il prévoit y cotiser au maximum, à hauteur de 15 000 $ par année.

« J'ai acheté une maison il y a un an, qui a pris beaucoup de valeur, 70 000 $ en un an. »  - Jean

La propriété, située dans un quartier historique, vaut maintenant plus de 340 000 $. 

« J'estime qu'elle prendra au moins 30 000 $ par année d'ici 10 ans », ajoute-t-il.

Il paie ses impôts depuis 20 ans aux États-Unis, et il est toujours citoyen canadien.

« On m'a dit qu'il y a réciprocité avec le Canada pour mon revenu et que plus tard, je ne devrais pas avoir de problèmes. J'aimerais bien éclairer cette situation avec vous, si possible. »

Il prévoit travailler jusqu'à 67 ans. Mais rien ne dit que ce sera aux États-Unis.

« J'aimerais beaucoup que vous me traciez ce qui m'attend. Je pense souvent retourner vivre au Québec, car cette culture n'est pas évidente. »

Comme un snowbird qui aurait perdu le sud...

LA RÉPONSE

401(k), IRA, $US, $CAN, REER, W8-BEN...

La fiscaliste et planificatrice Josée Jeffrey, du cabinet Focus retraite & fiscalité, s'est attaquée au décodage de ce salmigondis transfrontalier.

Elle programme d'abord l'épargne retraite de Jean aux États-Unis.

Dès l'an prochain, son nouvel emploi l'autorisera à verser à même son salaire 15 000 $US par année dans un compte de retraite à impôt différé, qui porte le vocable très peu évocateur de 401 (k). Cet équivalent américain du REER d'employeur tire son nom de la sous-section 401(k) du Code fiscal.

En 2032, au moment où il atteindra 67 ans, Jean y aura accumulé 306 400 $US, sous l'effet d'un rendement annuel de 4 %.

Mais le budget de Jean lui permet sans doute d'y ajouter 5000 $ d'épargne annuelle dans un compte IRA (Individual Retirement Account), qui permet lui aussi le report d'impôt.

Josée Jeffrey calcule que Jean y détiendra 205 000 $US à 67 ans.

À cet âge, il aura accumulé un total de 511 000 $, soit 664 700 $CAN.

RETRAITS DE RETRAITE

Pour pouvoir être retirées, les sommes détenues dans son régime 401(k) doivent d'abord être déplacées dans un compte IRA. Une retenue à la source de 30 % est alors prélevée, qui peut être ramenée à 15 % si Jean a pris soin de remettre à l'institution financière un formulaire W8-BEN.

Sur l'ensemble des épargnes retirées, le fisc aura retenu 76 697 $US (99 700 $CAN).

C'est ici que la complexité vient justifier l'existence des fiscalistes.

L'impôt canadien s'applique en principe au retrait total de 664 700 $CAN, même si seulement 565 000 $CAN ont été effectivement transférés au Canada. 

Ces 565 000 $CAN sont immédiatement déposés dans un REER pour reporter l'impôt exigible.

« Ça n'interfère pas avec les droits de cotisation au REER, c'est un transfert d'un montant admissible. » - Josée Jeffrey

Mais il faut aussi payer l'impôt canadien sur les 99 700 $CAN ponctionnés par le fisc américain !

Pour reporter cet impôt, Josée Jeffrey suggère d'emprunter une somme équivalente, qui sera elle aussi déposée en REER.

Mais comment Jean pourra-t-il rembourser ce prêt ? demandez-vous avec un frisson d'inquiétude.

Dans sa prochaine déclaration de revenus, il pourra demander un crédit pour impôt étranger pour les 99 700 $CAN retenus par le fisc américain.

« Cependant, Jean devra d'abord faire ses calculs pour s'assurer qu'il aura un revenu imposable suffisant au Canada pour récupérer ce crédit », prévient-elle. 

LA MAISON

La propriété de Jean vaudra approximativement 1 172 000 $US quand il la vendra en 2032. 

Après le paiement de l'impôt sur le gain en capital et le remboursement du solde hypothécaire, il lui restera en poche 581 800 $US, soit quelque 756 000 $ en dollars nordiques.

« Je présume que Jean achètera une autre maison en arrivant au Canada », énonce Josée Jeffrey. Elle lui fixe une valeur de 400 000 $ en dollars d'aujourd'hui, soit 550 000 $ en 2032.

« J'ai mis la différence de 206 000 $ en épargne non enregistrée », informe-t-elle. Son coût de vie n'inclura donc aucune mensualité hypothécaire.

LA SÉCURITÉ SOCIALE

Parvenu à 67 ans, Jean aura travaillé près de 35 ans aux États-Unis, ce qui lui donnera droit à une prestation de la sécurité sociale américaine de 2311 $US par mois, ou 3004 $CAN.

Si on exclut son hypothèque, Jean maintient actuellement un coût de vie de 36 548 $US, soit 47 512 $CAN. Notre planifiscaliste - néologisme ! - projette ce budget au Canada en 2032, pour un coût de vie de 63 945 $.

À ce régime, Jean épuisera ses épargnes à 85 ans, et devra ensuite se contenter de la sécurité sociale américaine, à moins de capitaliser sa maison.

Toutefois, « s'il réduit son coût de vie à 60 000 $ en 2032, ses fonds seront suffisants jusqu'à 87 ans », nuance-t-elle.

S'il élève sa cotisation annuelle au IRA au maximum de 6500 $US, il repousse encore cette échéance à 89 ans.

« Jean aura besoin d'un bon planificateur financier pour bien planifier son retour au Canada », avise sagement Josée Jeffrey.

Mais elle ne veut pas refroidir ses ardeurs de retour vers l'hiver.

Photo David Boily, Archives La Presse

Il y a 20 ans, Jean avait été un des premiers à profiter de l'ALENA nouvellement signé pour aller tenter sa chance au sud de la frontière. Maintenant âgé de 53 ans, le célibataire voit venir le moment de revenir au pays, de se rapprocher de ses parents vieillissants - la douceur des liens familiaux compensera la rigueur du climat.