Partager des repas, des achats, des activités avec les enfants, une cour, peut-être même une voiture. Se rendre service et passer plus de temps ensemble. C'est le rêve de Sarah, son conjoint, sa belle-mère, sa soeur et son beau-frère. Pas facile de trouver l'endroit où caser toute la tribu - qui compte aussi quatre bambins - et l'arrangement financier équitable et réaliste pour tous.

LE PROBLÈME

« À Noël dernier, ma soeur Amélie et moi parlions de notre rythme de vie fou, raconte Sarah. On ne se voit pas assez, avec nos enfants. »

Parents de trois marmots, Sarah et son conjoint Édouard ont la chance de recevoir parfois l'aide de Céline, la mère d'Édouard.

lls organisent aussi des après-midi de cuisine collective avec Amélie et son conjoint Miguel, qui ont un bébé.

« Mais on habite tous des quartiers différents, déplore Sarah. Alors on aimerait emménager tous ensemble, pour mieux s'entraider. »

Les futurs copropriétaires ont déjà fait des recherches et visité un triplex qui aurait pu leur convenir, après des travaux d'agrandissement. L'immeuble s'est vendu rapidement, pour 850 000 $.

Si chacun des ménages vend sa propriété, ils auront une cagnotte de 600 000 $ comme mise de fonds pour l'achat d'un immeuble, calculent-ils.

Pour adapter le futur immeuble à leurs besoins, ils s'attendent à devoir faire des travaux, dont le coût doit être pris en compte lors du magasinage.

Ils s'interrogent aussi sur l'entente à signer entre copropriétaires.

« On s'aime, mais il faut se protéger. Comment prévoir ce qui va se passer si quelqu'un veut quitter ? »

- Sarah

« Il y a tellement de facteurs à considérer. C'est un beau casse-tête ! »

LA SOLUTION

Pour concrétiser ce beau projet intergénérationnel, « chacun doit y trouver son compte », souligne le planificateur financier David Truong, qui partage lui-même une propriété avec ses beaux-parents et son beau-frère, en mettant en commun une voiture, notamment.

Mais plusieurs écueils se dressent devant le clan.

ÉCUEIL NUMÉRO 1 LE MINCE BAS DE LAINE DE CÉLINE

L'épargne retraite de Céline est insuffisante, selon David Truong, qui est conseiller au Centre d'expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859. Elle ne pourra pas contribuer à la mise de fonds pour l'achat de la maison intergénérationnelle, selon lui.

« Elle va devoir utiliser la valeur de son condo pour financer sa retraite », note-t-il.

La grand-maman devra retarder son départ à la retraite, ou envisager de travailler à temps partiel pendant quelques années.

Céline dépense environ 35 000 $ par année, si on exclut l'impôt, les autres charges sociales et l'épargne. En gardant le même train de vie à la retraite, elle aura vidé son bas de laine à 70 ans, si elle quitte le boulot à 60 ans comme elle l'envisage, et qu'elle ne peut compter sur la valeur de son condo, calcule David Truong. Si elle retarde sa retraite à 65 ans, elle aura épuisé ses ressources financières à 88 ans.

Le projet ne tombe pas nécessairement à l'eau, mais son financement doit être revu.

ÉCUEIL NUMÉRO 2 LA PARTICIPATION DE CÉLINE

Si Céline ne verse pas de mise de fonds, peut-elle avoir des parts dans la future propriété ? « Son nom pourrait figurer sur l'acte de propriété, mais il faudrait déterminer sa quote-part selon la valeur de sa contribution », dit M. Truong.

Quelle serait sa participation au remboursement de l'hypothèque ? Est-ce que les services qu'elle rendra, pour s'occuper des enfants, par exemple, ont une valeur financière aux yeux des autres participants ? La tribu devra en discuter.

Céline pourrait être simplement locataire d'un appartement dans l'immeuble. En payant quel montant de loyer ? Actuellement, ses frais de condo et taxes foncières totalisent 390 $ par mois. Comme sa situation financière ne lui permet pas d'assumer des dépenses plus élevées, elle pourrait verser cette somme en loyer.

S'il ne s'agit pas de la juste valeur locative du logement, les copropriétaires devront toutefois déclarer des revenus supérieurs à ce que Céline leur versera réellement et payer de l'impôt sur des sommes qu'ils n'auront pas touchées, note David Truong.

ÉCUEIL NUMÉRO 3 UNE GROSSE HYPOTHÈQUE

En vendant leurs propriétés respectives, les deux couples dégageront un total de 255 000 $, une fois les hypothèques remboursées. Avec une telle mise de fonds et leurs revenus combinés, les institutions financières accepteraient de leur prêter 750 000 $ pour l'achat d'une propriété de 1 million, selon les calculs de David Truong.

Les deux couples disent ne pas vouloir alourdir leurs obligations financières. Actuellement, les remboursements hypothécaires des deux couples totalisent 2950 $ (si on considère que les revenus de loyer actuels d'Amélie et Miguel servent au paiement de l'hypothèque).

Pour arriver à des remboursements similaires, l'hypothèque de 750 000 $ devrait être amortie sur 30 ans : au taux de 3,5 %, les mensualités seraient de 3357 $. Si Céline leur verse un loyer de 390 $ par mois, on arrive à 2967 $.

Mais ils devront évaluer les autres frais associés à l'achat, comme la facture des rénovations, puisque leur marge de manoeuvre sera mince.

Peut-être pourront-ils économiser grâce à leur déménagement. Par exemple en vendant une voiture, ou même deux, s'ils partagent un véhicule. Selon le CAA, une voiture intermédiaire entraîne des coûts de 10 300 $ par année, un somme qu'ils pourraient consacrer à la propriété.

ÉCUEIL NUMÉRO 4 LES DETTES ET LES IMPÔTS D'AMÉLIE ET MIGUEL

À la vente de leur duplex, Amélie et Miguel devront payer de l'impôt sur le gain en capital pour la partie locative - environ 10 000 $. Et la dette de 17 000 $ qu'ils traînent sur leur carte de crédit - à un taux qui dépasse sans doute 20 % - devrait être payée avant de contracter la nouvelle hypothèque, souligne David Truong. Ils ne pourront donc pas consacrer la totalité du fruit de la vente de leur duplex à l'achat de la future propriété.

ÉCUEIL NUMÉRO 5 DES LOCATAIRES PROTÉGÉS

Un acheteur qui veut occuper un logement dans sa nouvelle propriété à revenus peut demander aux locataires de le quitter. Mais il est impossible de reprendre un logement quand il y a plus d'un acheteur.

« Dès qu'il y a plus d'un propriétaire et qu'il ne s'agit pas de conjoints, les propriétaires sont réputés être des investisseurs et ne peuvent pas faire une reprise de logement », explique David Truong.

Gros problème en vue à l'achat d'une propriété occupée par des locataires, donc. « Ils devront négocier avec les locataires pour la reprise des logements. Ça peut coûter cher, mais pour avoir un niveau de vie souhaité, il faut payer le prix », souligne le planificateur financier.

ÉCUEIL NUMÉRO 6 UNE BONNE ENTENTE ÉCRITE

Le groupe devra consulter un notaire pour signer une entente avant l'achat. David Truong suggère une convention de copropriété indivise, permettant de préciser la participation financière de chacun pour l'achat et les dépenses.

Chaque copropriétaire par indivision peut normalement vendre sa part, mais la loi prévoit que les autres indivisaires peuvent écarter un nouvel acquéreur en lui remboursant le prix de la vente.

Bref, bien des devoirs et beaucoup d'organisation en perspective avant que le clan puisse s'installer ensemble.